– 6 – Préparation au voyage

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Régis ouvrit les yeux, étonné de se retrouver assis sur un canapé, qui plus est chez ses parents, au lieu de la forteresse des esclavagistes. Sur la table, il vit un gâteau d’anniversaire, dont quelque part avait été coupée, et se souvint que c’était la surprise de Malika.

Ce n’était qu’un rêve… ?

Justement, cette dernière arriva derrière lui et le rejoignit à ses côtés, mais elle était différente : elle semblait hésitante et massait ses mains d’anxiété. Il comprit qu’elle allait faire sa confession, mais il y avait quelque chose d’étrange. Avant qu’elle ne parle ou qu’il ne pose des questions, un séisme se produisit. Ils mirent debout tous les deux, mais une faille s’ouvrit sous leurs pieds et les sépara à mesure que le sol s’écartait. Régis essaya de l’attraper, mais le bord du gouffre se fissura sous son poids. Il tendit la main, hurlant le nom de son amie alors qu’il se fit emporter dans les profondeurs.

Le songe prit fin au même moment.

À moitié levé par sa réaction spontanée, avec le geste identique que dans son rêve, il fallut quelques secondes au jeune homme pour réaliser que c’était un cauchemar. Il calma sa respiration ainsi que les battements de son cœur alors que le souvenir altéré restait encrer dans son esprit.

Cela faisait désormais deux jours que la forteresse des esclavagistes avait été démolie sous l’assaut des pierres et des explosions. Heureusement, toutes les pièces n’avaient pas été détruites ; notamment l’aile des gardes, qui contenait son propre garde-manger.

Au début, Régis eut du mal à s’y faire, à cause de la putréfaction des cadavres qui embaumait l’air ambiant. Toutefois, ce problème avait été résolu lors du passage de quatre individus, qu’il reconnut comme étant des Aventuriers : cousu dans leur dos, il avait le blason d’une étoile rouge à cinq branches au milieu d’un feu obscur. Les nouveaux arrivants étaient contrariés par le carnage dans la cour et l’état de la forteresse. L’un d’eux en particulier fulminait de colère : il était descendu de son cheval et avait laissé éclater sa rage en libérant une véritable vague de flammes noires. Il n’avait touché aucun de ses compagnons, qui avaient sûrement l’habitude parce qu’ils étaient très calmes, mais les cadavres avaient été carbonisés jusqu’à ce qu’il n’y ait que des cendres.

Régis pensait qu’ils allaient fouiller la forteresse, mais ils étaient remontés sur leur monture et avaient quitté la cour au galop.

J’aurais fait pareil, se dit-il en se remémorant la scène. Personne ne resterait dans un endroit insalubre comme celui-ci, mais ça veut dire aussi que ça va attirer du monde…

S’il était encore ici, au lieu de partir directement à la recherche de Malika, c’était parce qu’il ne connaissait absolument rien à ce monde : il souhaitait éviter de retomber sur des esclavagistes… ou pire. La seule personne qui pouvait l’aider, c’était Ixion, mais depuis qu’il avait appris le sort de sa mère, il empreint de morosité. Il passait le plus clair de son temps à fixer le grand feu de cheminée qui ornait la pièce, qui était plus là pour réchauffer l’endroit et cuire quelques aliments que pour l’éclairer. Comme la psychologie n’était pas son fort, Régis avait préféré le laisser dans son coin et attendre qu’il se ressaisisse, mais il commençait à perdre patience.

Il décida de quitter son lit, s’étirant sur ses membres endoloris, et traversa le dortoir pour rejoindre la cour. Toutefois, en passant devant l’âtre, il ne vit pas l’adolescent, ce qui ne manqua pas de l’inquiéter légèrement. Une fois à l’extérieure, se dirigea vers l’entrée en direction d’Aloy.

Contrairement aux autres captifs, la guerrière n’était pas partie et elle veillait devant les portes renversées de la citadelle, assise, depuis ces deux derniers jours.

— Est-ce que t’as vu le gamin ?

— Non, répondit Aloy avec calme.

C’était difficile à croire pour l’étudiant, mais la gladiatrice avait une voix douce qui n’allait pas avec sa carrure.

— Il est encore ici, affirma-t-il mystérieusement. Je le sens.

