Chapitre 5

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 La lumière de l'aube commençait déjà à enflammer la silhouette des immeubles. Elvis emporta son café avec lui pour le boire à l'extérieur. Il avait besoin d'air frais. L'avenue du Derviche était l'une des plus grandes de la ville et n'importe qui savait s'y rendre en un clin d'œil. Mais après avoir vidé son café assis dans sa voiture, Elvis commençait à sérieusement douter de lui-même. Il ne supportait plus cette fatigue qui lui enlevait tout contrôle et se demanda en chemin ce qu'il allait bien pouvoir dire à ce fameux docteur.

 Il avait évité ce moment autant que possible depuis sa dernière grippe. La fois d'avant, il avait été consulter pour obtenir un certificat d'aptitude à la pratique du saut à l'élastique.

 - Je suis sûr que je peux trouver un endroit où on peut le faire sans avoir besoin de certificat, avait-il dit à Marie.

 - Et moi je peux en trouver où ils te laisserons même le faire sans élastique.

 Il avait fini par aller chez le docteur sans ressentir aucun symptôme autre que l'angoisse que ce lieu provoquait chez lui. Il en était ressorti avec une ordonnance et un arrêt de travail pour cause de grippe qu'il jeta à la poubelle.

 C'était donc autant car il rechignait à aller se faire ausculter que parce qu'il hésitait sur la conduite à tenir une fois à destination qu'il tournait en rond aux alentours du cabinet. Il passa même une fois devant sans s'en rendre compte.

 Fallait-il lui parler des terreurs nocturnes de plus en plus violentes ?

Tu vas passer pour un barjot si tu fais ça.

 Cette peur précise lui fit prendre sa décision et il finit par aller se garer au pied du cabinet.

 C'était un magnifique immeuble, visiblement ancien. Le rez-de chaussée était doté d'une façade entièrement vitrée devant laquelle attendaient deux personnes qu'Elvis ne put distinguer correctement qu'après s'être garé.

 Il s'agissait de deux femmes. L'une était plus élancée tandis que l'autre était petite et dodue.

 La plus grande était blonde, emmitouflée dans un long manteau de fourrure qu'elle serrait contre elle. Elle portait de grandes lunettes de soleil rondes qui cachaient ses yeux, mais on pouvait voir de loin que son corps était secoué par des sanglots.

 L'autre était habillée plus simplement, ses longs cheveux poivre et sel ramenés en une queue de cheval échevelée. Elle trépignait sur place, sonnait à répétition en caressant parfois la joue de la jeune femme qui levait la tête vers le ciel pour implorer la fin du mal qui semblait la tourmenter. Alors, passant la main partout sur son visage, elle continuait de sonner. La porte finit par s'ouvrir et elles entrèrent dans le cabinet.

 Elvis regarda quelques temps le vide qu'elles avaient laissé devant l'entrée comme si il était encore chargé de leur énergie.

Marie se serait précipitée vers elles pour savoir ce qui n'allait pas, pensa-t-il. Tu ne …

Un hurlement quelque part le tira de ses pensées.

 En passant la porte vitrée, Elvis ne savait pas où se mettre. La salle d'attente était grande, décorée dans des tons gris et bleus. La prédominance des meubles métalliques et les Poutres de soutènement apparentes lui donnait une allure froide. Plusieurs fauteuils et canapés avaient étés disposés dans la pièce comme si on avait voulu créer de petits salons. Plusieurs machines à café et distributeurs de boissons étaient disponibles. Des œuvres d'art contemporain sur les murs de béton ciré.

 Un escalier de métal noir donnait accès aux étages supérieurs. Au fond de la pièce, à côté de l'escalier, une réceptionniste en tailleur de luxe écoutait insensiblement la femme à la queue de cheval lui débiter avec anxiété les symptômes de sa fille.

 - Ma fille souffre beaucoup, vous comprenez ? Elle a vraiment mal et …

 Sa voix brisée dans un sanglot, elle porta les doigts à ses paupières pour essayer de retenir les larmes.

 Assise sur un des canapés, pliée en avant et alternant entre gémissement de douleur et respirations profondes, on pouvait comprendre rien qu'à la voir l'anxiété de sa mère.

 - Le Docteur Mammon nous avait promis qu'il serait là si il y avait la moindre complication, reprit-elle. Vous ne pouvez pas lui donner quelque chose contre la douleur ? S'il vous plaît.

