V - Viridis et Talius - Partie 2

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Une demoiselle demeurait à l'accueil et leva les yeux du dossier qu'elle étudiait, lorsqu'ils arrivèrent à sa hauteur.

— Votre Majesté, que puis-je pour vous ?

— Bonjour, appelez-moi la guérisseuse-en-chef du sixième étage, je vous prie, et dites-lui de me rejoindre dans mon bureau.

Elle hocha la tête, et se leva, tandis que Talius pria ses invités de le suivre.

— Vous irez au sixième avec Tifaina. Elle s'occupera de vous avec son équipe. Elle a été ma stagiaire pendant plus de huit ans, ses compétences ne sont plus à prouver, assura-t-il. J'irai avec Saphir au septième étage. Il s'agit là de mon domaine, là où je soigne les patients que je prends en charge.

Très vite, la dénommée Tifaina arriva à eux. Son air jovial contrastait avec l'air renfrogné de Talius

— Tifaina, s'il vous plaît, soignez ces gens-là, dit Talius sans préambule. Traitez efficacement les brûlures avec des compresses imbibées de larmes de Dragon Abyssal, d'accord ? demanda le roi en haussant un sourcil. La dernière fois, votre stagiaire a utilisé la salive de Serpent de Lave, et la brûlure est passé du second au troisième degré. Je n'aurai jamais pensé que vous puissiez manquer autant d'attention, Tifaina... Franchement !

— Euh... Ne vous inquiétez pas, cette erreur ne se reproduira plus ! sourit honteusement la guérisseuse. Venez avec moi, s'il vous plaît... Hum, vu vos blessures, vous allez avoir du mal à marcher... Voyons, Votre Majesté, vous auriez au moins pu lancer un Sortilège de Lévitation, le réprimanda Tifaina en agitant un doigt réprobateur. Attendez... Oh ! Ne seriez-vous pas Sire Assad ?

C'était certainement la seule personne au monde capable de lui parler sur ce ton, sans subir une répartie glaciale. Il haussa un sourcil inquisiteur, mais Tifaina était déjà passée à autre chose. Elle se tourna vers la femme qui s'agrippait à son bras, et elle s'exclama à nouveau, surprise.

— Dame Zahya ?

Lassé de ces pertes de temps, Talius lui révéla l'identité de ses patients, en espérant qu'elle se hâterait de les emmener loin de lui. Une fois la stupéfaction passé, Tifaina fit léviter Amérius et ils s'en allèrent, laissant Saphir à la main experte de Talius.

☾☾☾

— Notre patiente a inhalé de la Poudre de Sommeil Instantanée, fusionnée avec des écailles de Blambourinos. C'est la première fois que je suis confronté à une telle situation.

Les trois guérisseurs qui épaulaient Talius étaient assis et l'écoutaient avec attention.

— Quoi ? demanda un de ses collègues, guérisseur de renom, ébahi. Comment ça se fait ?

Il ne voulait pas tout expliquer. Libre à eux si Assad et sa clique de dégénérés voulaient instaurer un climat de peur dans leurs royaumes. Lui, ne voulait pas susciter la crainte chez son peuple. Il convenait donc d'éluder la question. Talius était très fort à ce jeu.

— En attendant, ignora Talius, feignant de ne pas avoir écouté, vous allez me ramener le nécessaire à potions pour traiter les troubles du sommeil, ainsi que la dernière ébauche du contrepoison au venin de Blambourinos. Il faudra aussi une bulle de stérilité, et préparer la perfusion.

Dans sa tête, le but était simple : épurer les organes et le sang de Saphir.

— Voici l'hypothèse que nous considérerons. La substance par laquelle notre patiente a été empoisonnée est un mélange comprenant du venin de Blambourinos, et plus précisément de la poudre d'écailles du dos, dont les propriétés paralysantes n'ont plus de secret pour nous. À mon avis, toute cette substance s'est diffusée de manière uniforme dans le corps. Le venin de Blambourinos est insoluble avec n'importe quel liquide biologique. La poudre étant donc physique, c'est-à-dire véritablement matérielle, nous pourrons l'extraire. C'est audacieux bien sûr, mais je suis certain que ça marchera. Allez-y maintenant, faites-donc ce que je vous ai demandé. Quant à moi, je vais concocter une potion, j'ai quelques idées en tête.

