Chapitre 6 Kyuukei no toki (Durant la pause)

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Mina

 Mon œil averti scrute l’horloge à s’en décoller la rétine. Le mur trop blanc sur lequel elle est accrochée me flanque la migraine. Je me masse les tempes tout en jurant dans ma tête. Au moins, quand je faisais la circulation à Arakawa, je ne me trouvais qu’à quelques pas du Rokumeikan. Maintenant qu’Asakusa m’a assise à ce bureau dans le poste de Shinjuku où j'étais censée être affectée à la base, je suis surveillée. Et il n’est pas de bon ton que je quitte le boulot avant mes supérieurs qui pianotent encore sur leurs claviers ou papotent autour d’un gobelet de café alors que j’ai fini de traiter de la paperasse ennuyeuse. Il ne me reste plus rien à faire, mais je dois faire semblant du contraire. Pour m’occuper de manière utile, je calcule le temps qu’il me reste pour faire le trajet jusqu’à Arakawa depuis le poste et celui pour rentrer chez moi avant le couvre-feu. En fait, il faudrait que je parte d’ici cinq minutes pour que le jeu en vaille la chandelle. J’ai besoin de voir mes amis, de souffler, même si je quitte le cœur du Dôme pendant quelques instants.

 Je balade mon regard dans l’open space jusqu’à ce qu’il se pose sur la fenêtre la plus proche de moi. L’orage gronde. Les moussons artificielles du mois de juin ont commencé, en se calquant apparemment sur le calendrier de l’avant-guerre, lorsqu’il pleuvait encore de façon naturelle. J’observe les éclairs bleu électrique et mauve tout en me demandant s’ils étaient réellement comme ça avant. Asakusa, depuis son bureau, me regarde par-dessus son monocle, les lèvres en cul de poule. Il affiche un air suspicieux qui m’agace. Il perçoit mon oisiveté. Or, je devrais avoir fini mon service depuis au moins une heure. De plus, j’ai beau me creuser les méninges pour trouver quelque chose à faire, plus rien ne semble me retenir ici. Je traîne donc mon ennui, ainsi que mon excitation à l’idée d’aller voir mes amis. Je tente de contrôler ma jambe impatiente sous la table en métal afin de ne pas me faire remarquer. J’en viens même à me mordre l’intérieur des joues lorsque je sens mon pendentif vibrer contre mes clavicules. Je souris lorsque je constate que personne ne m’a remarquée. Je me lève et prends la direction des toilettes lorsque mon supérieur m’intercepte :

— Vous rentrez déjà, agent Mori ?

— Non, Chef ! Je vais juste aux toilettes.

— C’est dingue à quel point les femmes ont une petite vessie. Mon épouse est également concernée par cette…problématique. Allez-y, mais ne trainez pas trop !

 Je ravale mes larmes face à cette remarque sexiste en même temps que la réponse qui me vient à l’esprit, mais que je ne peux formuler à voix haute. Je meurs d’envie de lui rétorquer : « En même temps, les femmes qui ont un mari ou un patron misogyne s’enferment peut-être régulièrement au cabinet pour ne pas être dérangées ? », mais je me tais. Après tout, je m’exposerais au mieux à un blâme, au pire à un renvoi, si je devais me dresser contre mon supérieur. Et le tout sans obtenir aucun résultat. Je pense sincèrement qu’il est préférable pour moi de ne rien répondre. J’espère simplement que, bientôt, ses mots blessants couleront sur moi comme de la pluie sur une toile cirée.

— Merci pour votre autorisation, Chef ! Je vous promets que je ne serai pas longue, réponds-je en m’inclinant. Je ne me redresse que très peu, la tête toujours baissée, pour me frayer un chemin. Je croise avec bonheur ma collègue Yuka. Je lui offre un sourire discret, qu’elle me rend. Nous nous saluons, bien que nous nous soyons déjà vues ce matin.

— Bonjour, agent Mori.

— Bonjour, agent Yamamoto.

— Alors, vous aussi vous vous échappez d’Asakusa ? me chuchote-t-elle.

— Oui, et j’aimerais aussi consulter un message sans être épiée. Et vous ?

— Je viens justement de fumer à la fenêtre des cabinets pour dames, glousse-t-elle, tout excitée. Je sens dans ses yeux qu’elle se prend pour une rebelle. Je trouve ça très mignon.

— Vous avez bien fait ! la soutiens-je, bien que je ne sois pas persuadée d’approuver à cent pour cent son comportement. Ensuite, elle retourne rapidement à l’open space tandis que je prends place dans la seule cabine disponible.

 Une fois à l’abri des regards, j’extirpe mon coquillage de mes habits. Je dois y mettre un peu d’efforts tant celui-ci est plaqué contre ma poitrine afin d’échapper à la surveillance de mes collègues et supérieurs. Je tire légèrement sur ma chaîne qui se rallonge automatiquement, m’offrant plus de jeu. Je tapote l’ouverture de la coquille circulaire, et un hologramme apparaît. Je baisse le son au minimum et appuie dessus. L’image de Sumire se dessine bien vite contre la porte. Ma dame de compagnie chuchote. Finalement, le tout en devient presque inaudible.