— Merci…

Ils se retournèrent au même au moment, alerté par une porte qu’on venait d’ouvrir avec brutalité : Ixion était enfin sorti de sa léthargie et il en avait profité pour changer ces vêtements pour l’ensemble que portaient les sentinelles, qui étaient un peu trop grandes par rapport à sa taille. Il avait aussi pris avec lui deux épées, l’étrange lance et deux sacs remplis de provisions.

Il marcha d’un pas décidé vers eux et il aurait continué sans s’arrêter si Régis ne l’avait pas saisi à l’épaule.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’énerva l’adolescent

— Je peux te poser la même question.

— Je pars chercher ma mère ! grogna-t-il en se libérant d’un mouvement brusque.

— Sauf que t’iras pas bien loin tout seul, critiqua sérieusement Régis. Surtout avec tout ce que tu as sur le dos.

— Je n’ai pas besoin de conseils d’un Deuscien inutile.

La remarque méprisante le piqua, mais il serra les dents avant de répliquer sur ton froid :

— J’ai été plus utile que toi.

— Ne te moque pas de moi ! éclata-t-il.

Un léger courant électrique parcourut son corps et ses yeux s’illuminèrent brièvement. Ne se laissant pas intimider cette fois-ci, Régis se saisit du bras et lui fit une prise de judo, qui le propulsa au sol malgré le poids conséquent de son attirail, s’écrasant près de la Gaëenne qui ne cilla pas. Ixion, qui n’avait rien compris à ce qui venait de se passer, se défendit trop tard lorsqu’il fut retourné sur le ventre, le membre tordu dans son dos.

— T’as peut-être des super-pouvoirs, mais j’ai assez d’expérience pour mater un gosse comme toi !

À tout moment, il pouvait lui disloquer l’épaule, mais il le relâcha avant de lui tendre la main

— Moi aussi, je dois retrouver quelqu’un, à qui je tiens beaucoup, mais je ne sais rien de ce monde. Je n’y parviendrais pas sans toi !

Malgré sa réticence, et le fait qu’il ait été blessé dans sa fierté, Ixion accepta et se releva avec difficulté, avant d’enlever tout ce qu’il portait.

— Désolé de t’avoir dit ça, dit ce dernier. Tu viens de t’éveiller et…

— On en parlera plus tard ! le coupa-t-il. Comme tu vas mieux et que t’as déjà préparé les sacs de nourritures, on va pouvoir quitter cet endroit… même si je ne sais pas trop par où commencer…

— J’ai peut-être une idée, mais il faut d’abord que tu changes de vêtements.

— Pourquoi ? Ils conviennent pas pour voyager ? Je te rassure, c’est pas un problème.

— Par Voïd, ce n’est pas pour cette raison, expliqua-t-il. Ce sont des vestiges de Deuscien : ils sont prestigieux et très recherchés. Tout le monde va croire que tu viens d’une noble famille et que tu t’es enfui.

Régis n’exprima qu’un « Ah ! » et constata d’un autre œil ses vêtements, qui étaient plutôt de bon marché lorsqu’il les avait achetés. Il ne put s’empêcher de rire à la situation.

— À peine arrivée et je suis déjà riche, plaisanta-t-il pour lui-même avant de voir le regard incompréhensible de l’adolescent. Ça va, je vais me changer… où tu les as trouvés ?

— Dans un des coffres du dortoir : tous les gardes y ont mis leur tenue et leur brigandine. Et… avant que tu y ailles… Qu’est-ce qu’on fait d’elle ? murmura-t-il en indiquant de la tête la jeune femme.

Autant être franco !

— Euh… Aloy ?

Celle-ci se leva, dévoilant sans gêne sa nudité à laquelle les deux garçons détournèrent leur regard. À sa grande surprise, elle s’agenouilla devant lui.

— Vous m’avez libéré de mes chaînes, j’ai une dette de vie envers vous. Je souhaite vous accompagner.

— Euh… ouais…, bafouilla-t-il. C’est sympa d’entendre ça, mais…

— Tu n’as pas le choix, commenta Ixion. C’est une Gaëenne et la tradition de son peuple l’oblige à jurer allégeance à quiconque lui sauve la vie, jusqu’à ce que la dette soit réglée.

— Tu connais beaucoup de trucs, toi ! Bon… vas-y, qu’on en finisse !

— Moi, Aloy, récita-t-elle, jure fidélité au Deuscien devant moi. Je lui promets protection et loyauté, au nom des Dieux et de la Mère du monde.

