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La moto s’arrête dans un crissement de pneus. Rapidement, des pas pressants nous parviennent de la pièce voisine. Des voix échangent, puis la porte s’ouvre. Sunny apparaît, vêtu d’un blouson de cuir, un casque à la main. Mon cœur bat la chamade. Avec sa longue tignasse libérée, il n’a jamais été aussi sexy ! Victorieux, il se débarrasse pose de ses affaires près de l’entrée avant de se rapprocher de nous. Souriant, il se passe les doigts dans les cheveux, retirant les quelques mèches rebelles qui lui recouvrent le visage. Ça y est, je peux mourir heureuse !

— Putain, Sun ! Tu déconnes complètement ! Où est ton masque ?

Sunny ne réagit pas, le regard braqué sur moi.

— Tout va bien, Meg ? s’inquiète-t-il alors qu’il réduit toute distance entre nous.

Soit il ne sent pas le malaise, soit il se tape de l’humeur maussade de son ami. En revanche, moi, je ne sais plus où me mettre.

— Je croyais que tu m’avais lâché, me surprends-je à le tutoyer.

— Je t’avais donné ma parole ! souffle-t-il, visiblement ravi par cette familiarité.

Une étincelle vient de raviver le feu incandescent dans ses yeux. Pourtant, je me demande si j’ai raison de bannir la distance de langage que j’avais instauré entre nous.

— Merci. Je suis rassurée, murmuré-je d’une voix de velours qui m’étonne moi-même.

De temps à autre, je me risque à envoyer quelques œillades dans la direction de son complice. Il nous fixe. Les bras croisés et une mine déconfite sur la face, il marque son désappointement en tapant du pied. À le voir faire, dans un tout autre contexte, je me serai fichue de lui, en lui demandant s’il battait la mesure. Mais vu la tronche qu’il tire, je préfère m’abstenir en pensant, à juste titre, que mon humour ne serait pas reconnu à sa juste valeur !

Cela étant, je le comprends. Il y a de quoi être sceptique quant à notre relation, si relation il y a. L’ambiance est pesante. Un décalage semble s’être formé dans notre trio dépareillé. Plus personne ne parle. D’un côté, Sunny et moi nous fixons avec tendresse et de l’autre, son ami nous fusille du regard. Toujours de mauvaise humeur, il espère que Sunny s’en aperçoit et lui explique à quoi rime ce comportement hors contexte. Mais il n’en fait rien.

L’air accusateur du blond masqué ne paraît pas franchement engageant ! Je me sens sur la sellette. Malheureusement pour moi, je ne vois aucune issue. Aucun trou creusé dans un mur pour que je me fasse la malle. Impossible de lui faire croire que je dors, puisque je me tiens debout. Bref, l’impasse !

— Hum… Hum… grogne le gars dans un raclement de gorge qui, à lui seul, me fait sursauter. Sun, je peux te parler ?

— Oui, accepte-t-il sans pour autant me lâcher du regard.

— En privé, s’il te plaît, ajoute le chauffard, impatient.

Son ton pédant ne me dit rien qui vaille. En revanche, l’idée qu’ils aillent s’étriper dans la pièce d’à côté m’arrange plutôt pas mal. J’aurais le son sans pour autant craindre l’image.

— Sun ! attaque-t-il, tout en veillant à garder une intonation proche du chuchotement. Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Explique-moi ce que tu branles avec elle ? Dois-je te rappeler qu’elle est notre otage et qu’on est en cavale ? Eh, Oh ! C’est pas un club de rencontre, mec ! Cette nana est notre passeport pour la liberté, ne l’oublie pas ! Putain… Si je m’étais douté de ça ! C’est moi qui serais resté, crois-moi !

Aïe…

— Tu n’y es pas, Dave, tente de le rassurer Sunny dans un calme déconcertant.

— Comment ça, je n’y suis pas ? repart l’autre, tendu comme un string. Enfin, Sun ! Même un aveugle verrait qu’il se passe quelque chose entre vous ! La façon dont vous vous regardez… Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’es pas comme d’hab !