Les guérisseurs acquiescèrent, et se mirent au travail.

☾☾☾

Après six heures de soins intensifs, Talius et ses hommes attendirent, en retenant leurs souffles. Ils avaient soigné les brûlures, les plaies, et avait mis en place le plan de Talius. Grâce à un de ses inhibiteurs du système immunitaire de sa propre conception, le roi avait sensiblement affecté les défenses de la Princesse, afin que son corps ne puisse réagir contre la potion qu'il lui avait administré. La bulle de stérilité était là pour éviter que Saphir n'attrape une quelconque infection. Avec quelques sortilèges de détection, Talius avait mis en évidence la présence de la poudre, logée principalement au niveau du foie, des reins et des yeux de la jeune fille.

Une fois le breuvage prêt — Talius l'avait réalisé en un temps record — il lui en administra quelques doses. Cette décoction avait pour but d'épurer ses organes et son sang. Les autres guérisseurs à ses côtés surveillaient si des résidus persistaient.

C'était donc après de longues heures laborieuses, que l'équipe de Talius attendait un quelconque signe de réveil chez la princesse. Ils avaient tout donné. Ce dernier, essoufflé par tant d'efforts, épongeait son front avec un mouchoir, l'air anxieux.

Enfin, après une attente qui parut interminable, la princesse remua son bras légèrement, et Talius sursauta.

Dieu soit loué !

Quelques minutes plus tard, le visage de Saphir se tordit en une grimace de douleur. Elle cligna une fois, puis une seconde fois, avant d'ouvrir totalement ses yeux.

Où... où suis-je ?

Tout de suite, elle paniqua.

— Je... Où suis-je ?! demanda-t-elle, effrayée. Mère ?

— Vous êtes en sécurité, dit Talius en prenant son pouls.

La princesse darda son regard vers Talius. Puis, elle reposa sa tête sur l'oreiller, et sa respiration devint lente et régulière. Saphir s'était endormie.

— Sire Talius... chuchota un guérisseur qui lui prenait la température. Elle s'endort...

— Ce n'est pas grave. Le venin de Blambourinos affaiblit... Son corps n'a cessé de lutter. Il faut bien qu'elle se repose un peu. Son précédent sommeil était tout, sauf reposant. Rappelez-vous que le poison de Nocterus a des propriétés anxiogènes et hallucinogènes. Doublé de la Poudre de Sommeil, on entre dans une terrible boucle cauchemardesque.

Il marqua une pause.

— Faites un bilan biochimique général, et vérifiez qu'aucune séquelle ne demeure, surtout au niveau neurologique. Je reviens.

Il sortit alors, dans un grand claquement de capes.

☾☾☾

Le groupe s'était bien remis de ses blessures. La guérisseuse-en-chef du sixième étage avait fait sans conteste un excellent travail. Ils étaient assis dans un petit salon, lorsque le maître des lieux les rejoignit. La nuit s'était déjà installée. Assad et Zahya furent les plus rapides. Ils se retrouvèrent nez-à-nez avec le roi. Pris de court, Talius ne dit rien, ce qui eut le don d'affoler le couple royal de Sultakara. Il reprit contenance, et son visage se fendit en un sourire aimable devant ces pauvres petites choses.

— Saphir vient de se réveiller, annonça-t-il. Elle est vivante.

Zahya se mit à pleurer à chaudes larmes, et étreignit Assad, tandis qu'il remerciait chaleureusement Talius. La tension s'était abaissée d'un cran, tant ils étaient soulagés à l'annonce cette nouvelle. Assad s'apprêta à prendre la parole, mais Talius le vit venir, et l'interrompit.

— Demain ! Saphir est extrêmement faible, elle a besoin de se reposer.

