– 3 – L'éveil

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Régis reprenait connaissance progressivement.

Il avait la sensation de flotter dans une sorte de liquide gélatineux, mais lorsqu’il ouvrit les yeux, sa vision était troublée. Il réalisa petit à petit qu’il était prisonnier de quelque chose et quand il voulut se dégager, une présence l’empêcha de s’agiter. Pourtant, un souvenir demeurait : celui de son amie et cela perturbait son inertie.

« Calme-toi, tu n’es pas encore prêt à t’éveiller », résonna une voix féminine dans sa tête.

Il essaya de parler, mais le son fut étouffé par l’essence aqueuse autour de lui. Il se contenta de manifester ses pensées en répétant la même chose :

Laisse-moi sortir !

À mesure qu’il exprimait sa volonté, son corps commençait à réagir, d’abord faiblement, puis avec insistance. Il parvint à se libérer de l’emprise physique et mentale de l’entité, sans pour autant retrouver la vue. Il se mit à chercher un moyen de s’échapper et tâta le vide jusqu’à trouver une paroi.

« Non ! Tu ne peux pas partir ! Si tu fais ça, tu ne pourras pas les affronter et ils te détruiront ! »

La voix paniquée de cette femme renforça encore plus sa détermination. Il frappa le mur devant lui, poursuivant en dépit de la résistance, et au bout d’une dizaine de coups, il réussit à briser l’obstacle et se fit aspirer vers l’extérieur. Il fut brutalement propulsé dans les airs, puis chuta la seconde suivante en une roulade sur des marches de pierres jusqu’à un pilier délabré. Malgré la douleur qui parcourait son corps et la soudaine clarté du jour qui le perturbait, il était encore secoué par ce qu’il venait d’arriver. Il se frotta les yeux jusqu’à ce que ça passe et se redressa difficilement grâce aux sillons sur la colonne.

Il finit par y parvenir, mais l’énergie déployée fut une véritable épreuve de force. Il maintint contre le support de fortune, le temps que ces jambes ne soient plus en coton, et en profita pour observer l’endroit où il était tombé, au sens propre.

Il se trouvait à l’intérieur de ce qui lui semblait être un temple en ruine à ciel ouvert, dont les rayons du soleil qui se reflétaient sur les divers joyaux décoratifs et sur un mystérieux monolithe de cristal noir.

— Mais c’est quoi ce bordel… ? lâcha-t-il, sidéré par le lieu qui dépassait ces notions d’archéologies.

Il se souvint de l’éclair qui l’avait frappé et d’avoir été enveloppé dans une sorte de cocon, mais il avait l’impression d’oublier quelque chose. Il préféra porter son attention aux antiques vestiges qui l’entourait. Aux vues de la végétation et de la mousse qui recouvraient les environs, Régis supposa que cet endroit était vieux de plusieurs siècles, voire d’un millénaire.

Ça me rappelle les mangas que j’ai lus, il y a un bon moment. C’était quoi déjà… ? Ah ouais, les Isekai : des personnes qui n’ont rien demandé et qui se retrouvent transportées dans un autre monde. Bon, ce cas-là est un peu spécial… mais c’est le raisonnement le plus plausible, étant donné les circonstances.

— Le principal, se dit-il à lui-même pour s’encourager, c’est de ne pas paniquer et…

Il tomba brusquement à genou, la respiration haletante, alors que la vision de son amie qui se faisait envelopper dans le cocon radieux lui revint en un flash déroutant

— Malika… ? chercha-t-il après s’être ressaisi. Malika !

Il continua à répéter son nom, et quand il reprit assez de force, il ratissa la zone, s’époumonant à l’appeler, mais il n’y avait aucune trace de la jeune femme ou des résidus de cette chrysalide. Comprenant finalement que son amie n’était pas là, Régis s’assit contre les marches du monolithe, les larmes aux yeux. Ne se laissant pas abattre, il fouilla dans ses poches intérieures, espérant l’avoir gardée, et se rassura lorsqu’il sortit la photo.