— Mais non, tu te fais des idées… se justifie-t-il, évasif, sans faire son maximum pour être convaincant.

— Arrête ! hurle l’autre, ce qui me fait tressauter. Oh, non… grogne-t-il avant de partir dans un rire sadique. C’est pour ça que tu l’as choisie ? Elle te plaisait ?

— Hey ! Tu délires, mon frère !

Pétrifiée, je n’ai pas bougé d’un iota… Au loin, Sunny ricane nerveusement.

— Enfin, Dave, tu étais là ce jour-là ! Rappelle-toi, elle nous a juste permis d’entrer dans cette foutue banque ! C’était le pur hasard…

— Laisse-moi en douter ! rétorque son ami, irrité. Tu pourrais au moins être honnête avec moi !

— Et après ? lâche-t-il, mauvais. J’ai tout de même le droit d’apprécier quelqu’un d’autre que toi, non ?

Furieux, il rouvre violemment la porte qui rebondit bruyamment contre le mur. Assise sur le matelas, je ne sais comment réagir. Visiblement énervé, il se rue vers moi, puis s’accroupit. Une fois à ma hauteur, son regard accroche le mien. Une ébauche de sourire prend place sur sa gueule d’ange.

Comment fait-il pour changer d’humeur aussi vite ? Il y a quelques secondes, il était à deux doigts de se mettre dessus avec son pote, et maintenant, il m’étudie avec des yeux qui à eux seuls suffiraient à me faire oublier qui il est et qui je suis !

— Meg, j’ai la solution pour le transfert, annonce-t-il fièrement.

Mon regard interrogatif le pousse à poursuivre.

— J’ai trouvé une moto. Enfin, en espérant que tu n’as pas peur des deux roues…

— Trouvé ?

Un sourcil relevé, je soupçonne que la vérité est un peu moins limpide.

— OK… Je l’ai volée, rectifie-t-il en souriant.

— En tout cas, merci pour ta franchise, même si…

Bloquée en pleine phrase, je me tais lorsque je croise le regard noir que son ami nous lance. J’étais si hypnotisée par les prunelles profondes de la gueule d’amour, que je ne m’étais pas aperçue de sa présence.

Voyant mon attention détournée, il me pose un doigt sur le menton pour m’inciter à la reporter de nouveau sur lui. Au contact de sa peau, un long frisson, grisant au possible, me parcourt.

— On part dans une demi-heure, Meg, m’explique Sunny, mange vite et prépare-toi. On ne peut pas se permettre d’être en retard.

Sa voix est douce. Ses paumes glissent lentement le long de ma joue dans une caresse sensuelle. Incapable de le repousser, je reste comme une cruche, à le fixer de mes yeux de merlans frits, profitant égoïstement des sensations qui en déferlent.

— Et comme tu n’as pas de blouson, murmure-t-il alors que j’ai lâché sa conversation, définitivement noyé dans l’océan de ses iris profonds. Je vais te passer le mien.

L’autre gars souffle comme un bœuf. Je fais mon possible pour l’ignorer.

— Et toi ?

— Ne t’inquiète pas pour moi, déclare-t-il virilement, je suis un grand garçon.

Dave poursuit sa respiration saccadée. Je risque un coup d’œil dans sa direction. La haine suinte de tout son être. Il me fait froid dans le dos même si je saisis tout à fait ce qu’il ressent. Après l’avoir brièvement regardé, Sunny se relève, entraînant Dave avec lui dans la pièce voisine. Je n’ai pas osé lui avouer que je flippe à mort sur une moto. Au risque de passer pour une chieuse, je préfère garder ce détail pour moi.

Après un bref passage aux toilettes, je retourne m’asseoir sur le matelas pourri et j’essaie de manger quelques bouchées du truc nauséeux et à présent froid qui git misérablement dans l’assiette

* * *

— Il faut y aller, Meg, m’annonce Sunny lorsqu’il réapparait.

— Le temps de rassembler mes affaires… ironisé-je.

Sans pour autant prêter attention à ma boutade, il m’accompagne à l’extérieur en me poussant par l’épaule. Espérons qu’il conduise mieux que son ami…

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