– 1 – Un coup pour se détendre

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En cette fin d’après-midi, un vendredi du mois de mai, la journée avait été pénible pour Régis, alors étudiant en seconde année d’Histoire à l’université de Montpellier. Avec une dizaine de personnes, il venait de sortir de l’amphithéâtre après plusieurs heures d’examen, le dernier d’une longue série.

Tout comme ses camarades, il espérait les avoir tous réussis afin de ne pas revenir ici pour les rattraper. Fatigué par l’épreuve réalisée et les nombreuses révisions qu’il avait faites chez lui ainsi qu’à la bibliothèque, il ne souhaitait qu’une chose : rentrer et se reposer.

Il détacha ses cheveux bruns, qui tombèrent devant ses yeux marron, et ne put s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement. Avant de partir, il regarda son téléphone afin de vérifier s’il n’avait pas reçu un message de sa petite-amie. Ce ne fut pas le cas, mais à la place, il avait eu des encouragements de la part de Lucien, son camarade de lycée et qu’il considérait comme un frère ; et Malika, qu’il connaissait depuis son enfance.

Si Régis était content d’avoir eu des pensées positives de ces derniers, il trouvait étrange de ne pas avoir obtenu de nouvelles de sa copine, surtout qu’elle avait terminé ses évaluations de psychologie bien plus tôt. Ils avaient rendez-vous demain soir pour fêter leurs deux ans de couple et à cette occasion, il voulait lui proposer de passer à l’étape supérieure : emménager ensemble.

Il s’était même rasé pour elle, alors qu’il avait horreur de ça, parce qu’il avait honte de son visage rond et joufflu. D’habitude, il cachait ça avec sa barbe, se contentant de la désépaissir de temps en temps.

Il envoya tout de même un cours SMS, comme quoi il avait fini et qu’il avait hâte de la voir, et quitta l’établissement en direction de son logement.

— Eh, le Revanchiste !

Celui-ci se retourna à la voix qui l’interpellait par son surnom et reconnut Valentin, l’un de ses camarades de sa section qui venait de terminer peu après lui.

— Alors ? demanda celui-ci. Tu t’en es sorti ?

— J’espère, Val… Je n’ai pas envie de tout recommencer !

— Pareil pour moi ! s’exclama-t-il en riant. T’as prévu quoi ce soir ?

Le jeune homme, connaissant ce genre de question, répondit d’un ton qui ne laissait aucune place à la négociation :

— Dormir !

— Mais allez ! Une petite bière te fera pas de mal !

— La dernière fois que tu as dit ça, j’ai dû te traîner jusqu’à chez toi à pieds ! se plaignit-il. Je me suis fait engueuler par ta mère ! Et aussi, arrête d’utiliser mon surnom : j’aimerais terminer cette journée sans l’entendre de la bouche de quelqu’un.

— Ça va être un peu difficile puisqu’on s’est habitué à t’appeler comme ça…

— Il n’y a que mes compères qui ont le droit de le faire !

Malgré le ton sérieux et exaspéré de son collègue, Valentin joua la comédie.

— Tu m’as tellement blessé, ça me fait mal ! simula-t-il en feignant une crise cardiaque.

Il aurait pu continuer longtemps s’il n’avait pas vu sa mine éreintée et lasse. Par habitude, Régis n’aimait pas parler de cette dernière passion, car il avait subi des moqueries par des personnes qui n’y comprenaient rien, et avait donc évité de mentionner ses activités à ses camarades.

Ce surnom datait de quelques années, peu après qu’il ait commencé à faire des festivals médiévaux à ses seize ans.

Normalement, il n’aurait pas pu participer jusqu’à sa majorité, mais il avait réussi à duper les administrateurs, car il avait paru plus vieux qu’il en avait l’air.

Lors d’une confrontation, il s’était fait battre aisément par un garçon du même âge que lui, mais qui fréquentait ce genre d’événements depuis plus longtemps. L’année suivante, Régis l’affronta de nouveau avec insistance et obtint sa revanche après un combat acharné, qui avait plus l’aspect d’un règlement de compte qu’un match amical.

Et malgré lui, il avait marqué les esprits des spectateurs et des organisateurs de tournoi, où il fut affublé de ce sobriquet tel un titre officiel : « Le Revanchiste ». Et par la suite, il fut annoncé par ce surnom qu’il trouvait ridicule. Malheureusement, son activité secrète fut révélée à la fin de sa première année d’université : il avait été reconnu par l’un de ses camarades durant un duel et ainsi, la rumeur s’était répandue, continuant pendant toute sa deuxième année ; ce qui l’agaçait beaucoup.

C’était aussi depuis cette période qu’il n’avait plus grandi. En dépit de sa taille moyenne actuelle, il se voyait toujours plus petit que ses compères, mais il la compensait par une large carrure, ayant toutefois un léger embonpoint.

