VI - Hérésie Princière - Partie 1

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Si Assad l'avait souffletée devant toute l'assemblée, l'expression de Saphir n'aurait pas bougé d'un iota, tant elle était stupéfaite. Darkodem, son oncle ? Lunera, sa cousine ! Elle ouvrit sa bouche, mais la referma rapidement, ne trouvant quoi dire, confuse par cette révélation des plus inattendues.

— Il y a... Hum... quarante-trois ans, Darkodem est né à Sultakara... Le 18 mars 1832 précisément. Je suis né quatre ans plus tard. Dans mes souvenirs, et d'après les récits de mes parents, Darkodem n'a jamais été normal. Aucune lumière ne se dégage de lui. Il respire la mort, la haine et la colère. Son être tout entier irradie d'une myriade de sentiments négatifs, et sa présence seule suffisait à faire pleurer un enfant.

« Depuis toujours, son regard était dur, et brûlait d'une rage féroce et meurtrière. Ses yeux ne dévisagent pas, mais toisent, avec un mépris palpable. Malgré cette âpreté, impossible de ne pas remarquer la lueur de folie dans ses prunelles détraquées, faisant frémir votre âme d'effroi. Sa voix était froide, presque désintéressée, s'enflammant d'une passion cupide seulement lorsqu'il réduisait à néant son entourage par des propos crus et blessants, tant il s'en délectait. Il était si odieux dans ses paroles ! Sans vulgarités, ou autres outrages du même genre, il parvenait, grâce à son verbe acéré et à sa remarquable rhétorique, à détruire son interlocuteur. Ma mère fondait en larmes chaque fois qu'il s'acharnait sur elle, et mon père rougissait de honte quand son tour arrivait. L'humiliation était toujours cuisante.

Il se tut, tourmenté par de vieilles images revenues le hanter. Visions qu'il s'était efforcé d'oublier.

— Darkodem a toujours été solitaire, ne désirant ni servants, ni majordomes, ni aides, ni aucune présence humaine à ses côtés. Le petit garçon qu'il était, avait de prodigieux dons, et il passait ses journées à étudier la magie sous tous ses angles. Inutile de dire que mes parents n'avaient absolument aucune autorité sur lui. Il n'en faisait qu'à sa tête, et était impossible à canaliser. Adolescent, il devint encore plus incontrôlable et insolent que jamais. Des rumeurs effarantes fusaient. Possédé par le diable, habité par une conscience magique malfaisante, frappé par une terrible malédiction, hybride bâtard, enfant des ténèbres... Tout y passait.

« Il fuguait, parfois. Des jours et des jours, mon père et d'autres hommes de confiance allaient à sa recherche dans le plus grand des secrets, pendant que ma mère, inquiète, faisait de son mieux pour camoufler l'absence du roi et du prince héritier. Imaginez un peu le scandale que ça aurait pu faire à l'époque ! Les liens que Sultakara entretenait avec l'Adrastée n'étaient pas aussi amicaux comme ceux d'aujourd'hui. D'un autre côté, Arkhess était encore une grande puissance, et demeurait notre plus grand ennemi. La situation était épineuse.

« Il n'a jamais laissé passer une seule occasion pour insulter mon père, même en public. Rapidement, je fus maintes fois convié à sa place dans les rencontres officielles, pour éviter d'attirer encore plus l'opprobre sur notre pays. On taisait toujours la présence de Darkodem. Malade, souffrant, d'une extrême faiblesse... mon père ne tarissait pas en excuses pour expliquer son absence, si bien que rapidement, Darkodem fut oublié. Son ombre seule continuait à planer comme une menace sur les gens du château, d'où il ne sortait jamais, si ce n'était pour ses habituelles fugues. »

« Un jour, alors que Darkodem s'apprêtait à fuguer encore, mon père l'a surpris et a essayé de l'arrêter. Ça a vite dégénéré en une énorme dispute. Perdant complètement la tête, Darkodem a usé de sa magie, et l'a torturé avec des dagues. Il y avait tellement de sang... Rien qu'en y repensant, j'en ai des sueurs froides. Il a fallu huit chevaliers, et le ministre du royaume pour maîtriser Darkodem, tant il était déchaîné, comme un démon. Depuis ce jour-là, mon père ne lui a plus jamais adressé la parole. Seules les mauvaises langues et le regard des autres empêchèrent mon père de le bannir et de le déshériter.

