L'Homme

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Il faisait sombre et froid dehors, la pluie tambourinait contre les vitres de l'auberge de Renus, un village paisible vivant de la pêche et du commerce. Leucis, assis au fond de la pièce, observait silencieusement son environnement. Son visage était dissimulé par une cape bleu roi, ajoutant à son allure mystérieuse.

Une jeune serveuse, visiblement nouvelle dans l'auberge, s'approcha de lui.

  • Avez-vous besoin de quelque chose d'autre, messire ? demanda-elle avec hésitation.

Leucis ne répondit pas, se contentant de faire un geste discret de la main pour lui indiquer de partir. La serveuse se tourna sans poser de question, sous le regard attentif de l'aubergiste, intrigué par la présence immobile de l'homme depuis plusieurs heures, avec pour seule commande une carafe d'eau.

Soudain, un groupe de trois hommes et une femme fit irruption dans l'auberge, apportant avec eux un souffle de vent glacial. Ils refermèrent violemment la porte en en décrottant leurs bottes boueuses sur le tapis sale et usé.

  • Alors les gars ! Je vous l'avais dit que mes sources étaient fiables ! Vous avez vu hein ? Le convoi est passé pile à l'heure et nous voilà maintenant libre pour quelques mois ! s'exclama l'un des hommes.
  • Ouais bravo, tu as assuré sur ce coup-là ! ajouta un autre en levant son verre.

Le groupe commanda de la nourriture copieuse et de la bière, tandis que l'aubergiste encaissait les pièces sans poser de question, préoccupé par l'homme solitaire à l'arrière de la salle. La femme, dont l'assurance la désignait clairement comme la chef, fixait Leucis avec insistance. Les hommes s'installèrent à une table proche de l'entrée, leurs armes dépassant de leurs ceintures et bottes.

Pendant leur repas, la femme continua d'observer Leucis, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus supporter le bruit de mastication de ses compagnons. Elle se dirigea vers lui et prit place à ses côtés, tandis que les autres hommes continuaient leur festin sans se soucier de la scène.

  • Bonsoir, moi c'est Shariel, ton visage me parait familier. Nous serions nous déjà croisé quelque part ?

Leucis resta de marbre, immobile. Soudain, Shariel sembla se souvenir de quelque chose, son visage trahissant une émotion jusqu'alors inexistante. Elle sortit un papier de sa poche, partiellement déchiré et abîmé par la pluie et le temps. Elle le fit glisser vers Leucis, qui inclina légèrement la tête pour l'examiner.

Un silence s'installa dans la salle, rompu seulement par trois bruits distincts. Les hommes du groupe s'effondrèrent sur la table, touchés par des éclats venus de nulle part. Un molosse apparut subitement, effrayant l'aubergiste qui s'empressa de fuir. Shariel, se retrouva plaquée au sol, une serpe menaçante appuyée contre sa nuque. Puis, tout aussi subitement, le chien disparut, laissant derrière lui une légère brise qui fit trembler les cheveux de Shariel.

Leucis se rapprocha d'elle, maintenant son arme près de son cou, sans protection. Il ôta sa capuche, dévoilant un visage qui suscita l'étonnement chez Shariel. Des cornes émergèrent de son front, sa peau prit une teinte sombre et rougeâtre, et une queue apparut à la base de son dos. Ses yeux étaient dépourvus de sclère, seule une lueur argentée brillait au centre de ses globes. Malgré le retour soudain du bruit dans la pièce, une étrange quiétude se maintenait.

— D'où vient ce papier ? gronda-il d'une voix grave et gutturale, semblant émaner des enfers.

  • Je ... je ... , bafouilla Shariel, tremblante.

La lame se fit plus oppressante contre sa jugulaire, marquant sa peau d'une tache rouge. Incapable de parler, les pupilles de Shariel s'écarquillèrent de terreur.

  • Je ... je me souviens de vous. Vous êtes celui qui m'a sauvée, le moine qui m'a guérie lorsque la maladie me rongeait, parvint-elle enfin à articuler.

La pression de la lame s'adoucit légèrement.

  • Oui, c'est ça. Vous m'avez sauvée, et le lendemain votre monastère était réduit en cendres. Après votre départ, je suis allée voir et j'ai réussi à préserver quelques archives, notamment une poignée de livres, dont cette page du journal de votre maître, probablement arrachée de son ouvrage. Ensuite, l'inquisition est arrivée et a rasé notre village pour découvrir la cause de l'hérésie. J'ai dû fuir et voler pour survivre jusqu'ici avec cette bande de brutes que vous venez de tuer, raconta-t-elle.

  • Oui ! Bien sûr, je m'en souviens clairement maintenant. Puis le lendemain, nous avions appris que le monastère de la colline avait brûlé. Les jours qui suivirent, je me rendis plusieurs fois sur place pour observer mais ce n'était qu'un tas de ruine désert et brulant. Puis, en explorant légèrement plus, j'ai réussi à retrouver une poignée de parchemins et un grimoire contenus dans un coffre sous scellé. Je n'ai récupéré que quelques feuilles car le coffre était gravement abimé après l'incendie. Je viens de vous en donner une et il en reste 4 autres dans les sacoches de mon cheval dehors, termina-t-elle en reprenant sa respiration.

Leucis rangea sa lame et tendit un mouchoir ensanglanté à Shariel pour qu'elle essuie les quelques gouttes de sang qui perlaient sur son cou. Puis, il retourna s'asseoir à sa table, se tenant la tête, sa queue s'enroulant sans fin autour de sa jambe. Shariel reprit son souffle et le rejoignit à la table, scrutant son visage avec une attention accrue, tout en pressant tant bien que mal le mouchoir contre sa peau meurtrie.

  • Vous êtes un Tieffelin, n'est-ce pas ? interrogea-t-elle.
  • Oui, je me souviens de toi, répondit-il d'une voix à peine audible.

Il ne répondit pas, il se contentait de lire le parchemin en boucle. Elle put observer un léger tremblement au niveau de ses doigts qui étaient crispés sur le document. Puis il leva les yeux vers les cadavres qui ornaient le sol.

  • Du gâchis, soupira-t-il.

Leucis se leva, ses yeux étincelants créant une ambiance étrange sous la lueur vacillante des bougies et de la cheminée. Les reflets jaunâtres, aux bordures orangées, projetaient des ombres effrayantes sur sa peau sombre, renforçant son allure imposante. Prenant une profonde inspiration, il se dirigea vers la sortie, laissant quelques pièces pour l'aubergiste. Il ajusta sa cape, puis sa queue et ses cornes disparurent. En ouvrant la porte en bois, dont les gonds rouillés grinçaient bruyamment, il se tourna vers Shariel.

  • Attendez ! Le reste des livres est dans la sacoche de ma jument à l'étable ... ajouta-t-elle.

On entendit un craquement sec et la fille tomba au sol.

  • Merci, j'en prendrai soin, dit-il en faisant une brève prière.

Puis Leucis sortit de l'auberge et bondit sur le premier cheval disponible. Il glissa également les livres dans son sac et s'éloigna lentement vers le sud-ouest, attiré par les rumeurs qui s'y propageaient.

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