— Coucou Mina, tu vas bien ? J’espère que ce n’est pas trop dur au boulot. En tous cas, je voulais t’informer que tes parents se rendent à un gala de charité ce soir. J’ai entendu les autres domestiques en parler. Les enfants des invités ne sont pas acceptés donc tu n’y es pas conviée. Et ton chaperon est souffrant depuis ton départ ce matin. Tu pourras peut-être profiter plus longuement de tes amis ce soir. Préviens-moi simplement de tes plans. Je compte sur toi pour ne pas faire de bêtises. Je te souhaite une bonne journée.

 Ce flot de bonnes nouvelles me réjouit. J’envoie un message rapide, sans hologramme, dans la conversation de groupe que Sisi a créée. Ji Sub a réussi à paramétrer mon téléphone pour que je puisse utiliser la technologie des SMS, comme eux. Je sors des toilettes en sautillant presque. Je me reprends bien vite. Je dois faire attention. Je n’ai nullement envie de me faire démasquer quant à la vraie raison de mon passage au petit coin, ni même de discuter avec mes collègues, exclusivement masculins, en risquant de leur dévoiler mes activités du soir. Celles-ci pourraient être taxées de débauche de ma part, ce n’est pas interdit mais, malgré tout, je pense qu’il vaut mieux ne pas tenter le diable.

 Pour couronner le tout, je vois qu’Asakusa laisse place à son homologue de l’équipe de nuit. Je souris en pensant que, d’ici cinq minutes, je quitterai le boulot. Les astres semblent décidément bien alignés. J’en profite donc pour rejoindre ma place, ranger mes dossiers et fermer ma session sur la tablette numérique de mon poste avant de me diriger vers les casiers. Je prends mes affaires lorsqu’un collègue s’étonne et m’épingle en haussant le ton afin que tout le monde l’entende :

— Hey, agent Mori, qu’est-ce que vous trimballez là ? On dirait du plomb dans votre sac !

— Rien qui ne vous concerne, agent Inoue ! lâché-je, excédée. Je referme la porte de mon casier en faisant exprès de la faire claquer.

— Allez, faites-nous voir ! On est curieux, s’en mêle un autre. Je soupire. Ce n’est vraiment pas le moment de me chercher.

— Vous voulez vraiment connaître le contenu du sac d’une femme ? C’est indécent !

— Allez, montrez-nous ! insiste l’agent Inoue en s’emparant de mon bien. Les vestiaires hommes-femmes devraient être mieux séparés, déploré-je pour moi-même. Seul un petit paravent, traînant dans un coin, nous permet de nous changer. Inoue tire mon sac vers lui. Je m’y agrippe et lui donne un coup de genou dans les bijoux de famille. Il hurle de douleurs en tombant au sol.

— Tu vas me le payer, salope ! J’en parlerai à Asakusa.

— Ah oui ? As-tu vraiment envie de te vanter du fait d’avoir été frappé par une femme ? s’il se permet de me tutoyer, alors il n’y a aucune raison que je n’en fasse pas de même.

 Attiré par le bruit, notre chef débarque et remarque Inoue au sol. Ce dernier se tient l’entrejambe. Mon cœur bat à tout rompre. J’essaye de paraître impassible tout en n’ayant aucune idée de ce que renvoie mon visage en ce moment.

— Tout va bien ici ?

— Oui, Chef ! L’agent Inoue s’est simplement cogné en ouvrant son casier, le l’informé-je en mentant de façon éhontée. Je me surprends à ne plus avoir le moindre scrupule à dire des mensonges. Asakusa affiche une mine désespérée, retire son monocle qui pend désormais sur son torse, se masse le sommet de l’arête du nez en fronçant les sourcils, et s’exclame :

— Bon, calmez-vous et rentrez chez vous. Je ne peux plus vous voir. J’ai besoin d’un bon bain chaud relaxant. Non mais qui m’a foutu une équipe de bras cassés pareille ? demande-t-il au ciel.

 Asakusa termine sa réplique en partant de façon théâtrale. Je réprime un rire. Lorsque la porte est fermée, je souris à pleine dents et hisse mon sac sur mon épaule.

— T’es monstrueuse ! geint Inoue.

— Merci pour le compliment. A demain tout le monde, claironné-je en quittant la pièce.