 - Madame, je n'ai pas le droit de faire une chose pareille, ce serait illégal, dit la réceptionniste avec un sourire désolé. Il faut que vous attendiez l'arrivée du docteur pour qu'il puisse faire quelque chose.

 - Vous savez quand il arrivera ?

 La jeune femme poussa un râle de douleur qui la fit tousser.

 - Le docteur Mammon me préviens rarement de ses horaires mais … Oh ! Regardez, on dirait qu'il arrive.

 De là où il s'était assis, dans un fauteuil face à la jeune femme en souffrance, Elvis ne pouvait pas apercevoir Mammon qui s'approchait. Cette image n'échappa à rien à la mère inquiète qui se précipita vers l'entrée. Elle s'arrêta en chemin pour s'agenouiller devant sa fille.

 - Là, ma chérie, là … Le docteur arrive il va te soigner, mon amour.

 La jeune femme hocha la tête dans un spasme. Derrière son bureau, la secrétaire avait baissé les yeux vers l'écran de son téléphone contre lequel ses longs ongles manucurés venaient s'abattre dans un TACTACTAC régulier.

 Un petit homme chauve entra à la suite de son ventre distendu. Il portait un costume qu'on aurait pu qualifier de kitsch plus que de vintage et qui tranchait avec la décoration impeccable de la salle d'attente. Il balaya la pièce du regard avant de se diriger d'un pas assuré vers Elvis.

 - Ah ! Monsieur Raum je présume ? Monsieur Mercedo, enfin, Ronnie, m'a prévenu de vôtre arrivée. Je connais l'urgence de vôtre cas, suivez-moi …

 - Euh …

 Elvis le regarda interloqué avant de pointer la jeune femme et sa mère du doigt.

 - Je crois que les dames étaient là bien avant moi.

 Les sourcils relevés en un accent circonflexe, le docteur se tourna vers les deux femmes.

 - Madaaaame ? Poublos c'est ça ? Eeeeeeeeet …

 - Lobos, rectifia la mère. Carmen Lobos et ma fille Ivana Melski. Vous nous aviez dit que vous seriez là pour nous à la moindre complication, docteur. Ma fille a très mal et …

 - Avez-vous pris rendez vous madame Loubos ?

 Carmen n'en croyait pas ses yeux et les écarquilla bien grands. Elle avait le regard qu'ont les gens qui voient impuissants un huissier en train d'emporter le berceau de leur enfant. Qui supplient leur banquier de ne pas faire d'eux des interdits bancaires. Le regard qu'on jette aux chiens cruels de la fatalité au moment où ils vont mordre.

 - Mais je …

 - Ce monsieur a pris rendez-vous et il est pressé. Il a beaucoup de travail.

 Mammon avait dit ça sur le ton de celui qui explique une chose évidente.

 - Je ne passe pas avant elles.

 Le docteur se retourna comme un homme qu'on vient de trahir.

 - Occupez-vous d'elles en premier, moi j'ai besoin d'un café.

 - Merci monsieur, merci, souffla Carmen.

 Ivana lui prit la main et la serra fort.

 - Bien sûr, bien sûr, suivez-moi mesdames. Ruby, café pour monsieur Raum, ajouta-t-il d'un ton autoritaire à sa secrétaire.

 En se levant pour suivre sa mère et Mammon, Ivana fit un geste rapide pour rajuster son manteau de fourrure. Durant un instant, Elvis put voir un débardeur blanc tâché de sang au dessus des bandages rougis qui entouraient la poitrine de la jeune femme.

 Patientant la tête entre les mains, les jambes agitées de mouvements incontrôlables, et l'estomac vide irrité par le café, Elvis fixait le sol anthracite, plus sombre que les murs. Une tasse pleine vint se poser devant lui. Il n'y toucha pas.

 Carmen et sa fille finirent par descendre l'escalier quelques minutes plus tard. Ivana ne semblait plus souffrir. Son visage était devenu un masque sans émotions et ses épaules tombante lui donnaient l'air d'un zombie. Sa mère ne pouvait regarder autre chose que le visage de la jeune femme.

 Mammon les abreuvait d'un discours rassurant. Les symptômes étaient tout à fait courants et se devaient même d'arriver suite à ce genre d'intervention.

 - Mais sur internet, les gens disent que …

 - Oh, internet, internet, toujours internet, s'indigna Mammon. De nos jours, sous prétexte de posséder un clavier, tout le monde se pense médecin. Vôtre fille n'as plus mal non ?

