Chapitre 4

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 Elvis errait dans les rues environnant le chemin des Dix Menottes. Voûté, en proie à de fréquents spasmes qui faisaient s'écarter de son chemin les passants qu'il croisait. Sa peau le grattait en de nombreux endroits.

Qu'est-ce qui ne vas pas ?

 Qu'est-ce

je fais

 Ses pensées se fragmentaient. Il ne parvenait plus à trouver son chemin. Ni dans les rues, ni dans son esprit. Le trouble était total.

 Dans chaque coin d'ombre, il apercevait le flou. Ces visions le faisaient sursauter, poursuivre son chemin en tremblant.

 Assis dans un parc, un journal abandonné lui apprit que mercredi était arrivé.

Mercredi papa Charlie Charlie Charlie rentrer.

 Mais il ne pouvait pas rentrer dans cet état. Pas avant d'avoir eu une bonne nuit de sommeil.

 Il plongea machinalement la main dans la poche de sa veste et en sortit le flacon de pilules que lui avait remis le docteur Mammon. Il en avala deux sans se rendre compte de son geste.

Dor Marie Charlie m

mir dor r

 La nuit tombait. Il avait besoin de sommeil.

                     ***

 Après la débauche de calmants et d'alcool qu'avait été sa nuit, et le réveil difficile vendu avec, Hernan s'était rendu dans un café pour petit-déjeuner et reprendre ses esprits. Les deux premiers Valium de la journée avaient toujours un effet dévastateur.

 Il avait déposé le téléphone d'Elvis à Petro, un hacker spécialisé dans le déverrouillage de matériel informatique volé en sortant de chez les Raum ; avant de retourner chemin des Dix Menottes pour surveiller les allées et venues autour de l'hôtel Parci. Il vit à nouveau Alma, la prostituée qu'il avait vu monter dans une chambre. Le comportement du réceptionniste à son égard lui avait indiqué qu'elle devait travailler là tous les jours et il avait décidé d'essayer de s'informer auprès d'elle sur le supposé passage d'Elvis au Parci.

 Le maquereau, un grand type à l'air sournois qui devait facilement peser ses quatre-vingt dix kilos, veillait au grain. Il finit par s'absenter une heure et demi plus tard pour disparaître à l'intérieur de l'hôtel. Hernan pensait l'avoir vu se gratter les avant-bras mais ne pouvait être sûr de rien. Pour éviter de se faire remarquer, il s'était assis à un arrêt de bus voisin et faisait semblant de lire un journal. Beaucoup de bus étaient passés, et bien que le mac n'ait pas l'air d'être le couteau le plus affûté du tiroir, il finirait immanquablement par le remarquer et se poser des questions. C'était maintenant ou jamais.

 Faute sans doute à son empressement, il s'était approché d'elle un peu trop vite, l'avait abordée d'une façon trop directe. Elle avait pris peur et s'était immédiatement fermée. Hernan n'avait pas insisté de peur de lui attirer des ennuis en plus. Il mettrait longtemps à oublier son regard. Le regard de ceux qui n'attendent plus rien des autres que la perspective d'être à nouveau blessés.

 Il était dans le bus pour rentrer chez lui quand son portable vibra. Un message de Petro.

 " J'ai fini de réparer l'écran de ton téléphone, tu peux passer le chercher. N'oublie pas les cinquante Pesos. "

 Il s'arrêta à l'arrêt suivant et changea deux fois de ligne pour se rendre chez le hacker, qui officiait dans une petite boutique à l'air tout à fait conventionnel. Des rayonnages de coques et de vitres trempées pour de nombreux modèles de smartphones pendaient sur des rayonnages, de part et d'autres d'une vitrine où se trouvaient des ordinateurs portables et des téléphones reconditionnés affichant des prix cassés. Petro, un jeune homme dans la vingtaine au visage mince, barbe de trois jours et coupe soignée se tenait derrière un comptoir en stratifié blanc. Son t-shirt bleu de Prusse affichait l'inscription : " vite fait, bien fait ! "

 Hernan consulta les derniers messages en date. La plupart s'inscrivait dans des fils de discussion liés au travail et le dernier reçu venait d'un certain Ronnie, dont le nom était accompagné de deux petit cœurs et d'un emoji de biceps contracté. Il lui demandait de se rendre en urgence à un lieu nommé le Local.

