Chapitre 4

9 minutes de lecture

 Quelque chose en Elvis, alors qu'il était confronté à un problème, semblait aller mieux. Parfois, lorsqu'on se sent mal, on accueille comme des bénédictions les épreuves de taille. Celles qui nous forcent à tout donner car elles nous font oublier ce qu'il y a de pire avec les douleurs intérieures : la monotonie. Quand la souffrance devient une mécanique bête et froide qui s'acharne à nous torturer comme une horloge à donner l'heure.

 Lancé dans sa voiture à toute vitesse vers la voie rapide, avec les lumières de l'éclairage public qui se déplaçaient comme des étoiles filantes à la périphérie de son champ de vision, Elvis avait l'esprit vide de toute autre chose que son but actuel : Arriver le plus vite possible au Local.

 Il baissa une seconde les yeux vers le siège passager où il avait jeté son paquet de cigarettes en montant dans la voiture. Quelque chose dans l'excitation lui donnait envie de fumer, mais bien mal lui en prit.

 Des lumières bleues et blanches se mirent à clignoter derrière lui. Le jeune homme fut surpris de les voir. Pourtant, il ne s'arrêta pas tout de suite de rouler. C'était des gyrophares, il en était conscient, mais ils lui paraissaient lointains et irréels.

 Le son en montagne russe qui caractérise les sirènes de police lui fit prendre conscience de ce qu'il était en train de faire. Il sortit de la voie rapide et se gara à une station service.

 Il alluma sa cigarette en regardant un flic d'au moins un mètre quatre vingt dix quitter la place du mort et avancer vers lui avec une démarche de western, les mains sur son ceinturon.

 Un autre officier maigrichon et une policière coiffée d'une queue de cheval impeccable descendirent de l'arrière de la voiture de fonction et lui emboîtèrent le pas. Le conducteur de la voiture se plaça de façon à ce que le jeune homme ne puisse pas faire demi-tour et se mit à observer la scène en fronçant les sourcils. Une main sur le talkie-walkie qui pendouillait du ciel de toit.

 Le grand balèze lui fit un signe de la main en forme de moulinet pour lui signifier de baisser sa vitre.

 Quand Elvis eut obtempéré il commença :

 - Bonsoir, ou bonjour à cette heure ci on sait pas trop.

 Une lassitude exagérée transpirait de sa voix.

 - Alors avec tout l'argent dépensé par le gouvernement dans la prévention routière, on a toujours pas compris que c'est interdit de téléphoner au volant hein ? Continua-t-il.

 - Euh … Non … Je …

 - Regardais mon téléphone tout en conduisant alors que …

 - Je prenais juste une cigarette dans le paquet qui était sur le siège passager.

 Le grand flic leva bien haut ses sourcils sur son front; ouvrant la bouche dans un air de surprise entre ses joues ronde. À voir ses petits yeux clairs sous sa coupe de cheveux militaires, il rappelait à Elvis une brute qui ne le lâchait jamais au lycée où son père avait décider de l'envoyer pour lui faire rencontrer du monde.

Tu verras ça te feras du bien.

 - Vous me coupez la parole ? Un temps. Vous savez monsieur si vous voulez que ça se passe mal, ça peut mal se passer ! Descendez de la voiture.

 - Elvis obtempéra avant de brusquement lever les mains en l'air devant lui. Il avait agi avec empressement et le mastodonte avait sursauté en reculant d'un pas et porté sa main à son holster.

 Les deux policiers derrière lui levèrent aussi les mains par réflexe.

 - Wow ! Wow !

 - Mettez les mains sur le capot ! Hurla le colosse. Et vite. Loretta, fouilles-le pendant que je m'occupe de la voiture !

 - Je peux pas le fouiller, dit la jeune femme en s'approchant, il faut que ce soit quelqu'un du même sexe qui fasse la palpation.

 - Oh ! Mais, traînez pas putain !

 - L'homme reprit sa fouille de la voiture. Elvis, penché sur son capot se trouvait à des milliers de kilomètres à l'intérieur de lui. Il ne sentait même pas les mains du policier qui lui tâtaient les jambes.

 - Rien sur lui, chef.

 - Ah ! Ah ! Fit le colosse en sortant de la voiture.

 - Il tenait un paquet de cigarette entamé dans sa grosse main. Un air fier sur le visage, il secouait ledit paquet au dessus de sa tête.