 - Oui mais …

 - Pas de « mais ». Du repos, voilà ce qu'il lui faut. Si les douleurs persistent, passez moi un coup de fil et je renouvellerais l'ordonnance par e-mail. À nous, monsieur Raum !

 Le petit homme s'avança à la rencontre de son prochain patient. Lui serra la main. L'entraîna à sa suite vers le premier étage sans un regard pour Carmen, qui, en passant la porte, sembla sur le point de dire quelque chose. Elle se ravisa en secouant la tête et sortit à la suite de sa fille.

 - Direction le premier étage monsieur Raum, vous ne voulez pas aller au second, fit il en lui donnant un petit coup de coude. C'est la salle d'opération.

 Elvis n'avait pas la moindre idée de quoi répondre à une blague pareille. Le cabinet ne ressemblait en rien à celui de son médecin traitant. En fait il s'agissait plus d'un bureau de chef d'entreprise que d'un cabinet à proprement parler. Loin de la blancheur et de la simplicité pratique des cabinets ordinaires, celui-ci était richement décoré et rappelait au jeune homme le bureau de Ronnie. Mais il était trop fatigué pour y prêter attention. Il voulait que le rendez-vous se passe, rentrer chez lui et dormir.

 Mais Mammon semblait d'humeur à papoter.

 - Un café ? proposa -t-il.

 Sans attendre la réponse de son interlocuteur il en servit deux tasses et en posa une devant le jeune homme.

 - Ah, la la. Ne vous formalisez pas de ce que vous avez vu tout à l'heure monsieur Raum. Mademoiselle Mal … Mil … Enfin la jeune femme que vous avez vu plus tôt. Elle sort d'une opération de chirurgie esthétique. Augmentation mammaire, précisa-t-il d'un geste grossier. Enfin vous voyez ce que je veux dire.

 Il avait ajouté cette remarque en levant les yeux au ciel comme si il vendait ce service à contrecœur.

 - Enfin bon que voulez vous ? Certaines personnes ne comprennent pas qu'il faut rester au repos après une telle intervention. De nos jours les jeunes femmes ne pensent plus qu'à filer en boîte de nuit pour exhiber leur nouvelle poitrine à la vue de tous les jeunes hommes qui passent, et après elles viennent se plaindre. Ah, la la …

 Elvis essayait de se concentrer pour parler le plus sincèrement de ses symptômes au médecin. Il les listait dans sa tête, de façon incohérente.

Dis lui pour la forme, dis lui tout, le travail, stress et Charlie, Charlie fait dormir, le café et le sommeil qui ne vient pas sans le flou et Charlie … Impossible d'y mettre de l'ordre. Heureusement ou malheureusement, il n'eut pas à prononcer le moindre mot pour que Mammon embraie sur son cas.

 - J'ai eu l'occasion de parler de vos problèmes de sommeil au téléphone avec nôtre ami commun. Il m'as dit qu'il vous fallait quelque chose d'efficace, être vite remis sur pieds !

 Le médecin plongea sa main dans un des tiroirs de son bureau et en sortit un flacon en verre sans étiquette qui laissait voir des comprimés.

 - Ça, croyez moi, ça vas vous faire dormir, dit fièrement le docteur. Vous connaissez le Zopiclone ?

 - Non.

 - Et bien c'est quinze à vingt fois plus efficace, mais attention, pas de surdose. Ça s'apelle Morphéus, ce n'est même pas encore disponible en pharmacie, mais ça changera bientôt la vie des insomniaques, croyez moi !

 Le rendez-vous s'était passé comme dans un rêve. En quittant le cabinet, Elvis ne s'en souvenait déjà plus. C'était comme si il avait laissé une partie de son esprit derrière lui. Il ne se souvenait plus. Il s'en moquait. Une seule pensée lui laminait l'esprit.

Sommeil sommeil sommeil sommeil sommeil

 Il se dirigeait lentement vers sa voiture en se demandant ce qu'il avait pensé du comportement de Mammon. Il avait vaguement l'impression que le médecin s'était conduit comme si il voulait se délester de sa tâche le plus vite possible et puis … était-ce un médecin ou un chirurgien esthétique ? Il n'y comprenait plus rien.