 Une fois à l’extérieur, je hume l’odeur des gouttes qui s’abattent sur l’asphalte et ouvre mon parapluie. Je rejoins bientôt une masse de gens, employés et étudiants, qui se dirigent, comme moi, vers la gare de Shinjuku. Nous formons un banc entier de poissons remontant le courant sous une cloche en plastique pour nous abriter de l’eau qui tombe. Je sautille légèrement vers le tramway qui arrive en même temps que moi à l’arrêt. J’aimerais danser, mon corps tout entier souhaite s’exprimer, mais je ne peux pas en faire davantage. Mon sourire ne n’a toujours pas quitté mon visage et s’élargit à mesure que je constate la chance qui m’accompagne aujourd’hui. Comme pour confirmer cette impression confortable, une place assise m’attend à l’intérieur du transport. J’y pose mon postérieur et admire le paysage qui défile devant mes yeux. L’orage devient de plus en plus lointain à mesure que nous nous approchons d’Arakawa. Le véhicule est presque vide. Peu de personnes se rendent à là-bas, d’autant plus à cette heure tardive.

 Même s’il fait moins chaud en ce moment, grâce aux pluies, bien que distantes, je me pose mon masque à oxygène sur mes lèvres une fois arrivée à l’arrêt souhaité. Lorsque j’arrive au Rokumeikan, Sisi m’accueille avec un grand sourire. Comme d’habitude en fin d’après-midi, son bar est calme. Seuls quelques habitués jouent aux cartes dans un coin. Ji Soo dessine de manière appliquée sur le comptoir. Sisi me prend dans ses bras de façon légère, sans me serrer. Elle pose simplement ses mains sur mes omoplates. Ce contact me fait du bien, même si je n’y ai jamais été habituée. Je le lui rends néanmoins et nous nous sourions en nous saluant. Je fais cependant un détour aux toilettes, encore, pour me changer. J’enfile avec bonheur une longue robe en jean rapiécée à un endroit à l’aide d’un tissu rouge. Elle m’arrive aux chevilles. Je trouve ça très pratique de ne pas devoir m’embarrasser de crinoline ni de corset. Je remplace ce dernier par deux coques maintenues entre elles par une sorte d’élastique qui se ferme à l’aide d’agrafes. Sisi m’a dit que ça s’appelait un « soutien-gorge ». Je couvre mes pieds nus avec des chaussettes blanches montantes et des mocassins. Je noue mes cheveux en une queue de cheval basse et regagne ensuite la grande salle presque déserte :

— Alors, tu veux boire quoi ?

— Du café s’il te plaît, merci !

— Waouh, à ce rythme tu vas devenir accro !

— Je le suis déjà ! reconnais-je dans un rire. Le sien résonne en écho à ce dernier.

— Bientôt l’alcool ? me taquine-t-elle tout en espérant certainement que je m’y mette un jour.

— On verra. Un produit addictif à la fois…

 Je la contourne ensuite pour dire bonjour à la petite qui affiche une moue absolument adorable dès qu’elle me voit. Elle gonfle ses joues roses et regarde ses pieds qui donnent de petits coups dans le tabouret à côté du sien.

— Coucou Ji Soo.

— Coucou agent Mori. Vous allez bien ?

— Très bien, merci, et toi ? Au fait, on en a déjà parlé mille fois mais n’hésite pas à m’appeler Mina, hein ? Et tu peux me tutoyer !

— D’accord, je vais essayer.

— Ne t’inquiète pas, au pire ce n’est pas très grave, tenté-je de la rassurer.

 Sisi ondule et allonge son corps afin de passer par-dessus le comptoir pour atteindre la cafetière. Ses talons vertigineux l’aident-ils ou la pénalisent-ils ? Oserai-je un jour lui poser la question ? Ses chaussures m’intriguent énormément. J’ignore l’effet que cela fait d’être juchée sur de pareilles aiguilles.

 Je me glisse sur notre banquette habituelle en caressant son velours mauve foncé du bout des doigts. Sisi m’y attendait déjà, rapide comme l’éclair. Elle me sert, prend un instant pour vérifier si on a besoin d’elle aux alentours et, une fois assurée de la négative, enlève son tablier blanc pour s’accorder une pause. Elle s’assoit face à moi, se fait également couler une tasse, et la met au niveau de ses lèvres sans pour autant les toucher avec le récipient :

— Alors, raconte ? Quoi de neuf au boulot ?

 En deux mois, j’ai appris énormément de choses ici, dont la manière de décoder le langage de mon amie, voire à l’aimer. Nos traducteurs ont beau faire de leur mieux pour traduire notre conversation simultanément, nos manières de parler sont bel et bien différentes. J’aime le fait que nos appareils ne tentent pas de gommer ces points de divergence entre nos façons de nous exprimer.

— Il m’est arrivé une chose plutôt positive. Asakusa me donne un peu plus de responsabilités. Je ne fais plus la circulation à Arakawa. Je suis devenue un gras de papier.

— C’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

— Je sais pas trop…Faire la circulation à Arakawa n’est pas chose aisée, comme tu le sais, entre la pollution, les températures plutôt extrêmes, les conducteurs complètement fous…En plus de la position debout toute la journée.

— C’est mieux d’être assise tu crois ?

— Dans un bureau climatisé sous le Dôme, je crois que oui. Mais je m’ennuie un peu et cela m’éloigne de vous…Et je rêvais d’un peu plus d’actions…Enfin, heureusement, Sumire m’a prévenue avant que je ne me mette en route pour venir ici que mes parents rentreraient tard et que mon chaperon n’était pas en état de me surveiller correctement ce soir…J’ai presque quartier libre !