 C'est donc à cet endroit que le détective avait décidé de se rendre directement après son petit-déjeuner.

 L'entreprise fourmillait d'agitation. Même le réceptionniste qui l'avait accueilli d'un œil dubitatif, Hernan ne ressemblant pas vraiment aux personnes qui venaient déposer un CV ou réclamer une entrevue avec les dirigeants de Jst Nmbrs en temps normal, ne savait plus où donner de la tête. Toutes les trente seconde leur discussion était coupée par des sonneries de téléphone.

 - Juste une seconde …

 Et le réceptionniste en chemise blanche, ornée d'un badge disant : "Daniel, à vôtre service pour vous aiguiller !" , était parti pour cinq minutes de discussion et de prise de notes sur son ordinateur portable. Nul doute que si Hernan n'avait pas été sous l'empire relaxant du Valium, il aurait perdu patience depuis un bon moment lorsque le Daniel en question lui demanda de monter par l'ascenseur jusqu'au quatrième étage pour rencontrer les associés d'Elvis.

 Il traversa une grande pièce sans murs, où le plafond n'était soutenu que par des colonnes de sections carrées. Des tables de ping-pong et des sofas avaient étés installés un peu partout et de grandes lettres éclairées de LEDS indiquaient : ESPACE COM. L'air de détente générale n'effaçait ni les cernes ni la retenue qui transparaissait sur les visages des employés. Il régnait une tension dans la pièce, qui taisait son nom. Une impression de surveillance cachée sous un manteau de bonheur.

Est-ce qu'ils savent qu'ils ont l'air d'une parodie ? se demandait Hernan en pénétrant dans le bureau de Laura.

 Effectivement, dans le bureau agencé comme un cabinet de thérapie Zen, avec ses meubles en bambou et ses décorations de pierre grise claire, on aurait pu croire que les trois jeune gens prenaient la pose.

 Laura, une jeune femme blonde plus que ravissante avec ses yeux verts en amande, ses vêtements taillés sur-mesures pour la mettre en valeur, laissait sonner un rire cristallin alors que Ronnie, appuyé sur son bureau la taquinait d'un air charmeur. Il était grand, sportif, habillé avec goût. Cassiopée lisait quelques feuilles retenues ensemble par un trombone, le visage caché derrière sa frange et ses grosses lunettes. Sa jupe à fleurs et son pull à col roulé dissimulaient les formes qu'elle jugeait disgracieuses.

Une mauvaise parodie de sitcom. C'est qui ceux-là, le Scooby-Gang ?

 Il leur posa les questions habituelles : " Quand avez-vous monsieur Raum pour la dernière fois ? " ; " Sauriez-vous où il pourrait se trouver maintenant ? " ; " Est-ce qu'il avait des problèmes, des ennemis ? " .

 La plupart du temps, ce fut Ronnie qui répondit. Laura semblait porter peu d'intérêt aux questions du détective, qu'elle gratifia à peine de regards pleins de mépris. Cassiopée avait l'air nerveuse quand Ronnie lui répondit qu'il était passé un matin, l'air mal en point. Il l'avait envoyé voir son médecin traitant pour qu'il puisse l'aider avec ses problèmes d'insomnie.

 - Quelqu'un d'autre était présent ce matin-là ?

 Un léger frémissement du visage de Cassiopée ne passa pas inaperçu aux yeux du détective.

 - Pas du tout, j'étais seul, en train de … Vérifier deux ou trois trucs, ça vous ennuierait plus qu'autre chose.

 Hernan n'aimait pas la condescendance qui transpirait de sa voix.

 - Il travaille tellement, dit Laura en caressant la main de son fiancé, levant vers lui un regard plein d'amour. Je me demande où il trouve toute cette énergie. Pour le travail et pour le reste …

 Elle pouffa comme une adolescente. Les mâchoires de Cassiopée se contractèrent.

 - Bon, en parlant de travail, il faudrait qu'on s'y remette. Alors si vous n'avez plus de questions … fit Ronnie en le raccompagnant vers la sortie.