Dans les premières minutes, il ne savait pas comment réagir à ça et il n’avait pas oublié ce que la vendeuse d’esclaves avait dit sur elle.

J’ai pas vraiment le choix…

— C’est bon, j’accepte… ton truc ! Évite juste de me lâcher au pire moment ! déclara-t-il avant de remarquer qu’il le dévisageait, l’obligeant à se reprendre. Ne… Ne mets pas fin à ton serment pendant les situations… critiques !

Aloy acquiesça, décroissant la nervosité de Régis lorsqu’elle se rassit.

Au moins ça, c’est fait !

— Je vais aussi aller te chercher de quoi t’habiller.

— Il n’y a rien pour moi et cela ne me gêne pas.

— Toi, oui. Mais pas les autres ! Enfin, je ne pense pas…

Ixion ?

— Ah… euh… C’est vrai ! On ne te laissera pas entrer en ville avec si peu… si peu…

C’est bien un ado…

Exaspéré par le blocage du jeune garçon, Régis tapa dans ses mains près de son oreille pour le réveiller et termina la phrase d’un ton claquant :

— Si peu de vêtements ! Et c’est une question de logique : personne n’irait voyager à moitié à poil.

Malgré les raisons données à Aloy, il avait l’impression que ça l’indifférait, mais elle céda face à son insistance.

— J’accepterais ce que tu me proposes… tant que ce n’est pas encombrant.

— C’est bien, on avance enfin. Toi, tu viens avec moi ! ordonna-t-il en saisissant Ixion par le col.

Une fois dans le dortoir, Régis fouilla les coffres à la recherche d’habits plus convenables. Il se changea avec ce qu’il avait en main ; gardant toutefois ses sous-vêtements, sa veste noire après quelques instants d’hésitation, et sa ceinture pour attacher son couteau ; tout en surveillant l’adolescent pour qu’il ne lui fausse pas compagnie.

— Avant qu’on commence la grande aventure, demanda-t-il pendant qu’il mettait des bottes, dis-moi où on doit aller.

— Je dois aller retrouver Michel, mon grand-père, qui se trouve au Creuset. En premier lieu, il faut que l’on rejoigne la Voie des Aventuriers : un réseau routier pavé qui nous permettra de gagner la ville la plus proche. Quand on y sera, on vendra tes vêtements Deusciens.

— Laisse-moi deviner la suite : on achète une carte et des vivres, on s’équipe correctement, puis on repart pour la prochaine cité jusqu’à ce qu’on atteigne notre destination ?

— Non, pas du tout ! contredit-il. Avec l’argent, on prendra le Subterra pour se rapprocher au plus près du Creuset.

— Le quoi ?

— Ah oui, c’est vrai ! Tu viens de…

— « M’éveiller », je sais ! Arrête de le répéter et réponds à ma question !

— C’est un moyen de transport souterrain qu’on utilise pour se déplacer entre les villes afin d’éviter d’emprunter les routes terrestres. C’est surtout le plus abordable qu’on ait en matière de prix.

— C’est si dangereux que ça ?

— Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle « Voie des aventuriers » : ce sont les seuls à pouvoir survivre aux créatures qui rôdent dans la nature et aux attaques de bandits.

Monstres et bandits sur le chemin : on dirait vraiment une aventure dans un fantasy

— J’espère juste qu’on aura assez d’argent pour nos billets, s’inquiéta Ixion.

— Maintenant que j’y pense, le noble qui voulait nous acheter… Il avait pas lancé des sacs remplis de pièces ? Je crois qu’il y en avait… mill.

Il remarqua tout de suite l’indignation d’Ixion, qui semblait répugner à son idée.

— Tu ne comptes pas dépouiller des cadavres ?

— Non ! C’est juste une suggestion… et en réfléchissant, ça sera pas possible : vu ce que l’un des aventuriers a balancé et les explosions un peu partout, on aura peu de chance de les dénicher sous les décombres. C’est dommage aussi qu’il y ait pas ces pierres brillantes.

— Nous pourrons trouver des Stellas en cours de route. Le plus important, c’est de ne pas se faire remarquer et cette somme astronomique, surtout des Lys d’or, ne nous aidera pas.

— Vivement que tu m’expliques tout ça, finit-il exaspéré par ces néologismes et les lanières de cuir de brigandine qu’il n’arrivait pas à fermer, parce que je commence à en avoir un peu marre de rien savoir.