— Je vais te retrouver, promit-il autant à l’image qu’à lui-même. Je te le jure !

Il rangea son bien le plus précieux, sachant désormais ce qu’il devait faire, et réfléchit à sa situation. La seule chose qu’il avait à sa disposition pour ce genre de contexte ; extrêmement improbable ; et qui pouvait l’aider était son expérience dans les jeux de rôle et de survie.

Il ne put s’empêcher de sourire en pensant à ça.

Qui aurait cru que ça me servirait ? Enfin… je vais pas me plaindre non plus. La première étape, c’est de quitter cet endroit et ensuite… advienne que pourra !

Avant de partir, il voulut tout de même regarder de plus près la structure d’où il fut éjecté. Semblable à l’obsidienne brute, le bloc mesurait deux mètres de long sur un mètre de large et était placé sur un piédestal surélevé. Pour Régis, il n’avait rien d’exceptionnel, hormis sa taille, mais il remarqua la disposition assez étrange de ces ruines autour de l’ouvrage : il comprit que le cristal avait été encastré pour être idolâtre. Cependant, même s’il avait une passion pour l’archéologie, il savait que ce n’était pas le moment pour faire des recherches.

Son regard fut alors attiré par le reflet d’un objet brillant, aux pieds du monolithe : c’était son couteau. Il posa brusquement sa main sur l’étui, découvrant effectivement l’absence de son arme, et se souvint qu’il la tenait fermement quand il fut enfermé dans la chrysalide.

Attends… S’interrogea-t-il après l’avoir ramassé. Il y a quelque chose qui cloche : si j’étais dans cette espèce de cocon… comment je me suis retrouvé dans l’autre truc ?

Ses pensées furent interrompues par les gargouillis de son ventre, comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours.

On verra ça à tête reposer. Si je me trompe pas, les objets de culte sont placés au fond des pièces, face à l’entrée, donc…

Régis se mit face aux marches qui menaient au piédestal et se dirigea vers le mur opposé. D’un œil attentif, il effleura la pierre jusqu’à trouver ce qu’il voulait : un long sillon vertical, bouché par la mousse.

— Bingo !

À l’aide de son arme, il gratta les plantes pendant près d’une heure avant de pousser les parois.

— Allez… ! Bouge… J’ai dit… BOUGE !

Le craquement des portes résonna dans l’ensemble du temple tandis que les battants s’ouvrirent pour la première fois depuis des siècles. Dans un dernier râle, Régis réussit à les écarter suffisamment pour se glisser dans l’étroit interstice. Lorsqu’il parvint à passer de l’autre côté, après avoir retenu sa respiration, il fut subjugué par la magnifique vue face à lui : au sommet d’une infrastructure mesurant une centaine de mètres, il pouvait contempler les vestiges d’une civilisation qui s’étendaient à perte de vue, submerger par des milliers de racines venant de l’immense forêt qui la bordait.

Il aurait tout donné pour pouvoir visiter ce genre de ruines et en étudier son histoire ; et si la situation n’était pas aussi anormale, il se serait laissé emporter par sa passion pour l’archéologie.

Il jeta un œil aux escaliers, qui ne lui inspirait pas confiance. Sans avoir le choix, il descendit pas à pas, restant vigilant au moindre bruit suspect. Au milieu du trajet, il remarqua un chemin sur le côté, assez large pour passer sans risque. Il se pencha sur l’extrémité des marches et aperçut une entrée dans l’antique monument. D’abord curieux, il se dit qu’il n’avait pas le temps pour ça et que dans ce genre cas, il devait y avoir des pièges contre les intrus. Il était sur le point de continuer, mais une voix à peine descriptible l’incita à se retourner. Il crut que c’était son imagination, et ce n’était pas un bon signe de santé mentale, mais il l’entendit de nouveau, en plus insistant. Plus agacé qu’effrayé par le phénomène ; surtout parce qu’il ne savait pas si ça s’arrêterait en bas et qu’il ne voudrait pas remonter jusqu’ici ; il enjamba le rebord et emprunta le sentier, collé au mur.

