Chapitre I

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Les Amériques, XVIe siècle

 C'était un soir de décembre. L'hiver avait recouvert de son manteau blanc et cotonneux les maisons, l'église et la forêt. Le vent sifflait furieusement et glissait ses doigts gelés dans les embrasures des portes et des fenêtres. Après le souper, nous nous réunîmes tous autour du feu pour retarder au plus le moment où il faudrait endurer la froideur de nos draps. Et comme toujours dans ces moments-là, la chaleur du foyer déliait les langues pour enchanter mes oreilles d'enfant de récits merveilleux ou de confidences dites à demi-mots. Cette nuit-là, mon père se prit à interroger l'invité le plus mystérieux de notre tablée. Son audace à le faire fit étinceler soudain les regards assoupis par le vin.

 « Pourquoi, vieux Balthazar, te refuses-tu d'entrer dans l'église et d'écouter le prêche ? » Le vieillard grogna et se renfrogna. « Tous dans le village s'interrogent depuis des années et les rumeurs les plus folles courent sur ton compte sans que tu n'en aies démenti aucune. Et pourtant, tu n'es pas un vieux fou. »

– Dire que je gardais cela pour moi pour qu'on ne me prenne pas pour tel...

- Sens-toi libre de nous le raconter, Balthazar. Nous sommes disposés à croire la vérité, même si elle est invraisemblable.

– C'est que tu as les mots pour convaincre que je ne suis pas certain d'avoir.

– Que risques-tu après tout ? Si ce n'est d'être pris pour ce que la plupart pense déjà de toi ?   

 Balthazar se recueillit dans le silence quelques secondes, puis promena son regard sur chacun d'entre nous. Un regard perçant qui semblait sonder en nous si nous étions des auditeurs de confiance, des oreilles indulgentes, des bouches qui ne prendraient pas le pli des juges inquisiteurs. Nous comprîmes que nos figures lui inspirèrent suffisamment confiance lorsqu'il émit un soupir qui ressemblait à un début d'aveu.

 « C'était il y a si longtemps... », commença-t-il « Et pourtant même le temps, ce dieu si puissant, n'est pas parvenu à en estomper l'intensité ni les détails... ». Il réfléchit un instant avant de lancer « J'obéissais. J'obéissais alors aussi docilement que le chien à son maître. Mes supérieurs et l'église m'aidaient à penser. Et je me livrais sans limites à ma passion pour la chasse. Je me plaisais à arborer les oripeaux des bêtes que je traquais de longues heures avec un plaisir furieux jusqu'à ce qu'ils s'abandonnent à moi, terrassés de fatigue. »

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