Assad acquiesça, puis Talius les emmena dîner. Il ne les appréciait pas vraiment, mais la bienséance impliquait de prendre soin de ses invités, même s'ils étaient venus sans invitation. Il ne voulait pas passer pour un rustre. Ils mangèrent donc ensemble, dans une ambiance quelque peu allègre.

☾☾☾

— Alors, vous allez bien ? demanda Saphir à ses compagnons, venus lui rendre visite le lendemain.

— Et toi, comment te sens-tu ?

La jeune fille sourit. Elle avait cessé de compter combien de fois on lui avait posé la question. Oui, elle allait mieux. Les soins de Talius étaient d'une redoutable efficacité.

— Je suis guérie, et je me sens parfaitement bien. Si ça n'en tenait qu'à moi, je serais déjà partie ! Mais Sire Talius insiste pour que je reste encore en observation.

— Il le faut, ma chérie... dit distraitement Zahya en caressant sa chevelure.

Assad, à leurs côtés, retapait les oreillers de Saphir. Le couple royal était très soucieux vis-à-vis de leur fille. Shems montait la garde près de la porte, et Fenrir était affalé sur un divan, près d'Aswad et d'Amérius. D'ailleurs, ce dernier se leva et s'approcha de la jeune fille alitée, qu'il observa d'un oeil sévère.

— Je lis un profond désarroi dans ton regard, Saphir. Il est clair que tu vas mal. Très mal.

— Pardon ? demanda Saphir, interdite.

L'atmosphère, tout à l'heure, si joyeuse, vira au quart de tour. La voix d'outre-tombe d'Amérius en inquiéta plus d'un. Assad, mécontent que son confrère d'Éterneige vienne importuner son enfant, se leva à son tour. Ses yeux lançaient des éclairs. La tension était palpable. Tous retenaient leur souffle, et observaient les deux rois. Sa respiration se fit saccadée, comme s'il était en proie à une fureur intense.

— La vérité ! La vérité sur Darkodem et cette Lunera te permettront de comprendre. Ainsi, tu pourras retenir retrouver un équilibre mental. Une jeune fille de dix-sept ans, qui a failli être assassiné, mérite pleinement d'être au courant de ce qui se passe.

— Ça suffit ! vociféra Assad. Comment oses-tu ?

La mention de Darkodem suffit à le faire entrer dans une grosse et terrible colère. Amérius darda son regard vers Assad.

— Demandons-lui ! Saphir ! apostropha Amérius. Veux-tu savoir qui est réellement Darkodem et ce qui est advenu de lui ?

Prise au dépourvu, elle sursauta, mais ne répondit rien. Évidemment qu'elle le voulait !

— Saphir n'aspire qu'à une chose, c'est que tu cesses de l'embêter !

— Enfin Assad, es-tu stupide ou fais-tu semblant ? cria Amérius, le visage aussi flamboyant que sa chevelure auburn, irrité de cet entêtement.

— Je ne goûte guère ton ton, Amérius, surveille ton langage !

La voix d'Assad s'était faite menaçante, dans une tentative d'intimidation qui échoua. Non pas parce qu'il n'était pas intimidant, au contraire ! Amérius était peu impressionnable et n'avait pas froid aux yeux. Il venait d'Éterneige après tout.

— Goûte à ce que tu veux, peu m'importe. Je vais lui en parler moi-même ! Lunera la hait, elle est plus concernée par l'affaire que...

— Tais-toi ! Tais-toi avant que je ne t'oblige à te taire ! Mêle-toi de tes affaires ! Je ne t'ai rien demandé, et je ne demanderais jamais rien à un petit individu aussi lamentable que toi. Misérable fouineur, tu n'es là que pour nous pourrir la vie ! Je me demande comment ton peuple fait pour te supporter.

Les propos d'Assad en laissèrent muet plus d'un. À peine eut-il lâché cette furieuse diatribe, qu'il regretta ses mots. Cependant, la mention de Darkodem suffisait à le faire sortir de ses gonds.

