Partie 3

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  Un silence gênant régnait entre les deux jeunes gens. Assis dans un box au fond de l'auberge, ils contemplaient leur Licorne Elsass – une spécialité de la région – sans mot dire. Du moins, l’ancien endormi contemplait sa Licorne Elsass. Mathilde, elle, observait l'intéressé à la dérobée. Ses doigts dignes d'un pianiste passaient et repassaient le long de son verre, jouant avec la condensation qui se créait dessus. Une certaine... sensualité se dégageait de ce geste. Le visage de Mama s'empourpra dès que cet adjectif lui traversa l'esprit.

  –Alors...

  Cette soudaine prise de parole la fit sursauter et elle manqua de faire tomber sa bière.

  –Vous disiez que vos parents vous ont répudiée, princesse...

  –Mathilde Philippa Padouéta de Sosson. Et oui, ils m’ont répudiée. Enfin, plus ou moins.

  Il releva ses incroyables yeux bleu-gris vers elle et fronça les sourcils. De beau sourcils, en passant.

  –C'est à dire ?

  –Je suis en chemin pour une maison de campagne. Ils ont décidé de m'envoyer là-bas suite à l'accident qui m'a dévisagée.

  –Dévisagée ?

  Il plissa les paupières, affurant son regard, et l’étudia en détails. Les poumons de la jeune femme eurent du mal à se remplir. Il l’analysait avec tant d'attention qu'elle avait l'impression qu'il était capable de voir à travers elle, qu’il la déshabillait du regard, couche par couche.

  L'image de cet homme glissant ses longs doigts sous ses jupons pour les lui relever naquirent au milieu de ses pensées et les joues de Mama virèrent à l'écarlate.

  Oh là, du calme, espèce d’idiote.

  –Vous êtes... une jeune femme ravissante, déclara avec hésitation l'inconnu à la fin de son examen. Je ne vois pas ce qui cloche avec vos traits.

  –Euuuh… (Mathilde essaya de se concentrer sur la conversation.) Mon nez est tordu ; je me le suis fracturé.

  –Mais c'est à peine perceptible.

  Elle haussa les épaules.

  –Que voulez-vous que je vous dise ? Une princesse...

  –Se doit d'être parfaite, compléta-t-il. (Il secoua la tête.) C'est absolument ridicule. Vous n'êtes pas des poupées de porcelaine et n'avez pas à être cachée au fond du placard à la moindre cassure ou au moindre défaut de fabrication. Ce sont nos petites particularités qui nous différencient des autres.

  Il conclut sa phrase avec un claquement de langue sec et prit une gorgée de sa boisson. Mathilde ne répondit pas tout de suite, déconcertée par l'aigreur de ses mots.

  –Quoi qu'il en soit, reprit-elle une fois remise, vous n'avez pas à vous inquiéter d'un quelconque mariage. Je vous ai uniquement... embrassé, murmura-t-elle si bas qu'elle eut du mal à s'entendre, pour vous délivrer. Je ne comptais pas vous demander de m'épouser et mes parents ne vont pas l'exiger non plus.

  L'air du jeune homme se fit méfiant.

  –Vraiment ?

  –Croix bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer. Une fois nos bières finis, nous reprendrons chacun notre route et vous ne me révérez plus jamais. Je vous en fait la promesse, Monsieur...

  –Daan.

  Il n'ajouta rien. Un sourire en coin fendit le visage de Mathilde.

  –Si vous cherchiez à me cacher le fait que vous faites aussi parti de la royauté, c'est raté. (Daan grimaça, ce qui incurva encore plus les lèvres de Mama.) Allons, vous pensiez vraiment que je n’avais pas deviné ? Seuls nos pairs sont touchés par le maléfice dont vous avez été victime et j'ai côtoyé bien assez de princes pour savoir en reconnaître un quand j'en vois. Alors ? Qui êtes-vous vraiment ? Je doute que Daan soit votre vrai nom.

  –Je suis Adrianus Mathijs Auroro Jlaieudanslcus de Bovée, marmonna-t-il.

  –Désolée, je n'ai pas bien entendu la fin. Jlaieudanslcus... de Bouée ?

  –Non ! De Bovée. Bo. Vée.

  –Oh pardon. Eh bien, Prince Adrianus, je suis enchantée de vous rencontrer... Pouvez-vous me dire ce qu'il vous est arrivé ? Quelle sorcière vous a donc jeté ce mauvais sort ?

  –Ce n'est pas une sorcière mais une fée, sur l'ordre de mes parents.

  –Comment ?

  Que signifiait toute cette histoire ?

  Adrianus soupira.

  –Mes parents ont essayé de me trouver une compagne pendant des années, mais j'ai rejeté toutes leurs propositions. Je ne voulais pas m'engager. Au bout d'un moment, ils ont fini par en avoir marre et ont demandé à leur marraine de me plonger dans le sommeil éternel. La punition par excellence... Elle m'empêchait de vivre comme je le désirais et le jour où une femme me libérerait de cette non existence, je me retrouverais dans l'obligation de l'épouser, de me plier à leur loi... Que je sois endormi ou réveillé, j'étais pris au piège.

  –C'est... terrible.

  –Que voulez-vous que je vous dise ? fit-il en haussant les épaules. Un prince...

  –Se doit de prendre une épouse et vous ne rentriez pas dans le moule, compléta-t-elle comme il l'avait fait un instant plus tôt. Ils ont donc décidé de forcer un peu. C'est tout aussi ridicule que d'attendre des princesses de ne présenter aucun défaut.

  Il opina gravement.

  –Notre monde n'est qu'une question de paraître. Il faut absolument se conforter à l'image de notre rang et ne pas nous en éloigner, quitte à étouffer sa personnalité.

  –Est-ce pour cette raison que vous ne vouliez pas de femme ?

  –Oui et non, avoua-t-il. Mon attitude ne colle pas tout à fait à celle d'un prince et je ne voulais pas non plus me trouver attacher à une femme aussi lisse que sa peau, sans aucune profondeur ou aucun caractère.

  Mathilde avala une longue rasade de bière.

  Cet homme voulait du caractère, hein ? Et comment réagirait-il si elle éructait devant lui, là, maintenant ? Il s'enfuirait simplement en courant, comme tout le monde l'avait fait avant lui. Un tel comportement était bien trop éloigné de l'image jolie, gracieuse, courtoise et délicate d'une princesse. Et même s’il ne semblait pas aussi coincé que ses pairs, il restait un prince.

  Enfin...

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