— C’est super ça. Tu restes manger, hein ?

— Et comment !

 Au départ, une petite voix me soufflait qu’ils souhaitaient peut-être se servir de moi à cause de l’identité de mon père ou de mon travail, voire les deux. Mais ils ne m’ont demandé aucun service depuis notre rencontre. Nous grignotons simplement des cookies, du poulet ou des ramen pendant que nous buvons et papotons avec Ji Sub. Nous nous envoyons aussi des images qui bougent dans notre salon virtuel.

 Ji Sub fait justement son entrée. Il passe la porte, salue des clients d’une main encore sale de cambouis, embrasse sa fille en émettant des gazouillis dans son cou, lui arrachant un rire incontrôlé, et nous rejoint. Il s’assoit à côté de Sisi l’écrasant presque. Celle-ci ne se laisse pas faire :

— Pousse-toi, il faut que je puisse sauter à une autre table à tout instant.

— Ça va, ça va, marmonne-t-il en se levant. Ils intervertissent leurs places. Ji Sub respecte moins mon intimité et se penche tant au-dessus de la table que nos visages se retrouvent proches l’un de l’autre. Je sens son souffle sur ma peau, de façon à la fois légère et perturbante.

— Salut Mina.

— Salut Ji Sub.

— Bonjour quand même, hein ? râle Sisi. Ji Sub fait exprès de l’oublier pour la taquiner.

— Alors, vous racontiez quoi de beau les filles ?

— Figure-toi que Mina ne fait plus la circulation à Arakawa. Elle est dans un bureau à Shinjuku !

— Waouh, toutes mes félicitations !

 Ses yeux noirs se plantent dans les miens. Il y pétille une émotion que je ne parviens pas à reconnaître, comme si des flammes dansaient derrière ses pupilles aussi sombres que ses iris. Celles-ci se confondent parfois jusqu’à devenir un miroir couleur ébène, à la fois profond et étincelant.

— Merci, mais ce n’est pas vraiment une promotion hein…J’ai juste été affectée à un travail administratif. Je reste assise dans l’open space toute la journée, rien de plus. Je n’assiste aucun enquêteur et je ne fournis pas le moindre travail sur le terrain de façon générale. En plus, je suis plus loin du Rokumeikan maintenant. Mais, au moins, je ne me bousille plus la santé.

— Pas comme nous qui y vivons en permanence.

— Pardon Ji Sub, je te présente mes excuses. J’ai fait preuve de maladresse.

— C’est rien, t’as raison après tout. S’ils t’ont mise là au début, c’est justement car tu débutais. S’ils commencent à ne plus t’affecter à la circulation d’un quartier pourri, c’est qu’il y a du progrès. C’est cool pour toi.

— Je te remercie, Ji Sub. Je crois que tu as raison, j’ai l’impression de faire petit à petit mes preuves. Mon chef me crie moins dessus. Il fait toujours des remarques sexistes mais, à part ça, je sens qu’on progresse.

— Pour fêter ça, tournée générale de poulet frit pimenté ! C’est moi qui invite ! hurle Ji Sub qui se fait acclamer par les clients. Le bar se remplit petit à petit. Sisi se lève et pince l’oreille de son ex-mari:

— Tu vas payer avec quoi ? T’es fauché.

— Vous utilisez parfois de l’argent ici, et non le troc ? demandé-je, étonnée.

— Mmmh, on doit souvent choisir la technique du troc comme il est d’usage dans le quartier, mais j’ai parfois besoin de monnaie sonnante et trébuchante. La propriétaire initiale du lieu, la cogérante du Rokumeikan, est une Shin-Nihonienne, comme toi. Je lui paye la moitié du loyer avec votre argent, car c’est ce qui l’intéresse. Donc, quand les clients le peuvent, ils revendent parfois leurs objets au marché noir pour me payer. Les habitués sont au courant. Ji Sub aussi. Mais il déteste l’idée de céder ses « petits bijoux » à des Shin-Nihonniens.

— Dis donc, ce ne serait pas une forme de racisme ? m’indigné-je. Ji Sub me fusille du regard.

— Ah bon ? C’est moi le raciste ? Le racisme envers des gens privilégiés existe-t-il vraiment, selon toi ?

— En tous cas, ce n’est ni plus ni moins que de la discrimination, affirmé-je avant de me retourner vers Sylvie pour poursuivre :

— Sisi, mon père me donne une partie de mon salaire en liquide, à la fin du mois. Enfin, à chaque fois qu’il juge que j’ai fauté, il m’enlève une certaine part mais, quoi qu’il en soit, je peux certainement te payer autrement qu’avec des locations de livres sur le Rokumeikan d’origine et l’ère Meiji.

— Merci Mina, c’est adorable de ta part. Pourquoi pas.

— En tous cas, Ji Sub, que ce soit en yens ou en troc, comment comptes-tu me payer ?

