Trajectoire scellée — 2

5 minutes de lecture

Aris le suivi docilement jusqu’à l’espace central du camp. Ils arrivèrent dans une zone dégagée dont le sol était jonché de nombreuses cordes. Leur extrémité allait se perdre en contre-haut pour s’harnacher à un réseau complexe de poulies et de surports fixés au plafond. Un groupe d’arpenteurs les escaladait avec une grande agilité, grimpant vers les roches comme des araignées remontent leur toile.

« Les arpenteurs, en action ! intervint Fereas, en suivant son regard. Ceux-là, ce sont les lèves-tôt, que j’les appelle. – C’est bien les gars ! – Tu l’as vue, c’te fille là ? Fell… Une vétérane. Elle pourrait prendre du galon, c’te fille là, faire comme moi ! Mais elle, tu vois, elle bouffe de la roche ! Elle te susplante cinq pylônes quand les autres ils t’en mettent qu’un seul. Elle veut trouver le bout du monde à la seule force de son incarnat ! Et les deux qui l’accompagnent ; y sont là que depuis peu, mais tu peux être sûr qu’en traçant derrière celle-là, ils deviendront des as de l’arpente ! »

Aris observa avec attention leur façon de procéder. Ils escaladaient d’abord les cordages pour atteindre l’aplomb, ensuite ils allaient probablement se suspendre aux cordes horizontales et avancer jusqu’au prochain pylône. Ces structures, omniprésentes, surtenaient des plateformes plus petites qui devaient probablement servir à se reposer, songea-t-il. Ce genre d’escalade et de parcours ne lui semblait pas impossible à réaliser. Juste très fatigant. Mais Aris s’imaginait pouvoir le faire.

« Tu verras, ça à l’air dur comme ça, mais en fait ça l’est encore plus ! ricana Fereas. Allez, bouge ! La tente du capitaine est juste devant, et tes petits camarades sont déjà là. Regarde leurs gueules. Font pas les fiers ! »

Bornu l’accueillit d’un regard tragique. Slea, indifférente à sa venue, contemplait l’ascension des arpenteurs et les deux autres laissaient leur regard se perdre dans la corne tressée qui se trouvait sous leurs pieds.

« Capitaine ! Voilà les nouveaux ! » fit Fereas en grattant la toile qui faisait office de porte d’entrée au pavillon.

— Entrez, lança une voix de l’intérieur.

Les exilés pénétrèrent dans l’antre du Capitaine. En passant l’ample tissu, Aris découvrit une salle qui avait tout l’air d’une chambre de citoyen d’importance. Il y avait, au centre, un bureau en corne monté sur des tréteaux de bambous ; dans un coin, un hamac de grande proportion, tissé de fil rouge et doré, garnissait un coin peuplé de petite gravures suspendues et de statuettes exposées sur des coffres en corne. L’espace était parcouru de draperies multicolores, qui dansaient sous les courants d’air. À une extrémité, jouxtant un miroir – un vrai, chose rare – plusieurs tonneaux d’eau étaient posés, sans doute destinés autant à la consommation qu’aux libations. De l’autre, il y avait une statue complexe représentant un enchevêtrement de personnages divins. Confusément, Aris y reconnut les dix divinités réunies, dansant ensemble, comme aux origines des temps. Il comprit qu’il s’agissait là d’une véritable œuvre d’art qui devait probablement servir à l’Aers en vue de l’accomplissement du culte, mais en toute intimité, et sans avoir à se mêler aux arpenteurs qui devaient chacun son tour sacrifier à l’autel du camp. Des parchemins jaunis étaient enroulés çà et là, certains étaient agrafés à la toile qui servait de mur au pavillon et d’autres, encore, s’étalaient sur le bureau, plus importants sans doute, ou plus d’actualité.

L’Aers se tenait assis derrière l’un d’entre eux. Criblé d’annotation et de dessins, ce devait être un genre de carte, mais était difficile d’établir à quoi elle se rapportait.