 - Et ça ? C'était pas sensé se trouver sur le siège passager ? Jubila-t-il en toisant Elvis.

 - Si, répondit le jeune homme avec le calme que force l'épuisement. Je l'ai fait tomber entre mes jambes quand j'ai entendu le bruit de la sirène.

 Il se rappelait de toutes les fois où il avait rit avec Ronnie. " Moi si j'étais flic je serais le pire des ripoux ". Ce n'était plus si drôle maintenant.

 - Oui, oui, allez. Le téléphone ?

 Les yeux clairs du géant jetèrent un regard entendu à son collègue qui fouillait le jeune homme.

 - Pas de téléphone ici, chef.

 La policière s'avança vers son supérieur avec un air gêné. Elle lui chuchota quelque chose à l'oreille. Elvis ne pouvait en entendre que des bribes. " Fouille illégale ". " Sans doute fortuné ". " Tous besoin de repos ".

 Une main vint doucement se placer sur le dos d'Elvis quand l'agent qui s'occupait de lui lui soufflat :

 - Allez relevez vous, ça devrait être bon pour cette fois.

 - Bon ? BON ?

 Le colosse était hors de lui.

 Depuis la voiture, leur collègue appela les autres par talkie-walkie.

 - On a un homicide involontaire Cours Vermillon qui risque de dégénérer en émeute. Les collègues demandent du renfort en urgence.

 - Ah, putain ! Putain !

 Toute l'équipe fut partie sans même un au revoir et la voiture fila, toute lumières et son vers le noir de la nuit qui s'achevait.

 Elvis ne comprenait pas vraiment ce qui venait de se passer. Sachant juste qu'il était plus en retard que lorsqu'il était parti.

 Il finit néanmoins par arriver dans la vieille ville Port-Croisiène. C'était alors un quartier étonnant. Les bâtiments flambants neufs en côtoyaient des anciens, rénovés ou en attente de l'être. La gentrification avait eu raison de presque tous les pauvres du coin qui avaient plié bagages vers la périphérie de la ville ou d'autres lieux inconnus plus accessibles.

 C'était là que son père avait grandi alors que ses propres parents ne pouvaient pas s'offrir mieux. Maintenant, ce quartier historique était devenu la coqueluche des Start-up qui avaient généré assez d'argent pour s'acheter de vastes locaux, mais pas dans les quartiers prisés des entreprises mieux installées. De toute façon, à quoi bon s'installer dans un quartier pleins de requins qui ne rêvent que de voir couler vôtre radeau ?

Bientôt, ce sera nous les requins, se disait souvent Elvis à cette pensée.

 Aucune des voitures de ses collègues ne se tenait devant le bâtiment. C'était un immeuble de quatre étages en brique rouge. Une vague lumière provenait du troisième étage, le secteur juridique où Cassiopée gérait son équipe.

 Il avait passé le trajet à penser à son téléphone, qu'il avait oublié. À tous les messages qu'il avait pu manquer durant son altercation avec la police mais aussi pendant le reste du trajet.

 Il déverrouilla la porte d'entrée avec son badge et se précipita dans les escaliers, préférant la course au supplice d'attendre l'ascenseur.

 - Ronnie ? Ronnie ? Qu'est-ce qui se passe mec ? Haleta-t-il en pénétrant dans le bureau de Cassiopée d'où provenait la lumière.

 Sitôt entré, sitôt sorti.

 - Oh, merde, pardon je …

 Il se cachait encore les yeux en faisant demi-tour vers une grande salle où se trouvaient les bureaux qu'occupaient les assistants de Cassiopée.

 Son père lui avait toujours dit de frapper même dans l'urgence. À l'intérieur, où il avait trouvé son meilleur ami et sa femme en train de se rhabiller en toute hâte, une voix de femme se justifiait d'un : " Ce n'est pas du tout, mais alors pas du tout ce que tu crois " entrecoupé de rires nerveux tandis que celle de Ronnie s'étirait en un long " meeeeeeeeeeeerde " d'une grande honnêteté.

 Elvis, décidément, ne comprenais plus rien à rien. Il décida qu'il avait besoin d'un café et d'une cigarette qu'il irait prendre au rez de chaussée, dans les parties communes de l'entreprise où se trouvait une cuisine.

