Partie II

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Les jours suivants furent tous les mêmes. Cours, révisions, une sortie par-ci, par-là, quelques messages de la part de Matthieu, qui était tout aussi débordé qu'elle. Ces jours finirent par se muer en une semaine, puis en deux. Rien ne se passait. Rien que du quotidien, du quotidien et du quotidien. En un sens, Andréa en était pleinement satisfaite. Moins elle aurait à s'occuper de problèmes inattendus, plus elle pourrait se concentrer sur ses révisions.

Pourtant, au bout deux semaines et trois jours, un événement inhabituel se produisit.

Andréa était, comme presque tous les soirs, assise sur son clic-clac, un œil sur ses manuels, l'autre sur un programme quelconque choisi au hasard du zapping quand on frappa à la porte. Elle se demanda tout d'abord si elle n'avait pas rêvé, mais décida d'aller vérifier tout de même. Il arrivait parfois à sa voisine du dessous de venir lui emprunter sel, sucre ou farine, selon ce qui lui manquait ce jour-là.

Mais il n'y avait personne sur le palier quand Andréa ouvrit la porte. À ses pieds, en plein milieu du paillasson, trônait un bol recouvert de cellophane. Elle se pencha pour l'examiner. Il était encore tiède au toucher et accompagné d'un petit mot écrit à l'encre : « Réchauffe-moi ». De la condensation s'était formée sur le film plastique et il était impossible de voir ce qui se trouvait en dessous. Andréa décida de prendre le bol et le posa sur le plan de travail. Elle décolla lentement la cellophane brûlante, la vapeur recouvrant les verres de ses lunettes à mesure qu'elle s'échappait. Chaud comme il était, le plat devait avoir été préparé à peine une heure auparavant. Peut-être moins.

Le plat sentait bon ; vraiment très bon même. Andréa se saisit d'une fourchette et remua le contenu du bol. Il s'agissait de nouilles épaisses et blanches, flottant dans un bouillon ambré qui sentait des épices sur lesquelles Andréa avait du mal à mettre un nom. Un demi œuf dur était posé sur des tranches de viande à la chair rouge, sans doute du bœuf, le tout saupoudré de morceaux de feuilles de poireau. Andréa sourit. Aucun mot ne figurait sur le message, mais il n'y avait qu'une seule personne qui aurait eu l'idée de faire un chose pareille. Elle sortit son téléphone de sa poche et envoya un message à Matthieu :

Merci pour ce repas :)

Elle savait qu'elle n'aurait sans doute pas de réponse avant plusieurs heures. Entre ses cours qui duraient parfois jusque tard le soir et son travail de serveur à mi-temps, il était rarement disponible.

Andréa s'installa devant son bol, se munit de baguettes en bois, vestiges de sa dernière commande chez le chinois du coin de la rue, quelques semaines auparavant. Ces nouilles étaient les meilleures qu'elle avait jamais mangées. Ce n'était pas un plat des plus compliqués et pourtant, elle aurait eu du mal à définir tout ce qu'il contenait. Elle reconnut le goût du poivre et du gingembre dans le bouillon mais le reste des ingrédients lui échappait. La viande était plus tendre que celle qu'elle avait pu manger jusque-là, à mi-chemin entre le bœuf et le veau. Elle vida le bol jusqu'à la dernière goutte, en un temps record. Elle avait rarement aussi bien mangé. Elle s'installa ensuite devant la télévision, sans jamais cesser de se dire qu'elle avait de la chance d'avoir quelqu'un d'aussi parfait que Matthieu à ses côtés.

Il ne répondit pas à son message le lendemain. Ni le surlendemain. Au bout de quatre jours, elle reçut enfin des nouvelles.

✉ ??? :

Coucou :) Désolé, on m'a piqué mon portable l'autre jour au restau. J'en rachète un très vite, promis. Matthieu

✉ Andréa :

C'est peut-être le bon moment pour t'inscrire sur facebook, alors...

✉ ??? :

Même pas en rêve. T'inquiètes, c'est l'affaire de deux-trois juors, max.

✉ ??? :

*jrous

✉ ??? :

*JOURS, PUTAIN

✉ Andréa :

Tout va bien ?

✉ ??? :

Ouais, c'est la fatigue, t'inquiètes ^^' J'en peux plus

✉ Andréa :

Repose-toi alors. Merci pour ton petit plat de l'autre soir, au fait. Ça m'a fait très plaisir.

Il ne répondit pas après cela. Le soir-même, un nouveau bol fut posé sur son paillasson. Trois soirs plus tard, encore un autre. Une semaine s'écoula, et Andréa s'habitua à entendre certains soirs à entendre frapper à sa porte et à retrouver un bol noir à liseré rouge plein de nourriture, toujours meilleure à chaque fois. Des blanquettes, des rôtis, des grillades, et même des abats, qu'Andréa avait toujours détesté mais sur lesquels elle se jeta, cette fois-ci.

Puis, la promesse d'un rendez-vous avec Matthieu juste après les vacances de Noël avait achevé d'élever Andréa sur son petit nuage d'où les petits problèmes du monde qui l'entourait semblaient de plus en plus lointains. Ce ne fut que le jour où Elsa arriva en cours arborant une chevelure blond platine qu'elle se rendit compte que quelque chose n'allait pas. Une question silencieuse et un sourcil levé suffirent, Andréa n'eut même pas à ouvrir la bouche.

— Je sais, ça change mais... euh, c'est... c'est à cause du tueur en série, voilà.

