Partie 2

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  Afin que nul ne se doutât de ce qui se tramait au palais, le convoi partit à la tombée de la nuit et roula jusqu'aux lueurs de l'aube. Mathilde et les gardes firent halte dans une auberge, où ils dormirent toute la journée. Personne n'aurait su dire où il se trouvait exactement : la ville où se situait l'établissement avait un nom tout à fait incompréhensible et imprononçable, comme tous les bourgs de la région. Ces successions de lettres sans queue ni tête permettaient seulement de savoir qu'ils étaient quelque part en Elsass.

  En début de soirée, un rayon du soleil couchant passa à travers l’interstice des volets de Mathilde et frappa ses paupières closes, la tirant de ses songes. La bouche pâteuse, la princesse s'étira comme un chat, puis passa une main dans le nid qui lui servait de cheveux. Elle balaya du regard sa chambre, puis s'habilla et se coiffa grossièrement, la tête toujours dans le cul – elle n'avait jamais été du matin, et du soir non plus, visiblement. Et pourquoi se fatiguer à s'apprêter alors qu'une nouvelle journée en voiture l’attendait ?

  Sa mère aurait sûrement fait une syncope si elle l'avait vue dans une toilette aussi peu séante – dieu du ciel, elle n'avait même pas mis de corset ! –, enfin... Elle n'était plus à ça près, et la reine n’était là pour lui faire des remarques. Fin prête, Mathilde entrouvrit sa porte pour questionner le garde sur l'heure de leur départ et le trouva affalé contre le mur, profondément endormi.

  Bonjour la sécurité...

  Une idée naquit soudain dans son esprit alors qu'elle fixait d'un air consterné l'homme. Elle n'était pas sensée quitter sa chambre avant de remonter dans le carrosse, mais puisque son garde avait décidé de piquer un somme…

  Sans un bruit, elle l'enjamba et remonta le couloir à pas de loup. Un brouhaha de voix indistinctes s'intensifia à mesure qu'elle approchait de l'escalier, accompagné d'une forte odeur de nourriture et d'alcool.

  Arrivée en haut des marches, Mathilde découvrit une salle presque comble. Les clients discutaient, mangeaient, buvaient et riaient à table ou au comptoir ; une troupe de saltimbanques égaillait le tout de musique entraînante. Une vive excitation gonfla dans la poitrine de la princesse et elle dévala les marches sans plus attendre. Louvoyant entre les nombreux voyageurs, elle atteignit le bar au moment où un homme libérait un tabouret. Elle le remplaça en vitesse, avant qu'un autre client ne prît la place, et commanda une bière.

  Alors qu'elle savourait sa boisson, les conversations des clients alentours lui parvinrent.

  –Mais puisque j'vous dit qu’c'est vrai ! On arrive pas à l'réveiller, c’type.

  –Z'êtes sûr qu'il est vivant, au moins. Verre ou pas, vous l'avez tout de même trouvé dans un cercueil, vo'te gars.

  –Tu crois vraiment qu'on se s'rait embêtés à l'ramener ici si c'était un macchabée ? Il respire, le bougre !

  –Vous l'avez frappé ? Il a p't-être besoin d'être s'couer.

  –On lui a foutu des gifles, balancer de la flotte à la gueule, mais rien à faire.

  –Mon bah mon vieux...

  –À qui l'dis-tu...

  –Vous allez en faire quoi ?

  –Aucune idée. Pour l'moment on l'a foutu dans la chambre au fond du couloir.

  D'un geste de la tête, le villageois indiqua le corridor en question. Ni une, ni deux, Mathilde quitta son siège pour se rendre dans la pièce en question, le cœur battant. Non, il ne pouvait s'agir de ça...