« Les hautes sphères de Sultakara prévoyait l'assassinat de Darkodem, avec l'aval de mon père. Étant un danger, il convenait de l'éliminer. Les anciennes lois sont formelles. Tant que Darkodem est en vie, étant le premier héritier légitime, il peut accéder au trône si mon père venait à disparaître. Il ne pouvait s'y résoudre. Ma chère mère, elle, n'était que la spectatrice de cette funeste tragédie, mais ne pouvait accepter que l'on tue son premier fils. L'amour d'une mère est éternel après tout. Elle parvint à convaincre à maintes reprises de repousser le crime, et qu'elle arriverait à raisonner son enfant. Mon père ne cédait à ses suppliques que par amour, mais je pense que lui aussi, au fond, rechignait à verser le sang de sa propre progéniture.

Le coeur douloureux à l'idée de la souffrance qu'ait pu ressentir ces défunts grands-parents, Saphir en avait les larmes aux yeux. Elle regardait son père avec une grande peine. Celui-ci s'était tu, perdu dans ses pensées. Ressasser le passé ne réussissait pas à Assad. Saphir le regardait, attendant qu'il reprenne la parole. Les autres étaient un peu mal à l'aise.

— Vers... vingt ans, il me semble, Darkodem a commencé à être passionné par notre ancêtre, fondateur de Sultakara, et par Arkhess.

— Sire Sultakar ? Comment le saviez-vous ? demanda Fenrir.

— Oui, Sultakar. Le roi, mon père, a demandé aux bibliothécaires de relever toutes les lectures de Darkodem. Très vite, on s'en est aperçu. Il passait ses journées enfermé dans ses appartements, et ne sortait qu'au crépuscule pour admirer le soleil couchant pendant quelques minutes. Personne n'osait, ni ne voulait lui parler. En... en secret, je l'observais souvent dans ces moments. Aussi ténébreux soit-il, Darkodem restait mon frère, et j'avais beaucoup de pitié pour lui. Malgré l'animosité que j'ai pu avoir à son égard, ses yeux témoignaient dans ces quelques instants, d'une douleur sans précédent. Les prunelles de Darkodem semblaient n'avoir que connu ça : le désespoir infini, et la détresse absolue. J'en frémissais d'effroi. Le jeune homme que j'étais, avait voulu tisser des liens avec lui, pour une raison... qu'encore aujourd'hui, j'ignore.

Ce déferlement d'images du passé étaient comme des fantômes qui revenaient hanter Assad. Sa famille déchirée par l'enfant maudit que semblait être Darkodem laissait en lui des cicatrices béantes et lancinantes, que le temps lui-même ne pouvait réparer.

— Et puis... et puis... un jour, après quelques années de calme relatif, le lendemain de ses vingt-quatre ans, il n'était plus là. Parti. Pour toujours. Le vaisseau royal de l'époque, Le Sultan, était introuvable, et les soldats chargés de sa garde ont tous été endormis par de la Poudre de Sommeil Instantanée.

— Une habitude de famille ! releva Zahya avec mauvaise humeur.

— Ses armoires ont été vidées, plusieurs livres de la bibliothèque disparurent, et il a emporté une grande partie des provisions du château, sans compter tout l'or pillé ! Mon père était heureux de s'en être débarrassé, ma mère un peu moins. Quant à moi... Une feuille de parchemin demeurait pliée sur mon bureau. « Pardon » y lisais-je, de l'écriture de Darkodem.

Touchée, une larme coula sur la joue de la princesse.

— Je ne comprenais pas, et les mois suivants n'ont pas contribué à m'aider à comprendre davantage. Ceci dit, Sultakara a prospéré pendant ces quelques mois, comme libérée de ses carcans. Sans la présence néfaste de Darkodem, mes parents et le royaume ont été très sereins...

— Des... mois ? demanda la princesse, soudain tendue. Pourquoi ?

Assad ricana amèrement. Un rire nerveux, sans aucun doute.

— Cinq mois plus tard, le prince de Shymérius est né... Le couple royal organisa une fête, et avait convié mes parents ainsi que tous les autres rois et reines avec lesquels il entretenait des rapports cordiaux. Ils n'en sont — sa voix se mit à trembler — jamais... revenus... Je n'étais même pas là le jour de leur départ, m'étant absenté pour une course.

Assad abattit son poing sur le mur, une rage noire déformant ses traits.

— Darkodem les a assassinés ! rugit le roi de sa puissante voix.

Saphir glapit, ne s'attendant pas à un cri aussi vigoureux. Secouée, elle éclata en sanglots. Fenrir, à côté d'elle, était estomaqué, et tenait les bras de son fauteuil avec une force indécente, les jointures crispées et blanchies.

