Quand il faudrait fermer les salles de bain

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21h30 : Mes enfants dorment. Enfin, je crois. Il n'y a plus de bruit, c'est donc qu'ils doivent dormir. De toute façon, que voulez-vous qu'ils puissent leur arriver dans leur chambre, hein ? S'assommer avec un livre en papier cartonné ?

On est d'accord, ils sont en sécurité, et moi en tranquilité. Tout va bien.

Forte de ce doux constat - mes mioches pioncent - , je décide de m'ateler à une tâche que toutes les femmes redoutent. Que toutes les femmes exècrent. Que toutes les femmes abhorrent.

L'épilation.

Oui, je sais, à l'époque du "poil libéré", je pourrais me passer de cette étape cruciale dans le déroulement de ma semaine sauf que, conditionnée ou pas, les poils, je n'aime pas ça. C'est dit.

Une fois dans ma salle de bain, je m'arme de tous les ustensils nécessaire à l'opération, des plus douloureux aux plus effiaces, des plus bizarres aux plus simples, des plus longs au plus courts. Il ne faut jamais sous-estimer l'ennemi. Avoir plusieurs flèches à son arc est un préalable essentiel à toute bataille rondement menée. Ce n'est pas moi qui l'ait écrit, c'est Sun tzu, dans son formidable "Art de la guerre". Du moins, je pense, je ne l'ai jamais lu que par bribes ce machin-là.

Je commence soft. Les jambes. Ce truc, ça va, je gère, et avec la pratique des années, il n'y a quasiment pas de repousse. Ensuite, les aisselles. Déjà, ça pique plus, mais la surface est raisonnable. Je serre les dents, je suis forte, je suis belle, je suis une femme pas libérée du tout, mais je m'en cogne.

Quand ces deux zones sont épurées de toute croissance indésirable, il me faut affronter le pire.

Le maillot.

Sans déconner, si ça, c'est pas une preuve que Dieu nous hait, nous, les femmes ...

Je suis en pleine souffrance exercice quand, soudain, une voix mélodieuse retentit à mes douces oreilles.

"Qu'est-ce qu'elle fait, maman ?"

Perdue dans mes petits couinements de douleur, je ne l'avais pas entendue arriver. Ma fille. Dépassée, dépitée, pas vraiment présentable, avouons-le, je laisse mon instinct de survie reprendre le dessus. Je serre les cuisses.

"C'est des poils ?"

Bon Dieu, cette enfant fera Science Po, c'est sûr.

" Oui, je les enlève"

Autant rester dans le vrai, sur cette partie là.

"Pourquoi elle fait ça, maman ?"

Et voilà, la question tant redoutée vient déjà de franchir les lèvres innocentes. Que répondre ? J'ai envie de balancer un discours bien féministe du type "tu n'es pas obligée de t'épiler dans la vie" sauf que, vous l'admettrez, niveau cohérence, je frise le ridicule.

Après quelques minutes d'intenses réflexions, j'opte pour un savant mélange de vérité et d'ouverture d'esprit.

"Je me fais belle, parce que je n'aime pas beaucoup les poils. Je n'aime pas qu'on les voie alors je les enlève, mais c'est comme on veut, en fait, comme on se sent bien. On n'est obligée de rien, ma chérie. Quand tu seras grande, que tu en auras aussi, tu feras comme tu en as envie, TOI."

Je vous le dis, je ne suis pas peu fière de ma sortie.

"Tu n'as pas de culotte."

Remarque redoutablement vraie.

"Personne y voit sous la culotte".

Remarque ô combien temporaire dans l'existence d'un adulte doté d'une forme de libido. Je n'ai pas le courage de la détromper. Manquerait plus qu'elle se foute à poil à l'école. Sans mauvais jeu de mots.

"Eh bien, c'est vrai, mais quand on va se baigner, on a un maillot de bain, et bon, ça peut se voir."

Je sais pas dans quoi je m'embarque, mais je m'y embarque.

"Maman elle veut pas de poils dans son maillot".

Conclusion somme toute correcte, en tout cas partiellement.

"Voilà."

Alors que je glisse une serviette discrètement sur la zone de combat, ma fille me fait un sourire ravi. Je le sens mal, ce sourire ravi.

"T'as pas de zizi."

Oh bordel, mais achevez-moi.

"Mon frère il a un zizi."

Elle est observatrice, cette petite. Tout sa mère.

"Non, c'est que les garçons. Les filles elles ont autre chose ..."

De l'esprit ? Du bon sens ?

"Papa il dit une zézette."

Je passe un temps non néligeable à me demander d'où viennent ces surnoms délicats pour la sphère génitale. "Zizi, zézette, minette, quéquette, foufoune, petite fleur" et cie. C'est complètement con. Pénus et vulve, c'est pas compliqué à retenir, non ? On appelle pas un "bras", un "nounoune" ?

En même temps, c'est pas très joli, "pénis" et "vulve", à dire. ça colle dans la bouche.

"Maman enlève les poils de la zézette."

Et ce sens brillant de la déduction ! Cette façon de lier ensemble deux informations ! Cette merveilleuse manière de combiner deux éléments pour en élaborer un troisième ! Je serais pas peu fière si je n'avais pas une trouille bleue qu'elle aille porter cette bonne parole à l'ensemble des êtres qu'elle croisera dans les jours à venir.

J'ose pas imaginer la tête du maître, de l'ATSEM, de ma mère, de son père, de toute la planète, en réalité.

Je suis perdue, paniquée, quand je me rappelle que je suis une maman formidable et, comme toutes les mamans formidables, j'ai toujours la réponse à ce genre de tracasseries.

"Mais attends un peu, qu'est-ce que tu fais là, toi ? Tu devrais être au lit, à cette heure-ci ! Je suis fâchée, tu aurais dû rester dans ta chambre ! Non mais c'est quoi, ça ! Allez, au dodo."

A moitié nue, à moitié épilée, je raccompagne ladite gamine au fond de son pieux. Elle ne moufte pas, prend son doudou et se couche.

Alors qu'elle s'endort paisiblement, je redescends, tremblante, terminer l'opération en cours, en priant de toutes mes forces pour que demain, cette scène ne soit plus qu'un lointain souvenir dans sa petite tête d'enfant. Parallèlement, je songe qu'il faut que je commence à mettre de l'argent de côté. Pour sa thérapie future.

Deux jours plus tard, l'incident n'a fait aucune victime. Je croise les doigts pour que ça continue. C'est dingue comme les enfants peuvent sortir de vieux trucs de leur esprit aux moments les plus inopportuns.

En tout cas, la leçon est apprise. Toujours fermer une salle de bain.

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