— On verra ça plus tard non ?

— Non.

— Ah…D’habitude cette technique fonctionne.

— Sauf que, aujourd’hui, ton ardoise est pleine mon ami.

— Je vais payer, j’ai sûrement assez d’argent sur moi. Combien ça fait ? demandé-je.

— Merci Mina, je t’apporte la note. Ce sera sûrement aux alentours des 4500 yens.

— Je pense que c’est bon.

 Tandis que Sisi s’éloigne de nous pour préparer cette grosse commande, Ji Sub me regarde de façon insistante. Je me sens mal à l’aise.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Rien !

— Cesse de bouder comme un enfant.

— Je suis plus vieux que toi, je te signale.

— Et alors ? On peut être un adulte et se comporter comme un gamin, non ?

— Oui, en effet. Bon, très bien, je boudais. Je l’avoue. Mais c’est moi qui avais proposé la tournée.

— Tu m’en veux car j’ai payé ?

— Et aussi parce que tu me prends de haut avec cette histoire de vente sur le marché noir. J’ai le droit de vendre mes produits à qui je veux, non ?

— Si tu choisis ta cible en fonction de son origine, c’est de la discrimination, je le maintiens.

— Pfff, allez, c’est une gamine privilégiée qui va me faire un cours sur ce qu’est la discrimination maintenant…soupire-t-il sur un ton que je juge dédaigneux. Je me lève en serrant les poings.

— Pourquoi donc prendre la peine de discuter avec moi tout le temps si cette image de gamine pourrie gâtée que tu t’es préconstruite dans ta tête te convient ?

— Le prends pas mal. Si je voulais pas discuter avec toi, je le ferais pas. Je suis pas maso tu sais. Il y a une raison derrière toutes nos conversations.

 Je me rassieds, consciente d’être regardée par tout le monde, et l’interroge :

— Et laquelle, je te prie ? A part le fait que tu aimes m’insulter.

— Je te trouve intelligente, en dépit de tes privilèges. Je considère que toute personne qui sort de sa zone de confort est intéressante, c’est tout.

 Ses compliments coulent en moi comme du miel, mais coincent au niveau de ma poitrine. Si je comprends bien, je suis digne d’intérêt à ses yeux car je coche une case que je ne suis pas la seule à remplir. Il apprécie peut-être d’autres personnes grâce à cette caractéristique. Si c’est le cas, je ne suis donc pas vraiment spéciale pour lui. Piquée, je rétorque :

— Donc, pour toi, je suis un phénomène de foire, c’est ça ?

— Mais non…

— En tous cas, si tu es réfractaire à une communauté toute entière, toutes les meilleures raisons du monde ne changeront rien au fait que tu la rejettes.

— Et pourquoi ça semble tant te toucher ?

— Parce que je reste Shin-Nihonienne, même si je commence à me vêtir de jean et à ne plus mettre de crinoline. C’est dans mon sang. Moi, je viens à Arakawa plusieurs fois par semaine, j’y ai un peu travaillé…Mais toi, tu insultes l’Empire d’où je viens sans vergogne. Tu oublies que, en faisant ça, c’est un peu comme si tu m’insultais, moi aussi.

— Je vois. Je comprends tes arguments. Tu vois, quand je te disais que tu es intelligente…Tu comprends beaucoup de choses. Je suis désolé de t’avoir blessée.

— Je te remercie pour tes excuses et les accepte.

 Pour toute réponse, il lève la bouteille de bière que vient de lui apporter un serveur. J’en fais de même avec ma tasse. Cette dernière contient encore suffisamment de liquide pour que nous puissions trinquer. Je la termine ensuite d’une traite. Le poulet arrive à peine ai-je reposé le contenant en céramique. Sisi se laisse choir sur la banquette, pour souffler deux ou trois minutes.

— Vous parliez de quoi ?

— Eh bien, Mina m’a traité de raciste simplement parce que je refuse de vendre mes bécanes à des Shin-Nihonniens.

— Je n’ai pas dit ça ! J’ai parlé de ton comportement, pas de ta nature. Les deux peuvent bien sûr être liés mais pas dans ce cas. Je crois que, malgré toi, tu as fait preuve de racisme sur ce coup là. Mais ça ne fait pas de toi un raciste.

— Tu vois, elle est intelligente hein ?

— Tu te moques là, on dirait…

— Je te taquine, c’est tout.

— Bon, en tous cas, je suis d’accord avec Mina. On dit pas que tes raisons sont pas valables, Ji Sub. Mais tu t’interdis des ventes qui pourraient être rentables pour toi. Pour moi aussi, et également pour ta fille.

— Parce que j’ai des principes, se justifie-t-il.

— Oui mais tu généralises en mettant tous les Shin-Nihonniens dans le même panier. Mais regarde Mina. Même si c’est la fille de l’un des Créateurs, et qu’elle est riche, c’est une fille bien. Tu réalises pas que tu es pétri de préjugés ?