Mais qu’est-ce que je fous ?

Le passage, sûrement creusé par l’érosion et le temps selon lui, était un tunnel assez spacieux pour sa carrure, mais il devait ramper. S’il hésitait encore à le faire, il finit par céder à cause de la voix qui devenait plus pressante. En plus, elle lui commençait à lui donner la migraine. Il se traîna au sol, avançant lentement en raison des racines qui s’étaient développées à travers les fissures, jusqu’à ce qu’il glisse sur une pente. Cela n’avait duré que quelques secondes, mais ça lui avait suffi pour voir sa vie défilée devant ses yeux. Il réussit à amortir sa chute avec une roulade, plus par chance que par compétence, mais se retrouva tout de même face contre terre. Il se releva en recrachant la poussière qu’il avait avalée par inadvertance et observa la pièce où il était tombé.

C’était une gigantesque salle interne disproportionnée, éclairée au plafond par une multitude de points scintillants, semblables à un ciel étoilé. Il essaya de distinguer ce qui émettait cette lumière, mais sa vue avait des limites. Ce ne fut qu’en apercevant les cristaux blancs au sol, qui brillait d’un faible éclat, qu’il fit le lien entre les deux. Il ramassa l’une de ces pierres, dont l’intensité augmenta à son contact, et la brandit devant lui tout en s’approchant du centre de la pièce. Il discerna une immense colonne en obsidienne qui montait jusqu’au sommet, transperçant le dôme vers la surface.

Je suis sûr que la pointe de ce truc est l’espèce de monolithe d’où je suis sorti. Dit comme ça, c’est bizarre…

Lorsqu’il fut suffisamment près du pilier, il vit que des objets y étaient plantés ou incrustés. Il y en avait de tout genre : des accessoires, des armes diverses, des bijoux et des éléments de protection. Au-dessus de ces derniers, il remarqua des sortes de sphères aux colorations nuancées, mais elles étaient fissurées de toutes parts. En s’approchant de l’un d’eux, un gantelet métallique terminé par des griffes, il déclencha quelque chose avec l’orbe : celui-ci s’éclaira et projeta l’image imposante d’un chevalier, dont le visage casqué était obscurci par des ombres.

Un… hologramme… ?

La représentation ne resta pas fixe longtemps, subissant des parasites qui coupaient ses mouvements. La seconde qui suivit, la voix du guerrier se répercuta dans la salle souterraine.

« Je suis… Aeon… Toi, qui est parvenue… Prendre les Divalia… nous emparer… Élysion… Puissants… Faire le bien… Mes richesses… »

Le visionnage cessa alors, préoccupant Régis sur ce qu’il allait faire.

Peut-être que je devrais pas y toucher… quoique… Ces choses pourraient m’aider à retrouver Malika…

« Maître… »

Régis se retourna d’un bloc en entendant cette voix, qui était parfaitement distinctive. Il ne savait pas pourquoi, mais il était sûr qu’elle venait d’une autre de ces choses.

Il contourna la colonne et s’arrêta sur un bracelet argenté, d’où provenait à priori la présence. D’abord hésitant, il se laissa emporter par la curiosité, mais s’approcha avec précaution du bijou. Sans effort, il la retira de ses entraves d’obsidiennes et l’observa sous tous ses angles.

Il a pas l’air très dangereux… ou puissant.

Il le mit à son poignet droit qui s’y glissa sans difficulté, ne ressentant aucun changement, puis la projection se déclencha, avec un peu de retard, et le guerrier recommença son discours. Sauf que la sphère était en parfait état et Régis put entendre les mots manquants, qui l’effrayèrent :

« Je suis le seigneur Arkos Aeon. Toi, qui est parvenue jusqu’ici, je te demande de ne pas prendre les Divalia. Nous avons tant sacrifié pour nous emparer de ces objets à Élysion. Ils sont trop puissants pour être utilisés, y compris pour faire le bien. Approprie-toi mes richesses, mais ne les descelle pas. »

Oh non… !

