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— Vous êtes sûr que c’est sans danger ? Avec les onures qui rôdent et tout ? On ne devrait pas être plus nombreux ? Je veux dire… plus que deux ?

Ils s’apprêtaient à quitter l’enceinte protectrice de la ville pour s’enfoncer seuls dans la forêt obscure. Il avait été décidé que, pour cette fois en tout cas, Héranel et elle emprunteraient le chemin qu’elle avait utilisé à l’aller. Il leur fallait faire preuve d’une absolue discrétion, pas question donc d’employer le Grand-pont, et Héranel était curieux de voir comment elle s’y était prise.

Pour toute réaction à ses inquiétudes, celui-ci lui adressa un regard amusé :

— Tu es inquiète ? Tu es pourtant venue en traversant cette forêt toute seule et sans la moindre protection.

Elle se gratta la tête :

— C’est que… je ne savais pas encore que de tels monstres arpentaient vos sous-bois…

— Si ça peut te rassurer, sache que les onures sont solitaires et territoriaux, il y a donc très peu de chance pour qu’il y en ait un autre dans cette partie-ci de la forêt en ce moment. Et quand bien-même, en tant que gardiens, nous sommes régulièrement amenés à voyager seuls à travers les royaumes de l’alliance, parfois pour des périples de plusieurs jours, et ça ne représente pas un réel danger pour nous. En regard de ça, je ne considèrerais pas le fait de t’accompagner sur un malheureux kilomètre comme étant risqué.

Il leva les sourcils d’un air entendu et elle grimaça en retour, gênée de s’être inquiétée pour rien.

Ils longèrent la Scissure à bonne allure à travers bois et arrivèrent rapidement là où se trouvait le pont. Héranel ne fit aucun commentaire sur le petit bâton qui dépassait toujours du sol pile devant l’endroit où était dissimulée l’échelle de corde, mais Coara vit à son petit sourire contenu qu’il l’avait repéré.

— Je vais descendre en premier par mesure de sécurité, l’informa-t-il.

Il s’engagea sur l’échelle, et elle le suivit dès qu’il fût suffisamment bas. Une fois sur le pont, il sortit un globe de pharme de sa sacoche et ils se mirent en route. La traversée lui parut bien plus courte qu’à l’aller, peut-être en partie parce qu’elle était moins empressée d’arriver. Entre découvrir un lieu qu’elle rêvait de voir depuis des années, et se jeter dans les griffes d’une mère sans doute très agitée à cause de son absence pour lui annoncer qu’elle comptait remettre ça de façon régulière… il était sûr que son degré d’impatience n’était pas le même.

Lorsqu’ils atteignirent le pied de la falaise, elle détacha la corde qui était toujours nouée à la rambarde du pont et se tourna vers Héranel en la lui tendant d’un air interrogateur.

Il secoua la tête :

— Pas besoin, ça doit faire une vingtaine d’années que je n’ai plus eu recours à un système de sécurité lorsque je pratique l’escalade. Mais toi par contre, attache-toi. Tu pourras sûrement t’en passer un jour, mais ce n’est certainement pas encore aujourd’hui.

Elle hocha la tête et noua la corde autour de sa taille et de ses cuisses. Ils grimpèrent côte à côte, la jeune fille jetant malgré elle de temps à autre un petit coup d’œil inquiet en direction d’Héranel. Mais celui-ci semblait aussi à l’aise que s’il flânait dans un jardin, et elle finit par cesser de s’en faire pour lui. Il ne faisait aucun doute en le voyant qu’il aurait tout aussi bien pu faire ça les yeux fermés. Elle se demanda si elle aussi, un jour, acquerrait une telle dextérité.

Le trajet à flanc de falaise jusqu’au trou dans l’enceinte se passa tout aussi bien, Héranel progressait au rythme de Coara en prenant soin de rester à un mètre d’elle tout en l’observant faire d’un œil appréciateur. Il la laissa s’engager en premier dans le petit tunnel puis l’y suivit, non sans difficulté. Il n’avait pas été creusé pour laisser passer un homme adulte, et il ne lui fut pas évident de s’en extirper. Lorsqu’enfin, il émergea, il poussa un discret soupir de soulagement, puis il posa une main sur l’épaule de Coara et lui murmura :

— Un jeune garçon est endormi dans cette cabane.