 - J'aimerais bien jeter un œil à son bureau, si ça ne vous fait rien. Vous savez, histoire de me faire une idée de la personne que je suis en train de rechercher.

 - Bien sûr, pas de soucis. Cass' tu t'en occupes ? lança Laura alors que Ronnie revenait déjà vers elle. On risque d'être un peu occupés pendant la prochaine demi-heure, si tu vois ce que je veux dire …

 Nouveau pouffement et la porte se referma.

 - Elle m'a l'air charmante, dit Hernan alors qu'ils descendaient vers le premier étage.

 La jeune femme rit doucement, comme dans un soupir, au sarcasme du détective.

 - Vous n'imaginez même pas … répondit-elle d'une voix monotone. Nous y voilà. Je dois retourner bosser, je vous laisses voir ce que vous avez à voir. Fermez la porte en partant, si ça ne vous déranges pas.

 - Aucun problème madame ?

 - De Sainte Rita. Cassiopée De Sainte Rita.

 Elle lui serra la main avant de partir. Hernan se dit qu'elle avait l'air gentille, quoi qu'un peu mollassonne. Il se demandait quel secret elle pouvait cacher et en combien temps il pourrait lui faire avouer.

 Le bureau d'Elvis ne présentait aucune information intéressante. Impeccablement rangé, la seule chose qui n'était pas en lien avec le travail était une photo de Marie et leur fils dans un cadre noir. Les tiroirs ne contenaient que des blocs-notes et d'autres articles de papeterie.

 En quittant le Local, il avala deux Valium, alluma une cigarette et passa un coup de fil à Marie pour essayer de se faire une meilleure idée des collègues du disparu.

 - Je ne sais pas quoi vous dire, Ronnie est le meilleur ami d'Elvis. Alors je les fréquentes forcément lui et Laura. Ils sont fiancés.

 - Vous diriez que vous êtes proches ?

 - Pas vraiment. Mais Cassiopée et moi sommes très amies depuis la fac. Même si …

 Hernan garda le silence.

 - Enfin, bref.

 - Non, allez-y, dites moi tout.

 Aucun lien avec mon mari, je vous assure.

 Hernan n'insista pas.

 - Je n'ai rien pu apprendre de plus hier en retournant au Parci. Il y avait une … femme qui travaille là-bas. J'ai essayé d'en savoir plus mais elle n'a pas voulu répondre à mes questions. Je pense que je l'ai effrayée. Je pense essayer d'y retourner ce soir et voir si je peux en apprendre plus.

 - Peut-être qu'elle s'ouvrirait plus facilement si elle parlait à une personne du même sexe ?

 - C'est peut-être une bonne idée. Mais ce n'est pas vraiment le genre d'endroit dans lequel vous avez envie de traîner, madame Raum. Je ne suis pas sûr que vôtre beau-père apprécierait que je vous emmènes là-bas.

 Marie faisait les cents pas dans sa cuisine et n'apprécia pas du tout cette dernière remarque.

 - Je suis assez grande pour prendre mes propres décisions, trancha-t-elle. Envoyez-moi une adresse où je peux vous retrouver. À vingt et une heure.

 Elle raccrocha avant d'appeler Charles pour lui demander de garder Charlie pour quelques jours. Malgré le sentiment de mal agir en se dérobant à ses responsabilités de mère, elle ne supportait plus d'attendre que les choses s'arrangent. Elle voulait agir et retrouver son époux, où qu'il soit.

 Charles ne paraissait pas emballé à l'idée de la savoir courir les rues de Port-Croix avec Hernan Castillo, qui, quoi que bon détective, semblait parfois inconscient du danger dans lequel où il pouvait se mettre, ou mettre d'autres personnes. N'était-ce pas lui qui n'avait pas hésité à pénétrer par effraction dans le coffre-fort d'une de ses entreprises simplement pour prouver qu'il était possible de le faire ? Cette fois-ci il avait bien failli se faire cribler de balles par la sécurité. Mais il connaissait le caractère de sa belle-fille et savait qu'essayer de la détourner de son objectif ne ferait que la renforcer dans ses certitudes. D'ailleurs, c'était ce caractère bien trempé qui s'était attiré son respect et son affection. Parfois, Marie le faisait penser à Zelda.

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