— Mmmh…Non, pas vraiment.

— C’est marrant, j’ai l’impression d’avoir déjà eu cette conversation sur tes préjugés quand on était encore mariés…constate son ex.

— Bref, j’ai jamais été d’accord avec toi. Je suis quelqu’un de très ouvert d’esprit. Mais tu as raison sur un point, ma chère Sisi ! Mina est différente, sourit-il en rejetant la tête en arrière tandis qu’il avale une gorgée de Kirin.

— Bon, je reprends du service. Ji Sub, Mina a toute la soirée à nous consacrer. La fais pas fuir, s’il te plaît. Mes pauses sont plus amusantes quand elle est là.

— Sympa pour moi…

 Sisi saute sur ses talons et court pour rejoindre une table à l’autre bout de la salle.

— Bon, donc, comme mon ex-femme me l’apprenait à l’instant, ça se passe mieux à ton boulot ?

— Oui, du moins je pense que c’est un changement plutôt positif.

— Tu penses que t’auras plus de responsabilités avec le temps ?

— Je l’ignore, mais l’espère fortement. Pourquoi ?

— Parce que, quand je t’ai rencontrée, tu venais de débuter et tu semblais adorer ce métier même si on te marchait dessus. Je t’admirais pour ça mais j’espérais vraiment que tu te finisses par te rendre compte de ta valeur et que t’allais te battre pour le prouver au monde comme tu le mérites.

— Mmmmh, on me marche encore dessus à vrai dire. Mais j’en ai marre d’être une petite fille sage. Tout à l’heure, par exemple, l’un de mes collègues a voulu me malmener en oubliant que j’avais également fréquenté l’Académie. Ce qu’il ne sait pas c’est que, en plus, j’ai dû travailler plus dur que lui donc je sais le battre. Le fait qu’il l’ait omis en me sous-estimant a joué en ma faveur.

Tandis que je prononce ces mots, je remarque que le regard de Ji Sub s’illumine.

— Je suis ravi d’apprendre que tu ne te laisses plus faire. Tu as changé, c’est cool. Mais, s’il te plaît, ne change pas tout chez toi...

 Une douce chaleur se répand dans mes veines et monte dans mon corps, de mes orteils à ma poitrine. J’essaye de la faire redescendre avant qu’elle n’atteigne mes joues.

— Je pense que ça m’aide beaucoup d’avoir des amis comme Sisi et toi, me confié-je.

— Je suis ravi d’apprendre ça, articule-t-il avec douceur.

 Je ne sais plus quoi répondre. Heureusement, Sisi arrive bien vite avec une nouvelle tournée de poulet frit.

— Chaud devant ! Alors, vous parliez de quoi ?

— Mina m’apprenait qu’elle s’imposait davantage auprès de ses collègues grâce à nous, que le fait d’avoir des amis qu’elle pouvait voir régulièrement lui faisait du bien.

 Sisi le fusille un bref instant du regard. Son expression faciale ne dure pas longtemps, comme si elle reprenait Ji Sub pour une chose qui m’était inconnue et devait le rester. Un pressentiment me serre le cœur. Je n’aime pas ça du tout.

— Sisi, Ji Sub…Vous me cachez quelque chose ?

— Mais non, bien sûr que non, suffoque Sylvie.

— T’es parano, me tacle Ji Sub.

— Sympa…Je ne pense pas être parano, non. Sisi t’a lancé des éclairs avec les yeux, comme si tu avais dit quelque chose de mal. Et, maintenant, elle balbutie presque et toi tu m’insultes. J’ai l’impression que c’est un moyen de défense que tu utilises souvent, n’est-il pas ? Dès que je dis quelque chose qui ne te plaît pas, tu me balances des piques à la figure. Et, comme tu l’as si bien dit tout à l’heure, je ne me laisse plus faire et c’est une bonne chose. Alors dites-moi ce qu’il y a !

— Je suis désolé Mina, encore une fois…Je m’excuse sincèrement. Je voulais pas insinuer que tu étais folle, loin de là. C’est juste qu’entre tes collègues, ton patron, et ton environnement général qui n’est pas clément envers toi, il aurait été normal que ça te rende parfois un peu sur la défensive. Y’a pas de mal à ça. Tu sais, même si les circonstances sont différentes, c’est pareil pour moi et Sisi, on est toujours sur le qui-vive à cause des forces de l’ordre qui veulent nous chasser d’ici, et aussi parce qu’on est en cavale depuis notre adolescence…Mais on s’accepte les uns les autres, pas vrai ? On t’apprécie, rassure-toi.

— Bon…

 Je laisse ma phrase en suspens pour me laisser le luxe de la réflexion. Mais, si je devais passer un encéphalogramme maintenant, il serait probablement plat. Mon cerveau, habituellement traversé par un flux impressionnant de pensées, se laisse finalement aller. Le blanc s’installe dans ma boîte crânienne et ma vision se trouble. Je ne sais plus où j’en suis. Complètement hagarde, je réponds simplement :

— Merci de m’apprécier telle que je suis, cela me touche profondément et je te remercie pour ta compréhension. Il est vrai que je ne suis pas toujours comprise, à Shin-Nihon.