Est-ce qu'une cafetière peut louper un café sans l'intervention de l'humain qui la fait fonctionner ?

  Elvis se posait la question depuis que la machine à café du Local semblait délirer plein tube et ne laissait couler autre chose qu'un jus marron translucide que selon son bon vouloir.

La nouvelle devrait être arrivée, pourtant.

 Elvis pouvait effectivement l'apercevoir du coin de l' œil dans son carton.

 - Ronnie entra dans la cuisine à la fois mû et gêné par l'anxiété. Cela lui donnait une posture qui ne lui était pas familière.

 - Écoutes Elvis, je sais pas ce que tu fais là mais ce que tu as vu ne se reproduira plus jamais. Je vais tout avouer à Laura très bientôt et …

 - Cette histoire c'est ton problème, tu te débrouilles avec. Que ça arrive pendant qu'il y a urgence, c'est déjà différent, le ton était sec, glacial. Alors arrête de perdre du temps, c'est quoi l'urgence ?

 Elvis affichait une expression que Ronnie n'avait jamais vue sur lui. Elle donnait à ses traits anguleux des allures de bête prête à mordre.

 - Mais, de quoi tu me parles mon pote ?

 Elvis soupira sa colère.

 - Je te parles du message que tu m'as envoyé il y as pas une heure. « URGENCE, ramènes toi vite au Local » ou je sais plus quoi !

Ronnie prit un air grave et sortit son téléphone de sa poche. Il le déverrouilla et le donna à son ami.

Je t'ai envoyé aucun message, mon pote.

Il avait l'air attristé et inquiet.

Elvis regarda dans le fil de sms qu'il entretenait avec Ronnie sans trouver les messages qu'il était pourtant sûr d'avoir reçu.

On a qu'à regarder directement sur ton téléphone, comme ça on y verras plus clair.

Elvis fouilla ses poches avant de se souvenir. Il poussa un long soupir en se prenant le visage dans les mains.

 Ils commencèrent par parler de la relation maintenant en péril entre Ronnie et Laura.

 - Je sais même pas pourquoi j'ai été infidèle, lui dit-il. Laura est une femme magnifique non ? Alors pourquoi ce besoin d'aller voir ailleurs ?

 - Il y as peut-être un problème ailleurs que dans le physique ?

 - Sans doute. Étonnant que je ne m'en soit pas rendu compte. Pour finir avec Cassiopée dans son bureau, tu t'imagines la névrose ?

 Les deux jeunes hommes rirent sans se douter que Cassiopée avait entendu depuis une fenêtre ouverte du troisième étage. Le calme de la rue avait fait monter le son de leurs voix jusqu'à la jeune femme qui s'appuya contre un bureau vide. Elle mordait l'intérieur de ses joues et se triturait les mains pour essayer de ne pas pleurer.

 Elle savait bien. Les laids savent tous. Elle savait qu'elle n'aurait jamais de Laura rien de ce qui faisait son charme aux yeux des hommes. Elle n'avait que sa peau où se sentir mal et s'en contenter. Plusieurs scènes similaires de son passé repassèrent en boucle sans qu'elle n'y pense vraiment. Elle avait l'impression de ne penser à rien, n'entendait même plus la conversation plus bas. Elle se rejouait toujours le même film quand elle allait mal et il venait de gagner une nouvelle scène.

 - … et ça m'as fait du bien de te parler, alors à ton tour maintenant, dit Ronnie.

 - Comment ça à mon tour ?

 - Allez, Cassiopée m'a parlé de tes problèmes de sommeil.

 Après un petit moment de silence, il lui fit les mêmes révélations qu'il avait faites à son épouse l'après-midi précédente.

 - Elle a raison tu sais, dit Ronnie. Il faut vraiment que tu ailles chez le docteur. Ne serait-ce que pour l'entreprise.

 - Je sais, souffla Elvis.

 - T'as de la chance j'en connais un super. Pas de blabla avec lui c'est problème->solution. Et crois moi, tu n'entendras pas parler de ces saloperies d'homéopathie ou autre. Je vais prendre rendez-vous avec lui pour toi. Alors bois un café et vas y directement. C'est à l'angle de l'avenue du Derviche et du chemin St Honoré. Tu verras, tu me remercieras !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire ChatNoir . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0