— Alors là, non ! hurla Amérius, livide.

Il s'approcha d'Assad, près à lui asséner un coup de poing. Celui-ci ne se déroba pas du tout, bien au contraire, il sauta sur lui prêt à dérouiller ses jointures. Zahya et Aswad essayèrent de retenir Assad, qui était devenu une véritable furie. Fenrir tenait difficilement Amérius, tout aussi déchainé. Shems lui vint rapidement en aide.

— Amérius, stop ! s'écria Fenrir, en lui tirant le bras avec force.

— Père, je t'en supplie ! implora Saphir, depuis son lit, mais personne ne la calculait.

— Assad, calme-toi ! dit Zahya au bord des larmes.

Une cacophonie insupportable emplissait la petite chambre, et très certainement le reste de l'étage. Jusqu'à ce que...

— CESSEZ IMMÉDIATEMENT ! tonna une puissante voix.

Aussi efficace qu'une rouée de coups, ces deux mots arrêtèrent Amérius et Assad. Leur colère même s'estompa. Assad et ses compagnons se retournèrent et virent Talius. Des plaques rouges marquaient son visage et ses traits gracieux étaient déformés, traduisant là un courroux incroyable.

— J'éviterais de mentionner mes opinions personnels concernant l'ingérence de l'Adrastée, persifla-t-il, la voix dangereuse. Vous êtes, ici, dans un hôpital, avant d'être dans mon domaine. Je ne tolère en aucun cas que l'on dérange mes patients avec de telles effusions. Je vous suggère de régler vos différents chez vous. Franchement, où vous croyez-vous ? Des personnes de votre rang ne devraient pas se comporter comme des animaux !

La remontrance était diablement sévère. Assad et Amérius se savaient en faute, mais malgré tout, de mauvaise grâce, ils demandèrent de sincères excuses. Talius avait ravagé leur honneur avec ces quelques mots, et ce, devant témoin. Non sans un regard noir, Talius balaya leurs excuses. Il n'en avait que faire.

— Je vous ai préparé un petit salon, reprit-il en s'efforçant de modérer l'ardeur de sa voix, afin que vous puissiez vous reposer, en attendant que je termine mon travail. Ces personnes, ajouta-t-il en montrant deux hommes au service de Talius, vous indiqueront le chemin. Je ne tarderai pas.

En faisant claquer à nouveau ses capes, il se retourna et sortit. Il espérait qu'ils déguerpiraient vite de Viridis.

☾☾☾

— Nous t'écoutons, cher Assad, déclara Amérius après s'être assis dans un fauteuil de velours vert.

Assad lui lança un regard noir.

Et voilà, il recommence...

Le roi de Sultakara préféra garder le silence, les réflexions de Talius tournant en boucle dans sa tête. Quelle humiliation, quelle honte... Que lui avait-il pris de s'emporter ainsi ?

— Assad... l'appela Zahya.

Assad se leva et alla vers la fenêtre. Il ne répondit pas, et se contenta de laisser divaguer son regard vers le vaste paysage qui s'offrait à lui. La vue était merveilleuse, mais ne parvenait pas à combler l'immense tristesse dans son coeur.

— Assad, tu ne peux lui cacher la vérité... ! reprit Zahya.

— Les circonstances ont changé, renchérit Aswad.

Là encore, le roi ne répondit rien. Dépité, Amérius abandonna la partie. Il ne pouvait plus rien faire.

— Ce n'est pas une vérité à proprement parler, mais plutôt une histoire... Pas très agréable d'ailleurs.

Ils sursautèrent tous, ne s'attardant pas à ce qu'Assad cède finalement. Ça fait plus de trois mois qu'ils tentaient tous de le convaincre. Saphir et Fenrir se concentrèrent, prêts à assimiler un très long récit. Amérius, quant à lui, sourit de toutes ses dents.

Gagné !

— Darkodem n'a jamais été étranger à Sultakara, bien au contraire. Darkodem était même l'héritier légitime du trône de Sultakara. Mon frère, c'est-à-dire. Mon grand frère.


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