— Avec un groupe de terroristes d'Arkhess, il a fait exploser Le Sultan II, alors qu'il revenait de Shymèrius.

Sa voix se brisa. Assad se tourna vers la fenêtre, ne supportant plus les visages pâles tournés vers lui. Il pleuvait. Zahya se leva, et passa près de son mari. Elle posa une main aimante et chaleureuse sur la sienne, et la serra avec tendresse. Ce moment ne dura qu'un instant, car elle le contourna et s'assit près de Saphir, la serrant près d'elle.

— Eh bien... murmura Zahya. Assad a appris cette triste nouvelle, une semaine après leur départ. Personne n'avait de nouvelles d'eux, et ça a failli finir en conflit diplomatique entre Shymèrius et Sultakara. Le pays était dirigé par le premier ministre de l'époque, en attente de l'arrivée du roi et de la reine, ou le sacrement d'un nouveau roi. En sa qualité de prince, Assad ne pouvait diriger pleinement le royaume. Il aurait fallu le sacrer roi, et il ne désirait pas usurper la place de son père.

« Les forces spéciales ont été déployées en équipes terrestres, marines et aériennes pour remuer ciel et terre à la recherche du couple royal disparu. L'affaire a provoqué une débâcle sans précédent, et s'en est suivi de l'arrivée d'une lettre à Sultakara, à destination de l'héritier. Écrite par Darkodem. Il annonça déjà son intronisation à Arkhess.

— Non ! cria Saphir, choquée que Darkodem se soit vendu à l'ennemi.

— Elle décrivait avec une effarante précision la manière dont il les avait assassinés. Avec, le pendentif de Dame Dylshad, et la chevalière de Sire Derkos. Bijoux qu'ils portaient à la réception. Une preuve, sans conteste...

— J'ai donc décidé de traquer Darkodem, l'interrompit le roi de Sultakara avec dureté, jusqu'à que vengeance soit faite.

Sa voix était étonnamment neutre, bien que tremblant légèrement par moments. Un long silence suivit son intervention, avant que Zahya ne reprenne la parole.

— Un an après la mort du couple royal, je me suis mariée à Assad. Un mariage sobre, car Assad voulait encore entretenir la mémoire de ses parents.

Assad se retourna pour dire quelque chose, mais il se ravisa au dernier moment, désireux de garder ce détail intime pour lui. Le jour de son mariage, Darkodem lui envoya une lettre. « Félicitations, et pardon encore » avait lu Assad, avec désarroi. Darkodem était d'une obscurité telle, qu'aucune lumière ne pouvait éclairer les tréfonds de son âme. Quelles étaient ses motivations ? Que cherchait-il, vraiment ? Le narguait-il ? Encore aujourd'hui, Assad ne comprenait pas.

— Quoiqu'il en soit, Darkodem s'en est également pris à Shymèrius, mon pays natal. C'est monnaie courante à Arkhess. On convoitait le pouvoir du peuple de Shymèrius, à savoir celui de commander et d'invoquer les Filles d'Uraera. Des êtres magiques, dont le pouvoir dépasse l'imagination. Sous Darkodem, le grand doyen a été victime d'un guet-apens. Encore plus tôt, lorsque j'étais une enfant, Shymèrius a subi un raid arkhasien. Le but était simple : mettre la main sur un maximum de personnes capable d'invoquer les Filles d'Uraera, et les déposséder de leurs pouvoirs. Ces jours-là furent les pires de ma vie. J'y perdis ma mère, morte en tentant vainement de me protéger, et mes pouvoirs d'invocatrice.

Elle se frotta les yeux, les cicatrices du passé jamais bien guéries.

— J'ai été soumise au Rituel de la Chimère, ajouta-t-elle avec un sourire douloureux.

Ayant elle-même été la victime d'un Rituel, Saphir se sentit plus proche de sa mère que jamais encore. Elle prit sa main entre les siennes, et la caressa avec douceur. Un geste qui toucha Zahya, auquel elle répondit par un sourire triste.

— Nous perdîmes la trace de Darkodem. En effet, après son parricide, une querelle naquit entre lui et d'autres personnalités d'Arkhess. Parmi eux, Sawse N, l'actuelle reine d'Arkhess. Bien qu'on ne sache les détails de l'affaire, il serait parti, laissant alors le trône vaquant. Après des années de silence, Darkodem revint à Sultakara, il y a presque huit auparavant, et a déployé dans les cieux une Fille d'Uraera, la plus puissante qui soit. Je parle de Solluz-Aranea, qui normalement ne peut être matérialisée que par les danses du grand doyen de Shymèrius.

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