— Alors… ? s’entêta son collègue. Et cette bière ?

— T’es soûlant, Val !

Le jeune étudiant expira bruyamment, puis prit une décision.

— C’est bon… je vais venir ! accepta-t-il avant d’émettre une condition. Seulement si je n’entends plus le mot Revanchiste pour la soirée et c’est pas négociable !

— T’es pas drôle… Mais si c’est ce que tu veux, je ferai un effort et les autres aussi. Je te laisse, j’ai mon bus à prendre, finit-il en le saluant de la main. On se retrouve au bar habituel.

— Ouais… à tout à l’heure…

Quelle galère… ! pensa-t-il en sortant ses écouteurs de la poche. Je peux dire adieu à mon repos bien mérité.

Pendant quelques minutes, il défila les pistes de musique de son téléphone jusqu’à tomber sur celle qu’il cherchait, puis poursuivit sa route.

Depuis qu’il s’était installé à Montpellier il y a deux ans, Régis ne s’y était pas beaucoup déplacé : c’était une très grande ville, la plus peuplée de la région grâce aux nombreuses personnes qui venaient jusqu’ici pour étudier. Elle était divisée en plusieurs zones différentes, mais il préférait se limiter seulement à deux : le quartier Hôpitaux-Facultés, là où se trouvait l’université d’Histoire ; et le quartier Montpellier-Centre.

Il marcha tranquillement le long du trottoir, écoutant sa chanson favorite de Folk Metal, et atteignit l’endroit où il logeait : la Résidence Minerve. Alors qu’il se dirigeait vers son bâtiment, la majorité des étudiants quittaient les lieux avec leurs valises et leurs effets personnels, mais il ne s’en préoccupa pas : il avait prévu de s’en aller lundi chez ses parents, qui habitaient à Béziers.

De plus, il aurait la maison pour lui seul pendant un mois : avant de commencer les partiels, ils lui avaient annoncé qu’ils partaient en voyage au Québec. Ils regrettaient juste qu’il n’ait pas fini ses examens plus tôt, sinon ils lui auraient proposé de venir.

Toutefois, Régis était tout aussi heureux de garder son indépendance pour le moment.

Il entra dans son immeuble, qui semblait bien vide désormais, et monta au plus vite jusqu’au troisième étage. Lorsque le déclic de la porte se produisit, il s’engouffra d’un coup d’épaule avant de jeter son sac dans un coin et de fermer derrière lui en la claquant.

Il y avait peu de choses à décrire dans ce studio, puisqu’il était semblable aux autres modèles du bâtiment. Il s’agissait d’une petite habitation avec cuisine, car certains ne se contentaient que d’un logement moins cher en ne prenant qu’une simple chambre, avec une salle de bain, une armoire, un mini réfrigérateur, un canapé qui se dépliait en lit, et un bureau face à ce dernier. Des vêtements étaient éparpillés au sol alors que des feuilles de cours étaient dispersées partout dans le studio.

Épuisé autant physiquement que mentalement, il profita d’un moment d’accalmie pour se laver, restant sous l’eau chaude de longues minutes. Une fois habillé, il regarda à nouveau son téléphone : il n’avait toujours pas eu de retour de sa part. Il commença à s’inquiéter, mais se dit qu’elle devait être chez ses parents et qu’elle avait oublié de lui répondre.

Remarquant soudainement l’heure indiquée sur l’écran, il se brossa rapidement les dents, attacha ses baskets, vérifia son portefeuille puis sortit son studio en pressant le pas. Il l’emboîta lorsqu’il fut à l’entrée et parvint à rejoindre la station à temps, juste au moment où le tramway arrive.

Mais, il regretta aussitôt d’avoir accepté : il avait oublié qu’à cette heure-ci, le véhicule était bondé. Puisque c’était le dernier jour des examens, tous les étudiants, qui n’avaient pas quitté la ville, avaient décidé de fêter la fin de leur année, qu’ils aient réussie ou échouée. C’était sa raison principale de détester ce genre de transport en commun : il y avait sans cesse beaucoup trop de personnes entassées à l’intérieur.

Et il avait horreur d’être enserré comme ça.

Certes, il l’utilisait pour se rendre dans le centre-ville, très rarement, mais il n’aimait pas aller là-bas. La plupart du temps, c’était dû aux manifestations qui s’y étaient déroulées.

Lorsqu’il arriva à destination, à l’arrêt de la Place de la Comédie, Régis ressortit en bousculant les usagers qui le bloquaient. Assez irrité d’avoir été comprimé durant le trajet, le jeune étudiant commença par se calmer, sous le regard étonné des passants, puis reprit son chemin.