 Willhemina ressentait toujours un certain malaise avant de verbaliser une voiture. L'habit qu'on lui avait donné plus tôt dans la semaine lui paraissait inconfortable. Après quatre jours de formation dans une salle avec d'autres apprentis verbalisateurs elle avait été envoyée sur le terrain avec pour instruction de verbaliser un maximum de contrevenants.

 La loi exigeait qu'on attende au moins cinq minutes avant de rédiger le procès verbal en cas de stationnement gênant ou d'absence de paiement près d'un parcmètre. Willhemina attendait rarement moins de dix minutes en se disant :

Ils ont dit au moins cinq minutes. Pas maximum cinq minutes. Alors dans l'idée je ne fais rien de mal.

 Pourquoi avait-elle une telle boule au ventre alors ? Elle avait toujours l'impression affreuse de tout faire de travers. Malgré tout, après une longue attente, elle se décida à scanner la plaque d'immatriculation de la luxueuse voiture hybride qui ne présentait aucun ticket de parcmètre sur son tableau de bord. Elle allait glisser le procès verbal sous l'un des essuie glaces quand une voix derrière elle la fit sursauter. Le papier lui échappa des mains.

 - Pardon, fit sèchement Elvis en déverrouillant la voiture.

 - Oh non, fit sincèrement la jeune femme en se retournant. Si j'avais su que vous arriviez j'aurais attendu plus longtemps.

 Elvis la regarda avec dédain. Il ne comprenais pas le sens des paroles de la contractuelle en face de lui.

Elle te colle un PV, mon pote, pensa-t-il.

 Elvis s'en moquait.

 - Combien ?

 - Euh … Pour stationnement impayé c'est …

 Elvis tira de son portefeuille quelques billets de cinquante Pesos qu'il jeta méchamment aux pieds de la jeune contractuelle. Celle-ci fut tellement déroutée qu'elle ne savait pas quoi dire.

 - Si ça ne suffit pas, allez vous faire foutre lui lança-t-il.

 Vu le nombre de billets sur le sol, cela suffisait largement à payer le prix d'une amende pour stationnement. Seulement, les contractuels de Port-Croix n'étaient pas autorisés à recevoir un paiement auprès d'un usager de la route. Surtout pas en liquide, ce qui pouvait passer pour de la corruption.

 - Non vous n'êtes pas censé … Il faut aller au …

 Mais la voiture d'Elvis s'éloignait déjà, laissant s'nvoler derrière elle la notification de contravention qui reposait jusqu'ici sur le capot.

 Willhemina ramassa les billets par-terre avec une moue de condamnée à mort. La boule dans son estomac se contractait de toutes ses forces. Une voix dans sa tête, autre que la sienne lui disait :

Tu vois, tu n'es qu'une bonne à rien.

 Plus moyen de retenir ses larmes. Elle les laissa couler.

 Elvis quand à lui roulait sans but dans le centre-ville. Il se disait qu'après tout, Mammon lui avait donné ce qu'il voulait. Ce médicament le …

Comment déjà ?

Enfin il n'avait pas eu à déblatérer sur ses sentiments. Pas eu à parler de ses inquiétudes. Il avait eu ce qu'il voulait : une solution, un traitement.

 Il conduisait machinalement. Son attention diffuse se concentrait parfois sur des points précis pendant quelques secondes. Mais c'était comme si elle se tendait dans un effort surhumain. Une ou deux secondes plus tard, elle se détendait. Recouvrait à nouveau tout et rien à la fois. Les souvenirs restants de ces brefs instants devenaient comme des fichiers que vôtre ordinateur ne peut pas lire. Ils étaient juste là et en même temps inaccessibles.

 Il passa devant une place où une femme en tailleur dansait dans des mouvements saccadés, incohérents. Elle tenait un attaché-case dans sa main gauche qui laissa échapper tout son contenu quand elle accéléra son rythme. Une foule de passants la filmaient avec leurs smartphone en riant. D'autres, affichant un air de mépris sur le visage, les filmaient à eux.

 La route était presque déserte. À cette heure-ci, tout le monde avait déjà commencé le travail et les enfants étaient à l'école.

Bientôt, Charlie aussi.

 Puis, s'éloignant du centre ville, le jeune homme s'engagea dans une rue étroite. Son attention englobait alors tout ce qui s'y trouvait.