— Pardon ?

— Ben, tu sais, ça en fait déjà huit qui ont disparu et elles habitaient toutes plus ou moins dans le même coin que moi et elles étaient toutes brunes. Alors, je me suis dit, que comme je pouvais pas déménager, j'allais au moins changer de couleur de cheveux, tu vois. Comme ça, je ferais plus partie de... comment ils disent déjà ?

— Son profil de victime ?

— Oui ! Oui, c'est ça. Je préfère pas prendre de risques, tu vois... Ce qu'il leur a fait, c'est vraiment, vraiment horrible...

Andréa regarda son amie et soupira longuement. Ce n'était pas son genre de céder à la panique, elle avait toujours été la plus rationnelle de leur groupe. Peu de choses l'effrayaient, à l'exception des partiels, qui faisaient trembler même les premiers de la promotion. Alors, si elle en arrivait à prendre de telles mesures, c'est que la menace devait être réelle. Andréa avisa ses cheveux clairs, que tout le monde qualifiait de blond vénitien, pour éviter de prononcer le mot tabou de « roux ». Si ce tueur ne s'attaquait qu'à des brunes, alors elle était sans doute tranquille. Elle se rendit compte en même temps qu'elle n'avait pas pris de nouvelles du monde depuis un bon mois, et décida de passer le reste de la journée à écumer les sites d'actualité sur Internet, en écoutant d'une oreille les conférenciers débiter leurs cours.

Avec un groupe d'amis étalés sur plusieurs années et plusieurs filières, elle avait décidé, ce jeudi soir, de sortir dans un bar quelconque, pour pouvoir s'amuser un peu et oublier toute la folie de ses journées de cours. Elle ne s'était pas accordé de vrais moments de détente depuis longtemps, pourtant, après la dernière heure de la journée, elle se sentit prise d'une profonde envie de rentrer et de s'effondrer sur son canapé. Elle réussit quand même à se motiver, en se disant qu'elle n'aurait pas une telle chance de sitôt et qu'il fallait bien qu'elle en profite.

Finalement, une fois arrivée, l'atmosphère de la salle, la chaleur de tous ces corps oppressés autour du bar et autour des tables, alors que des nappes de fumée froide s'échappait de temps à autre de derrière le DJ, lui rappela à quel point elle aimait ce genre de moments. Même le sol collant retenant le bout de ses talons lui semblait un réconfort, face aux longues heures de révisions qu'elle subissait chaque soir.

Elle passa la soirée et une bonne partie de la nuit à naviguer d'un groupe d'amis à l'autre, jonglant entre les cinq ou six personnes qu'elle connaissait le mieux. Plus le temps passait, et plus elle perdait le compte des heures. Elle s'était promis de ne pas partir après une heure du matin, pourtant, quand elle pensa pour la première fois à regarder sa montre, la petite aiguille avait déjà dépassé le deux. La musique s'était déjà arrêtée depuis cinq minutes, et les employés se chargeaient, aimablement mais fermement, de leur faire comprendre qu'il était l'heure de partir.

Le groupe, réduit à une petite dizaine de personnes, s'éparpilla dans les rues. Quatre d'entre eux décidèrent de partir en quête d'un autre bar encore ouvert, éventuellement d'une boîte de nuit, pour continuer la soirée jusqu'au lever du jour. Andréa déclina leur invitation et les abandonna au coin d'une rue, en direction de son appartement. Il n'y avait plus de bus à une heure pareille, elle devrait marcher pendant au moins une demi-heure.

De temps à autres, au détour d'une ruelle un peu glauque, elle regardait au-dessus de son épaule, s'attendant à voir le tueur de jeunes filles surgir dans son dos pour l'emmener avec lui. Comme avec toutes les autres, il la relâcherait trois jours plus tard, ou du moins ce qu'il resterait de son corps mutilé. Elle avait beau se rassurer, se répéter qu'elle ne correspondait pas au profil des autres victimes et que, de toutes manières, il ne sévissait pas dans ce quartier, elle ne parvenait pas à marcher sereinement.

Son téléphone vibra dans sa poche alors qu'elle n'était plus qu'à une centaine de mètres de chez elle.

✉ Samuel :

Est cette qui ensuitee et avvec to ?

✉ Andréa :

???

✉ Samuel :

Elle est cette qu'on est participé avant toi ?

Tout en ouvrant la porte d'entrée de son immeuble, Andréa tenta de déchiffrer le message que son ami venait de lui envoyer. Il avait pas mal bu ce soir et cela s'avérait mission impossible de comprendre ce qu'il avait voulu dire dans l'état où il était. Elle décida d'attendre le lendemain matin, qu'il ait les idées plus claires, pour lui redemander le sens de ce message. De toute manière, se dit-elle en allant se coucher, c'est sans doute pas important. Samuel avait cette furieuse tendance à se focaliser sur les trucs pas importants quand il avait un coup dans le nez.

Après s'être démaquillée, Andréa se jeta sur son lit, s'emmitoufla dans ses couvertures grâce à la technique du burrito qu'elle avait perfectionnée au fil des années. Le bol noir à liseré rouge trônait encore sur son comptoir. Elle l'avait trouvé sur son palier avant de sortir et l'avait déposé à la hâte, sans même prendre le temps de regarder à l'intérieur. Là, bien installée dans son lit, elle hésita à se relever pour aller manger un morceau. Juste histoire de, se dit-elle, à demi-relevée. À force de tergiversations, elle finit par s'endormir, sans avoir bougé de sa place.

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