Comme à son habitude, l’endroit était grandement éclairé lorsque la nuit tombait, grâce aux décorations de lumière sur les bâtiments anciens, les lampadaires et les magasins qui l’entouraient. Puisque ce lieu était le point névralgique de la ville, il était donc normal de voir l’essentiel de la population ici pour faire diverses activités, dont des manèges qui avaient été installés près du théâtre municipal.

Heureusement, le jeune homme n’avait pas besoin de faire tout ce chemin : le bar était dans une ruelle face de l’arrêt du tramway.

Il croisa la route des membres d’une secte qui s’étaient réunies sur la place pour donner des prospectus et attirer de nouveaux adeptes.

Ce groupuscule, nommé « les Deusciens », était apparu il y a quelques années et annonçait le retour des âges mythiques et des anciennes divinités. Il avait gagné en importance en très peu de temps, notamment parce que de nombreuses célébrités et des gens fortunés s’étaient joints à eux, les soutenant financièrement. Les rumeurs et théories du complot s’étaient rapidement propagées, comme celle où ils avaient des membres haut placés dans la politique ou qu’ils dirigeaient le monde dans les ombres depuis des millénaires, de la même manière que les autres sociétés secrètes.

Mais pour l’étudiant, cela ne voulait dire qu’une chose : il y aurait une présence policière excessive.

Difficilement, en jouant des bras pour repousser les adorateurs, il put rejoindre le bar en question : le « Fitzpatrick’s Irish Pub ». Il s’agissait d’un pub irlandais, installé ici depuis une vingtaine d’années, qui accueillait beaucoup de personnes en tout genre. Il pouvait être qualifié de traditionnel avec son esthétique ancienne des pubs d’Irlande. L’ambiance était assez sympathique, mais devenait assez électrique lorsqu’il y avait des événements majeurs sportifs régionaux et internationaux, ce qui ne lui plaisait pas vraiment, car il n’aimait pas les matchs en général.

Toutefois, ce bar ne valait pas l’Antre de l’Échoppe à Narbonne, tenue par Renaud, véritable taverne à l’allure médiévale. Il avait connu cet endroit grâce à Lucien, lorsqu’ils étaient tous les deux au lycée Beauséjour.

Pour en revenir au premier établissement, celui-ci était plus calme que d’habitude malgré l’afflux d’étudiants, sûrement parce qu’il y avait d’autres brasseries dans cette partie de la ville.

Régis retrouva ses collègues sur la terrasse en face du bar, qui l’attendaient justement avec impatience.

— Eh ben ! T’en as mis du temps, dit Valentin en le voyant arriver.

— Tu connais les tramways, ils ne sont jamais fiables quand il s’agit de ponctualité.

Tous ses camarades sourirent à son excuse, reconnaissant qu’elle était valable en toute situation. Ils commandèrent leurs boissons et trinquèrent à leur année.

Pendant plusieurs heures, ils discutèrent de leurs impressions, de leur filière ou des événements qui s’étaient produits, comme le fameux jour où ils avaient découvert l’activité de Régis. Malgré la promesse de Valentin, ils se moquèrent de lui en simulant des scènes de combat avec des mouvements d’épées. Ça l’irrita un peu, mais heureusement, le sujet ne dura pas longtemps, car ils commencèrent à parler de leurs projets de vacances.

— Eh bien, moi… J’ai prévu de partir au Japon ! déclara Valentin légèrement ivre. Je vais y rester… un… deux… trois semaines ! Et toi… le Rev... Non ! Régis ! Tu comptes faire… quoi ?

— Je vais passer le week-end avec ma copine, répondit-il sans bégayer, plus tolérant à la bière. Et on verra par la suite.

Après quelques verres supplémentaires, Régis commença à ressentir l’effet de l’alcool, ce qui signifiait qu’il était temps pour lui de rentrer. Il salua ses collègues, leur souhaita de bonnes vacances, et revint à l’arrêt du tramway.

Étonnamment, il ne rencontra pas de dévots de la secte à son retour.

Peut-être que les flics les ont embarqués… Enfin, je vais pas me plaindre de leur absence.

À cette heure tardive, le véhicule n’était plus si bondé que tout à l’heure. Il put s’asseoir sans être étouffé par le monde et ferma les yeux, un court instant. Il fut réveillé grâce à l’annonce de sa station et parcourut la distance à pied, dans un silence quasi total.

Au moment de rentrer dans son bâtiment, il sentit sa poche vibrer. Lorsqu’il regarda le message, il fut extrêmement troublé par ce que disait celui-ci :

« Je suis désolée, mais je souhaite en rester là avec toi. Je suis déjà partie. Ne m’appelle pas. »

Surpris par ce SMS, car ce n’était pas son genre de faire de courts textes, Régis contredit l’interdiction, mais il tomba directement sur son répondeur. N’en revenant pas de ce qui venait de se produire, il jeta son téléphone au sol en jurant.

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