 Deux chiens se battaient pour les restes d'une poubelle éventrée en poussant des grognements sauvages. Un homme hurlait par une fenêtre des mots incompréhensibles à sa femme trois étages plus bas tandis qu'elle ramassait ses affaires en pleurant. Un homme sous une capuche vendait des sachets de poudre à des clients perclus de tremblements sous la lumière rouge d'un néon marqué " HOTEL ".

 Elvis ne savait pas si il abandonnait réellement l'idée de rentrer chez -lui pour dormir ou si il ne l'avait tout simplement jamais eue. Il se gara sur une des places qui bordaient la chaussée et entra dans l'hôtel.

 L'accueil était sale, le papier peint jauni par les cigarettes que fumait continuellement le réceptionniste. C'était un homme émacié aux cheveux longs et gras. Plusieurs dents en fer et en or dans sa bouche aux contours mal rasés.

 - Il me faudrait une chambre s'il vous plaît.

 - C'est cinquante Pesos la nuit, dit l'homme de l'accueil.

 En temps normal, Elvis aurait refusé de payer une telle somme pour dormir dans un endroit à l'air aussi miteux, mais il avait tellement sommeil. Il posa un billet sur le comptoir.

 - Il vous faudra la compagnie ? Demanda le réceptionniste en empochant le billet, un air lubrique sur le visage.

 Le contenu bien fourni du portefeuille de son interlocuteur ne lui avait pas échappé et il aurait aimé en empocher une partie en envoyant une des prostituées qui travaillaient pour lui le gagner à sa place.

 - Non merci.

 - Ah oui, on a déjà tout ce qu'il faut à ce que je vois, fit il avec un clin d'œil.

 Elvis jetta un coup d' œil au flacon de pilules qu'il tenait dans la main droite.

 - Oui, exactement.

 Il se foutait au plus haut point que son interlocuteur le prenne pour un junkie. Il se vit remettre la clé de la chambre numéro 2, située au premier étage.

 Le lit n'inspirait pas confiance. On aurait dit que les draps n'avaient pas été changées après le passage du précédent locataire ; que les couvertures avaient juste été remises en place à la hâte. Une bière vide était posée sur la table de chevet. Les murs étaient verdis par la moisissure due à l'humidité. Mais dans son état, Elvis était insensible à ce genre de détails. Tout ce qui comptait c'était dormir et retrouver sa famille.

 Il prit un des comprimés et fuma une cigarette allongé sur le matelas. Une fois finie, il attendit le sommeil, se demandant si ce docteur n'était pas un charlatan. Un peu comme ces marchands itinérants qui écumaient les villages avec leurs roulottes et vendaient leur pisse en flacon aux malades. De tout temps, une foule de personne prétendait avoir un remède miracle qui …

 Il ne comprit pas tout de suite où il se trouvait. Mais en voyant les grands pins noirs et fins qui s'élevaient du sol autour de lui comme des épines sur le dos d'un hérisson, il se souvint.

 Il s'agissait des arbres caractéristiques des bois du pervent, près de la ville de Providence.

 Son père l'y avait emmené pour chasser aux alentour de son douzième anniversaire. Le but de l'action était ouvertement de " lui faire lâcher un peu son satané clavier et respirer de l'air frais ". Sans réellement comprendre la portée de son acte, il avait à un moment ressentit un besoin profond de solitude.

 C'était au terme d'une discussion avec Charles sur sa mère. Cela le poussait souvent à trouver une cachette dans la vieille maison de maître où ils vivaient et dont il avait fini à terme par percer tous les secrets. Cette fois son père avait eu un mal fou à le retrouver, terrifié à l'idée de l'avoir perdu pour de bon.

 - Que faisait-il ici ? Il parvenait même à entendre la voix de Charles qui l'appelait au loin.

 Une main exactement comme dans son souvenir se posa sur son épaule. Comme dans son souvenir, il entendit la voix de son père :

 - Ah, Elvis …

 Mais la voix avait quelque chose de différent. C'était comme si une menace transparaissait depuis l'intérieur des mots.

 Les nerfs de son ventre se mirent à s'agiter en tous sens. Sa mâchoire se contractait.

 - Je serais toujours là pour te retrouver.

 En se retournant, il fit face à une personne habillée comme son père lorsqu'il partait à la chasse, mais au visage entièrement flou. Elvis avait peur et souhaitait de toutes ses forces que cette peur le réveille. Mais contrairement aux autres fois, l'éveil n'arrivait pas et le visage indistinct se rapprochait de lui.

 Elvis était prisonnier dans son cauchemar.

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