— À ce propos… il faudra que tu changes ta façon de parler : elle est trop distinctive.

— Comment ça ?

— J’ai des difficultés à te comprendre, notamment certains mots, et le manque de négation n’aide pas.

Mouais…

— D’accord, je vais essayer de faire un effort. C’est mieux comme ça ?

Ixion acquiesça légèrement, mais il n’était pas encore convaincu.

Régis tenta une énième fois de s’attacher l’armure, mais il finit par abandonner de mécontentement. Il prit ses anciens vêtements ainsi qu’une tunique et quitta la pièce en direction d’Aloy. Lorsqu’il arriva, il inspecta à la hâte les deux sacs de provisions laissés devant la porte : ils étaient composés à l’identique de viandes séchées, de larges biscuits secs et d’une grande gourde remplie d’eau. Il estima leur durée à un cinq jours ; voire six, s’ils rationnaient ; et confia l’un d’eux à Aloy avant de ranger ses habits. Il déchira ensuite le vêtement avec son arme et le lui tendit.

— Voilà pour toi, proposa-t-il. C’est sûr que ce n’est pas à ta taille, mais je me suis arrangé pour que cela te recouvre tes seins.

La Gaëenne se saisit du morceau de tissu et, presque par obligation, l’attacha autour de sa poitrine.

— Je ne comprends toujours pas vos mœurs à vous envelopper complètement le corps… ni d’avoir des protections.

Régis était sur le point de répondre, mais Ixion arriva par la même occasion, avec un autre sac de provisions en prévoyance.

— C’est étonnant que tu dises ça alors que tu combattais dans une arène, argumenta-t-il.

Le regard de la jeune femme s’intensifia et transperça l’adolescent avant de le diriger vers Régis, qui s’était mis entre les deux. Il y vit plusieurs émotions à travers les globes violettes qui lui servaient de yeux, dont la colère et la tristesse, mais elle se calma aussitôt et expliqua sa nature.

— Ma peau est aussi dure que de la pierre et je ne ressens pas le froid comme vous.

— Et tu viens de répondre à ta propre question, conclut Régis. J’ai saisi, ou du moins je peux l’imaginer, que ton passé de gladiatrice est douloureux : nous n’allons plus mentionner ce sujet.

Il se tourna alors vers Ixion pour lui faire comprendre le message et rajouta :

— Terminons ce que nous avons commencé et partons d’ici.

Sans lui laisser le temps de réagir, car il était impressionné par la vitesse d’adaptation du Deuscien, Régis ramassa l’une des épées qui trainaient au sol, accrochant la sangle du fourreau à sa ceinture. L’adolescent hésita et il fut devancé par Aloy, qui s’empara de l’arme d’hast. Elle planta alors le fer de lance qui, sous les yeux ébahis des deux garçons, se fit recouvrir par la terre avant de se cristalliser en une pointe éclatante et bien plus imposante, allongeant de même sa portée.

Du diamant, certifia Régis sans comprendre comment il avait fait pour le deviner. N’ayant plus vraiment le choix, Ixion prit l’épée restante. Il remarqua que le jeune homme le regardait avec insistance.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— On ne peut pas partir à l’aveuglette.

— Je te l’ai dit : on doit rejoindre la Voie des aventuriers et…

— Je le sais très bien ! Mais j’aimerais me tenir au courant de ce qui nous attend.

— Je comprends… Le Creuset se trouve à l’ouest du continent. Je voudrais bien te donner plus de précision, mais il me faudrait une mappemonde. C’est pour ça que nous devons atteindre la route pavée et accéder à une cité, en espérant qu’il y ait un Subterra.

— Et s’il n’y en a pas ?

— On devra acheter une carte et continuer à marcher de ville en ville jusqu’à trouver un moyen de transport adéquat, sauf si nous ne sommes pas trop loin du Creuset.

— Voilà ce que je voulais entendre, mais comment tu vas faire pour aller vers l’ouest sans boussole ?

— Là.

Ils se tournèrent vers Aloy, qui indiquait du doigt avec certitude et précision la direction.

— Et comment tu le sais ?

— Je le ressens ici, affirma-t-elle en montrant le sol.

Si elle a un lien avec la terre, ça veut dire qu’elle peut sentir le champ magnétique de ce monde, supposa-t-il en souriant. Ça va beaucoup nous servir.

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