Au même moment, le bracelet s’illumina.

— Oh non !

Une chaîne éthérée se déploya au-dessus de lui, depuis le vide, et s’enroula autour de son avant-bras, là où il y avait mis le bijou, se glissant sous la manche de sa veste. Il sentit la douleur irradiée sur tout le membre, ayant l’impression que quelque chose le gravait à même la chair. Il se crispa pour éviter de hurler, mais il espérait que ça se termine au plus vite tellement c’était à la limite du supportable. Le bracelet se brisa tout à coup et les maillons disparurent en même temps. Les yeux embués, il se les essuya rapidement avant de soulever la manche et de regarder l’état de son bras.

À sa grande surprise, il avait désormais un tatouage : un ruban de tissu, dont le réalisme montrait qu’il était abîmé ou usé sur les bords, attaché autour de l’articulation par un nœud sur le dessus. La bande remontait jusqu’au milieu du membre et Régis y discerna huit runes, qu’il reconnut comme l’alphabet « futhark ». En parcourant le dessin qui entourait le poignet, il vit que le lien était déchiré en dessous, près des veines.

Avant qu’il ait pu se poser la moindre question, un cercle ésotérique se forma à ses pieds. Encore troublé par ce qu’il venait de subir, il ne réagit pas à temps et fut emporté dans un flash lumineux. La seconde d’après, il dégringola lourdement sur un sol en pente, roulant quelques instants jusqu’aux bords d’une falaise.

Il sentit alors la chaleur du soleil sur son visage et la douceur de l’herbe sous ses doigts. Il ouvrit lentement les yeux, qui furent aveuglés par l’éclat du jour, et prit une grande inspiration.

— J’en ai marre…, articula-t-il péniblement.

Il profita de cet instant d’accalmie pour se ressaisir et finit par se relever.

— Où j’ai encore atterri… ? s’interrogea-t-il en contemplant le panorama.

Le paysage avait drastiquement changé. Si en haut des ruines, il n’avait aperçu qu’une forêt s’étendant à perte de vue, il se trouvait dans les hauteurs d’un massif montagneux et verdoyant, encadré par une vaste vallée. Il regarda autour et constata l’endroit où il était tombé.

J’ai eu du bol de ne pas m’être cogné contre un de ces rochers… surtout qu’ils ont l’air saillants ! Eh, mais… ?

Parmi les touffes d’herbes où il avait atterri, il dénicha le cristal lumineux, ce qui ne manqua pas de le réjouir.

Quelle chance ! Ça va m’être bien utile quand la nuit tombera.

Il la rangea dans sa poche et regarda son tatouage nouvellement acquis avec crainte et fascination, ne pouvant s’empêcher de repenser à l’avertissement de ce « Arkos », et se demandait s’il n’avait pas fait une erreur. Réalisant que son incertitude affectait son humeur, il se ressaisit en se claquant les joues : il devait rester concentrer.

Le mieux à faire, c’est de s’orienter grâce à la hauteur et trouver un endroit civilisé… quand je saurais où je suis et que je me serais bien préparé, je pourrais me focaliser sur la recherche de Malika.

Pendant près d’une heure, il employa comme il put sa vision et scruta l’horizon pour repérer un éventuel signe de vie humaine, mais la faim lui commençait à lui tirailler l’estomac. Ignorant les grondements de son ventre, il se concentra à nouveau sur le panorama. Après une dizaine de minutes, il parvint à distinguer seulement une fine fumée noire jaillir en bas de la vallée, dans un petit bois qui s’étendait à quelques kilomètres de sa position.

Bon, c’est mieux que rien…

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