La jeune fille sursauta. Elle s’était persuadée qu’Ebry aurait fini pas rentrer chez lui, sans doute mort d’inquiétude, mais bien au chaud. Et dire qu’il l’avait attendue ici, depuis tout ce temps ! Elle se précipita à l’intérieur de leur abri et le découvrit enfui sous une couche de couvertures.

— Ebry ! Ebry !

Elle le secoua doucement. Son ami entrouvrit un œil, puis, la reconnaissant, il se redressa brusquement.

— Coara ! Enfin !

Il l’étreignit maladroitement, les mains tremblantes.

— Tu en as mis du temps, lui reprocha-t-il d’une voix plus bouleversée que belliqueuse. J’étais tellement inquiet, j’avais tellement peur qu’il te soit arrivé quelque chose !

— Je suis désolée, chuchota la jeune fille, touchée par sa détresse. Il m’est effectivement arrivé plein de choses, mais rien de mauvais, je te rassure. Je te promets de tout te raconter en détail, juste pas maintenant. Je suis, euh… accompagnée.

Le garçon s’écarta d’elle et remarqua la silhouette d’Héranel qui se découpait dans l’encadrement de la porte.

— Ebry, je te présente Lygrec Héranel. Il m’a beaucoup aidée. Maître Héranel, voici Ebry Merauln, l’ami dont je vous ai parlé.

— Enchanté de faire ta connaissance, Ebry, affirma Héranel dans un hiyancarien parfait qui surprit la jeune fille.

— Euh… pareillement, répondit le garçon qui semblait un peu dépassé par les évènements.

— Il va me raccompagner chez moi parce qu’il doit s’entretenir avec ma mère, expliqua la jeune fille à son ami, et il va également nous aider à arranger une rencontre entre toi et quelqu’un qui pourrait te soigner. Je n’ai vraiment pas le temps de tout t’expliquer maintenant, enchaîna-t-elle avant qu’Ebry n’ait pu poser la moindre question, même si j’aimerais bien. Je sais que ça a dû être très dur pour toi d’attendre tout ce temps, mais j’ai tellement de choses à te raconter que ça prendrait des heures et je ne peux pas faire attendre maître Héranel tout ce temps, ajouta-t-elle d’un ton d’excuse. Est-ce que tu veux bien attendre demain ? S’il le faut, je sécherai les cours pour te rejoindre le plus tôt possible !

Ebry la sonda de ses grands yeux bleus hagards, l’air un peu perdu. Puis, face à la mine si mortifiée de son amie, il céda :

— D’accord, d’accord, soupira-t-il. Mais tu auras intérêt à n’omettre aucun détail !

Coara lui sauta au cou :

— Tu es le meilleur !

Elle le serra fort avant d’ajouter :

— Merci de m’avoir attendue tout ce temps. Je ne sais pas ce que je ferais sans un ami comme toi.

Elle se releva et Ebry se détourna, manifestant un intérêt soudain pour ses affaires éparpillées autour de lui qu’il fit mine de rassembler.

— Il faut que j’y aille maintenant, annonça la jeune fille, ça ira pour rentrer ?

Penché en avant, le garçon hocha la tête tout en remplissant son sac :

— Oui oui, vas-y. On se voit demain.

— Sans faute, c’est promis !

Et la jeune fille tourna les talons pour rejoindre Héranel qui était allé l’attendre dehors. En silence, elle guida celui-ci à travers champs jusqu’à la demeure des Lore. Arrivés devant le portail, elle contourna celui-ci pour entraîner Héranel à l’endroit où elle escaladait généralement le muret. Il l’observa faire d’un œil intéressé, avant de la rejoindre en quelques gestes rapides et fluides. Ils traversèrent le jardin jusqu’à la porte d’entrée, mais lorsque Coara fit mine de l’ouvrir, Héranel retint son geste :

— Il vaut peut-être mieux annoncer notre arrivée en sonnant.

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