— Mmmh, je pense que t’es globalement une Shin-Nihonienne qui s’assume et qui est fière de l’être. Mais t’es pas que ça. Je crois que c’est plutôt ta famille qui t’accepte pas trop, non ? Tout vient peut-être de là…Si tu te sens mal avec les tiens, ça me paraît normal que t’aies des difficultés à nouer des contacts avec les autres de manière générale.

 Touchée en plein cœur, par sa remarque plus que pertinente, je ne réponds rien. Je prends le temps de réfléchir. Cette fois, ma matière grise semble avoir repris un fonctionnement normal.

— J’avais jamais vu les choses sous cet angle…C’est très intéressant. Il serait sans doute judicieux que je médite là-dessus.

— Tu vois, je suis pas si con que ça, hein ? lance-t-il dans un sourire qu’il cache rapidement par le goulot d’une bouteille en verre brun.

— Tu es tout sauf con, lui assuré-je.

— Ah oui ? Tu me trouves intelligent ?

 Je ne saurais dire si c’est l’effet de l’alcool ou celui provoqué par une certaine émotion mais, en tous cas, les yeux de Ji Sub tremblent. En cet instant précis, ils me font penser à deux petites opales noires un peu sales, comme vitreuses.

— Bien sûr, pourquoi ce ne serait pas le cas ?

— Je dois t’avouer quelque chose…Je me trouve bien plus intelligent que les autres. En général, ça me rend arrogant et méprisable…Je sais ça, je dois travailler dessus. Mais, en tous cas, il y a une chose de sûre : tu me fais complexer. Ce genre de choses ne m’arrive pas souvent, tu sais. Et je crois que ça me rend d’autant plus arrogant…

— Parce que j’ai une certaine éducation ? Je ne suis pas certaine qu’on puisse dire que c’est de l’intelligence.

— Je suis le premier à le penser. Mais non, ce n’est pas ça. Je crois que j’apprécie ta manière de réfléchir, et d’être humble en même temps. Même si, à mon avis, tu gagnerais à l’être moins…

— Intelligente ?

— Non, humble bien sûr !

 Nous lâchons un rire ensemble. Malgré nos différents timbres de voix, il s’agit du même rire. Un rire qui s’embrase, qui se consume tout en insufflant assez d’énergie en l’autre pour qu’il perdure tel un brasier dans lequel on jetterait du bois en permanence. Il atteint mes côtes et me brûle à m’en faire mal. Des larmes perlent au coin de mes yeux. C’est douloureux et plaisant à la fois.

— Sisi m’a parlé des lectures que tu faisais sur le Rokumeikan pour elle, m’informe Ji Sub, à bout de souffle, une fois qu’il s’est remis de ses émotions.

 La raison de notre hilarité n’était certes pas très drôle et, pourtant, nous nous sommes esclaffés pour la même raison. Le fait que nos sens de l’humour aient des points convergents me rassure pour je ne sais quelle raison. J’ai l’impression que c’est bon signe.

— Ah, elle t’en a touché un mot ?

— Oui, elle est vraiment très touchée que tu fasses ça pour elle, et ça lui donne aussi beaucoup d’idées pour redécorer le lieu quand elle en sera pleinement propriétaire.

— Elle veut racheter l’endroit ? Waouh, c’est super.

— Oui mais garde ça pour toi, je pense qu’elle préfèrera te l’annoncer elle-même quand ce sera fait.

— Bien sûr, je comprends.

— En tous cas, c’est vraiment super que tu lui rendes ce service. La voir si heureuse et motivée me rend heureux, moi aussi.

 Un nœud me tord l’estomac pour je ne sais quelle raison. Je ne comprends pas qu’il puisse être encore amoureux de son ex-femme. Pourquoi ne passe-t-il pas à autre chose ? Le simple fait de constater qu’il est toujours bloqué dans le passé provoque en moi une émotion que j’apparente à une sorte de frustration.

 Nous passons la soirée à boire et à discuter. Ma descente est moins inquiétante que celle de Ji Sub, bien qu’elle soit tout aussi rapide que la sienne, car je n’ai ingurgité que des jus et du thé. Or, quant à lui, Ji Sub enchaîne les bières, le rhum et le whisky. Sisi nous rejoint toujours par intermittence. J’ai parfois la sensation de capter des jeux de regards entre eux. Ceux-ci me dérangent, mais sont apparemment le fruit de mon imagination. Je décide donc de les laisser de côté pour le moment. Si ça se trouve, en partant du postulat que ceux-ci sont réels, elle ne fait que le reprendre silencieusement sur sa consommation excessive d’alcool. Et elle aurait bien raison. Celle-ci n’a fait que s’accroître au fil des semaines.

— Ji Sub ?

— Oui ?

— Puis-je te poser une question ?

— Tu peux toujours, voyons !

