Chapitre II

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 « Ce jour-là, c'était au printemps, aux premières lueurs du matin. Je voyais s’échapper de ma bouche des nuages de vapeur. Je galopais à n’en plus finir depuis de longues minutes dans cette forêt escarpée. C’est que la biche en question avait le pied léger et rapide comme le vent. J’étais à bout de souffle et ma bouche écumait rageusement comme un chien en chasse. Alors que je la traquais sans relâche dans les hauteurs du massif, j’entendis soudainement le grondement puissant d’une cascade. Plus aucun arbre ne pouvait désormais la dissimuler. Nous étions arrivés à un abîme qui offrait une vue époustouflante sur la beauté sauvage de nos montagnes. Un torrent d'un bleu turquoise en dévalait les hauteurs et creusait son chemin sinueux dans les flancs rocheux pour se jeter paisiblement dans le lac. Je souriais d'aise. La traque allait prendre fin.

 Enfin, l’animal est acculé, me disais-je. Je m’arrête, mets genou à terre, le fusil sur l’épaule comme un bon petit soldat. Je m’apprête à appuyer sur la détente lorsque mon regard par mégarde croise le sien. Mon doigt se fige. La sueur dégoulinait de mon casque et mes bras étaient fébriles. Si seulement j’avais pu lui tirer dans le dos, la traque aurait pris fin. Au lieu de cela, la proie me toisait et ce qui ne devait pas être remis en question le fut à jamais.

  Ses talons frôlaient le précipice et pourtant je ne décelai aucune désespérance dans son regard. L'Indienne releva même légèrement le menton et la lumière blanche du matin éclaira son front et ses yeux. Encore essoufflée, sa poitrine se soulevait profondément. Le vent faisait danser autour d’elle ses cheveux noirs comme la nuit. Et elle laissa son regard fiché en moi.

 Je ne saurais expliquer pourquoi, mais le temps me sembla se suspendre soudain. Et alors j’entendis soudain bruire les arbres sous la caresse du vent. Je sentis soudain sur ma peau frémissante les embruns du déferlement puissant des flots. La lumière éclairant le haut de son visage me sembla surnaturelle. Un frisson parcourut mon corps et fit dresser mes cheveux sur ma tête. Mon arme pesa et me glaçait les mains.

  Troublé et sous l’emprise de son regard, je me pris à penser que peut-être cette Indienne n’était pas humaine. Le genou cloué au sol et elle debout me toisant de sa hauteur, je me surpris même à penser que peut-être c’était moi qui avais été piégé. Mes lèvres se mirent à trembler. Ce qui était une mise en joue devint, par la force des choses, un geste d'adoration ou de prière à l'Indienne de ne pas me juger trop sévèrement. Plus je fixais son regard, plus je sentais mon corps vaciller. Et la question éclot comme une fleur dans mon esprit. Que voulait-elle ? Qu’attendait-elle de moi ?

 Dans le regard de l’Indienne, je ne perçus ni mépris, ni haine, ni soumission. Elle ne se sentait pas proie et ces lieux étaient son domaine. Ma traque me parut alors sacrilège. Un léger tremblement intérieur me parcourut jusqu’à ce que ma peau de bête, ces oripeaux que je me plaisais à porter, tombât à terre.

  L'Indienne battit alors lentement des paupières. Comment le dire ? Ce geste me parut un geste de pardon. À mesure qu'elle battait des paupières, je sentis cependant mon cou se ployer sous la puissance d'une force invisible jusqu'à ce que mon front touchât le sol. De tout mon corps, je résistais avec effroi autant que faire se peut à cette main invisible qui me courbait l'échine. Puis je n'y tins plus et m'abandonnai à cette force. Alors même que je pensais être écrasé par elle, je la sentis comme une main posée sur ma tête comme reconnaissance de mon allégeance envers elle qui disparut presque aussitôt que je m'avouais vaincu. Je relevai alors ma tête, hors de souffle, l'empreinte de la terre sur mon front. L'Indienne avait disparu. »

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