Le Capitaine affichait un air grave et impénétrable qui semblait être son expression naturelle. Sa barbe, d’importance, était taillée avec rigueur et masquait une bouche qui ne se réduisait qu’à une ligne. Ses yeux ne fléchissaient pas, ne clignaient pas, et regardaient calmement les bannis se placer au centre de sa tente.

« Bienvenue » fit-il, laconique.

Son attitude – plutôt son aura – ne donna à personne le loisir de répondre. D’aventure, tout ce qu’ils pourraient dire ne l’intéresserait pas. Il s’écarta de la grande carte et quitta son bureau avec une lenteur calculée. Sa prestance était indéniable. Il avança posément, presque méthodiquement, vers un meuble situé près de l’autel aux dieux emmêlés. Les cinq exilés suivaient chacun de ses mouvements comme s’ils contemplaient un prêtre organisant une cérémonie.

« Je suis Arche Fenan Aers. dit-il calmement, en ouvrant un tiroir du meuble. Vous m’appellerez capitaine. »

Il en extirpa un objet de forme oblongue, surmonté d’un cercle qu’Aris reconnu facilement.

— Un sceau, murmura-t-il, comprenant ce qui allait se passer.

Bornu regarda alternativement le capitaine, ce qu’il tenait, et Aris.

— Quoi, quel sceau ?

— Suivez-moi, leur intima le capitaine en sortant cérémonieusement du pavillon.

Fereas, qui s’était entretemps posté derrière eux, ne laissait place à aucune hésitation.

— Vous avez entendu le Capitaine ! Dehors !

A l’extérieur, les arpenteurs, nombreux, présentaient des mines lugubres. On indiqua aux exilés de se rassembler devant un brasero sculpté qui représentait l’oiseau-flamme.

— À genoux ! proclama une femme en arrivant de derrière la tente.

Ils s’exécutèrent tous, à l’exception de Chinet qui resta debout, affrontant le feu comme un ennemi. Celle qui avait parlé dressa sa lance en bambou et cria « À genoux ! », tout en piquant la pointe de celle-ci dans le jarret du réfractaire. La douleur le fit plier et il se retrouva à son tour au sol.

Le Capitaine ne perdit rien de la scène, mais n’eut aucune réaction. Il attendait simplement que tout soit en place. Le camp entier fit silence. Le feu crépitait doucement, éclairant les visages sombres et calmes. Quelques oiseaux voletèrent, perçant l’ambiance sépulcral. La voix du seul Aers du camp résonna.

— Devant les dieux, vous devenez aujourd’hui arpenteurs, entonna-t-il, solennellement. Cette marque garnira votre front jusqu’à ce que le Ciel vous accueille.

L’angoisse montât d’un cran malgré le calme ambiant. Chinet ferma les yeux, Rigal serra les dents et Slea inspira profondément. Aris, le front encore endolori de son premier scellement, se préparait à accueillir la douleur.

L’Aers introduit l’extrémité du sceau dans les flammes. Il le fit factuellement, sans mot dire ; pendant que Bornu commençait à gémir.

« Les dieux vous regardent, soyez forts, continua le capitaine en se présentant devant Aris ». L’adolescent regarda ses camarades, puis présenta son front.

« Commence à réparer tes erreurs » proclama le militaire, avant d’appuyer le cercle incandescent sur son glyphe Inter.

Aris faillit hurler, mais préféra serrer violement les dents tout en retenant sa respiration. Le rouge de son front envahit lentement le reste de son visage, ses paupières se serrèrent en même temps que sa bouche, son cou, ses mains. Seul grinçait au fond de sa gorge la rumeur d’un cri étouffé. Mais il n’allait pas le lâcher. Dur et sans émotions ! se répétait-il en boucle. Dur et sans émotions !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire L'Olivier Inversé ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0