 Je m’éclaircis la voix avant d’articuler :

— Pourquoi bois-tu autant ?

 Il se raidit. Visiblement, j’ai formulé la question qui fâche et m’en veux instantanément pour ça.

— Je suis désolée…

— Tu t’excuses très souvent…Trop souvent…Pour être franc, ça m’agace ! Assume ce que tu dis, bon sang ! Soit tu t’abstiens soit tu assumes, la vie est pourtant pas si compliquée.

— Elle a l’air de l’être pour toi…

— Non, pas tant que ça. Enfin si, un peu ! Je laisse ma fille dans un monde de merde, tout ça pour…

 Il se tait, comme s’il retenait un secret. Sa pomme d’Adam bouge car il déglutit nerveusement, ravale ce qu’il ne veut me confier.

— Tout ça pour quoi ?

— Tout ça pour rien, en fait !

— Pourquoi être venu à Shin-Nihon ?

— Parce que la situation en Corée du Sud est insoutenable, voilà pourquoi. La misère est encore plus forte qu’ici, plus étendue…Elle gangrène le pays, il n’y a plus beaucoup de riches là-bas…Dans un sens, tant mieux. De l’autre, c’est atroce, horrible, le pays s’effondre, tombe en miettes, tout ça parce que ton père a refusé de céder la vraie technologie du Dôme à un prix raisonnable…

— Alors c’est pour ça que tu t’es rapproché de moi ? Parce que tu en veux à mon père ? Je comprends tout maintenant, pourquoi est-ce que vous m’avez acceptée si vite…J’aurais dû m’en méfier. Mon instinct me disait que vous vouliez être amis avec une policière mais, en fait, vous vouliez…je ne sais pas ce que vous vouliez mais au moins vous rapprocher de la fille de celui que vous considérez à tort comme votre ennemi…

— Non, Mina, je t’assure que ce n’est pas ça ! Tu te trompes ! Nous n’avons pas sympathisé avec toi car tu es une Mori, pas du tout…

— Bah voyons ! Et, pour ta gouverne, mon père est un salaud sur bien des points, mais il n’est pas le seul dans son entreprise…Il doit rendre des comptes à des actionnaires, à son équipe de chercheurs, d’ingénieurs et de scientifiques, … Je l’entends parfois en parler à ma mère. Tu diabolises un homme seul et cela me paraît disproportionné et injuste.

— Tu penses que ma colère est disproportionnée ? Tu sais pas ce que ça fait de pas manger à sa faim, de lutter tous les jours pour sa survie…

— Nous y voilà encore…Tu te dis être mon ami mais, en vérité, mon statut te dérange. Et vous vous êtes bel et bien rapprochés de moi parce que je suis la fille de Saneyuki…C’est la seule raison qui me paraît cohérente.

— Non, je t’assure que non !

— En plus, tu parles de pas manger à sa faim mais tu te gaves de poulet et d’alcool tous les jours.

— Je parlais d’avant…Nous avons connu une misère pire que celle-ci. On était des ados pendant la guerre. On a tout perdu.

— Et je suis la fille de celui qui en est responsable à vos yeux, c’est ça ? Je sentais bien que quelque chose de bizarre se trame…Mais je ne voulais pas écouter mon instinct. Je voulais me convaincre que j’étais digne d’être appréciée, d’avoir des amis, de…

— C’est…

— Laisse-moi deviner, tu allais dire que c’était dans ma tête, c’est ça ?

— Mais non !

Furieuse, je me lève et annonce :

— Bon, il se fait tard, je m’en vais ! Excuse-moi auprès de Sisi, je te prie. Je la règlerai plus tard.

 Je m’incline très rapidement et sors, aussi vite que mes jambes me le permettent, d’un endroit dans lequel je n’aurais jamais, ô grand jamais, dû mettre les pieds. C’était une erreur depuis le début.

Une fois à l’extérieur, je m’arrête à côté de la porte principale du bar afin de plaquer mon masque contre ma bouche. Ji Sub a raison après tout : j’ignore ce que cela fait de vivre dans une telle atmosphère viciée, qui plus est sous une partie ébréchée du Dôme qui détraque quelque peu la météo, après avoir vu son pays souffrir à cause de cette même technologie…A cette seule pensée, une certaine tristesse m’envahit mais je secoue la tête afin de chasser la pensée qui nourrit cette émotion. Il est certes bien beau d’éprouver de l’empathie pour son prochain, mais pas pour quelqu’un qui a fait semblant d’être un ami.

Tout à coup, une pression légère et chaude entoure mon poignet. Une force me fait pivoter. Lorsque je suis sur le point d’effectuer ma plus belle prise de judo, je remarque qu’il ne s’agit pas d’un inconnu qui m’agresse. Le visage de Ji Sub se dessine de justesse devant moi, à quelques millimètres du mien :

— Reste, s’il te plaît, chuchote-t-il. J’aimerais répondre ou bouger mais ma voix se bloque dans ma gorge tandis que mon corps se fige.

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