  Arrivée devant la porte, elle prit une profonde inspiration pour essayer de calmer son pouls, puis entra. Son souffle se coupa dès que ses yeux se posèrent sur l'endormi. Interdite, elle s'en approcha à pas lent et s'arrêta devant sa couche. Avec les innombrables prétendants qui avaient défilé dans ses appartements, elle avait rencontré bien des hommes, mais jamais elle n'en avait vu un aussi sexy que celui sous ses yeux. Ses cheveux blond foncé légèrement ondulés étaient étalés autour de sa tête, dévoilant toute la finesse de son visage. Il possédait toutefois une mâchoire marquée, soulignée par une légère barbe de deux jours parfaitement entretenue. De même, son corps était plutôt longiligne, mais Mama devinait la musculature qui se dissimulait sous ses vêtements de cuir. Bien qu'assoupi, il dégageait aussi une prestance qui accaparait toute l'attention de la princesse.

  Cette aura était-elle dû à la simple présence de cet homme ou bien au maléfice qui le maintenait plongé dans cette torpeur ? L'intuition de Mathilde ne s'était pas trompée à ce sujet : son sommeil n'avait rien de naturel, il avait été provoqué par un sortilège ; elle pouvait sentir les effluves de la magie qui l'entourait.

  Ce qui signifiait que rien ne pourrait le réveiller. À part le baiser d'une princesse.

  Mama tapota de l'index sur le matelas et son regard remonta le long de la silhouette de l’endormi pour revenir à hauteur de son visage. Le jeune homme devait avoir la vingtaine et mesurer un bon mètre quatre-vingt, voir un peu plus. L'attention de Mathilde s'attarda un instant ses paupières closes, dont les cils, encore plus fourni que les siens, frôlaient le haut de ses joues – que pouvaient-elles bien abrité ? des prunelles saphir ? des yeux marrons ? des iris vert caca d'oie absolument quelconque ? – avant de se concentrer sur ses lèvres.

  Bon, quand faut y aller…

  La jeune femme se pencha en avant et l'embrassa. Elle sentit aussitôt l'enchantement s'envoler et l'homme prendre une profonde inspiration. Un sourire fendit le visage de Mathilde.

  Et dans ta face, sale sorcière.

  Fière d'elle, elle se redressa, puis se figea. Des yeux bleu gris d'une beauté à couper le souffle la fixaient avec intensité.

  Autant pour les iris caca d'oie...

  Vous..., souffla l'homme.

  –Moi ?

  Il se redressa d'un coup, la faisant bondir en arrière.

  –Pourquoi avez-vous fait ça ? s'exclama-t-il avec léger accent étranger. Je ne voulais pas être réveillé ! Bon dieu, je...

  Le visage crispé, il ramena une jambe contre lui et posa le front sur son genou.

  –Je ne voulais pas me marier, soupira-t-il.

  Se marier ?

  –Oh là, mon grand. On se calme tout de suite. (Il tourna la tête vers Mama, sourcils froncés.) Je ne vous ai pas réveillé pour que vous me passiez la bague au doigt.

  –Pour quelle raison, alors ?

  –J'étais la seule dans le coin à pouvoir vous libérer de votre sommeil.

  –Mais pour se faire, nous avons dû échanger un baiser. Et en tant que princesse...

  Mama prit soudain conscience de son geste et le rouge lui monta aux joues d'un coup. Bon sang, mais comment avait-elle pu être aussi entreprenante avec un parfait inconnu ? Malgré son caractère bien trempé et les nombreux prétendants qu'elle avait eu, elle se révélait plutôt chiffe molle avec l'autre sexe.

  –Ce... Ce n'était qu'un bisou de rien du tout, se défendit-elle en agitant les mains dans tous les sens. Nos lèvres se sont à peine frôlées. Nous étions seuls, personne ne nous a vu. Oh et, mes parents m'ont plus ou moins répudiée, alors...

  Le jeune homme la dévisageait comme si elle était cinglée. Ce dont elle devait parfaitement avoir l'air à gesticuler comme une gogole. Se forçant à arrêter, elle s'éclaircit discrètement la gorge.

  –Et si nous allions discuter de tout cela autour d'une bière ?

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