Chapitre 4 : Des soirées aux antipodes

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Alex

6H30 – Bien que vendredi était la journée que je détestais le plus, je n’eus pas besoin du réveil pour ouvrir les yeux tellement j’étais surexcité par la soirée qui se profilait. Il fallait avouer qu’une journée chargée de 8H de cours n’enchantait aucun adolescent. Je me levai avec énergie et m’habillai en conséquences. J’avais prévu de m’y rendre dès la fin des cours puisque Thim n’habitait pas à côté de chez moi De plus, je devais passer de toute façon à une épicerie pour ne pas arriver les mains libres. Au pire, je traînerais en ville, pensai-je. Heureux comme un paon, je descendis les marches et atterris comme une plume dans le salon. Ma mère esquissa un sourire quand elle me vit débouler.

« Bonjour, mon chéri. Tu es bien en forme ce matin malgré cette rude journée qui t’attend, s’exclama-t-elle.

— Jour mam’, répondis-je en apportant à ma bouche l’un des pains au lait qui se trouvait sur la table.

— Monsieur serait impatient d’être à ce soir ? enchaîna mon paternel.

— Tu ne peux même pas imaginer comment » répondis-je.

Je leur déposai un baiser sur la joue à chacun et pris place autour du somptueux petit-déjeuner qui se présentait à moi. La discussion tourna autour de la soirée. Je dus promettre à mes géniteurs que je n’allais pas boire — entre nous ce n’est pas certain que je tienne cette promesse — ni fumer quoi que ce soit. Je soupirai, j’avais l’impression d’être retourné au collège. J’étais bientôt majeur, d’ailleurs en janvier, et je pensais pouvoir gérer ma vie comme je le voulais. Mais je me trompais et j’allais le découvrir à mes dépens — mais c’est une autre histoire —.

Une fois le petit-déjeuner fini, je remontai dans ma chambre pour me préparer. Je sortis un sac de sport de l’armoire et le remplis d’habits propres et du nécessaire pour me doucher chez Thim. Je savais qu’il pouvait me le prêter mais je ne voulais pas l’embêter avec tout ça. Lorsque la sonnette retentit j’attrapai mon sac de sport et mon sac de cours, puis dégringolai les escaliers sans retenue. Anya n’était toujours pas levée et je savais qu’elle allait me faire une scène dès que j’aurais franchi le pallier de la porte samedi midi. Je décidai de lui laisser un petit post-it et lui souhaitai une bonne journée.

***

La journée ma parût interminable bien que la soirée se rapprochait à chaque coup de sonnerie. Il me semblait que tous les profs ce jour-là s’étaient tous ligués contre nous pour nous donner une multitude de devoirs et de leçons à apprendre. Selon eux, le weekend était propice aux apprentissages — pff tu parles — et le fait que nous étions en terminale les encourageait à nous surcharger de boulot. Je fulminai quand Mr Charles nous fit noter l’apprentissage de la carte de l’Asie du sud et de l’Est. Et encore des devoirs pensai-je. En tournant les pages de mon agenda, je sombrais au fur et à mesure. Tout mon dimanche n’allait pas être suffisant pour tout terminer pour la semaine suivante. Je me promis alors de rester lundi soir à la bibliothèque pour rester travailler car je ne voulais pas attirer dès la rentrée le regard des profs, déjà que je n’étais pas ce qu’on pouvait appeler un élève modèle. Marc explosa de rire en constatant ma mine déconfite. Lui n’avait pas de souci vu qu’il travaillait vite et de manière efficace, tout le contraire de moi. D’ailleurs, il savait déjà ce qu’il voulait faire plus tard ; procureur et toutes les portes lui étaient ouvertes au vu de son dossier scolaire irréprochable.

Dès que la sonnerie retentit pour la dernière fois de la journée, nous pûmes souffler et sortir dans un chahut après avoir brièvement saluer Mr Charles. Il était 18H et Thim nous avait donnés rendez-vous pour 19H, il nous restait donc 1H à tuer. Je prévins Marc qu’il fallait que je passe par une épicerie à quoi il me répondit qu’il était dans le même cas. Nous décidâmes donc d’y aller ensemble. Il y en avait justement une sur le chemin qui donnait chez Thim. Les autres avaient fini comme les premières à 16H et vu que c’était le week end, personne ne voulait s’attarder au lycée. Mon meilleur ami en profita pour déposer dans la boîte à lettre de la bibliothèque un livre qu’il avait fini de lire la veille, je le suivis. Je fus surpris quand un garçon de première sortit de la bibliothèque. Quand il nous vit, il remonta sur sa tête la capuche de son sweat et nous salua avant de s’en aller sans un bruit. Ses habits me paraissaient trop grands pour son frêle gabarit, mais n’y portant aucune grande attention, je détournai la tête rapidement.

Nous primes la route pour nous rendre chez Thim et en regardant l’heure sur nos portables, nous décidâmes de nous y rendre à pieds en poussant nos vélos. Comme prévu, nous nous arrêtâmes à l’épicerie la plus proche et y achetâmes quelques chips et autres nécessités. Avec l’aide d’un homme, nous réussîmes même à nous procurer un pack de bières. Marc déposa le tout sur le porte bagage de son vélo et nous reprîmes notre chemin.

***

19H – Marc appuyait sur la sonnette et Thim nous ouvrît. Je ne pus réprimer un sourire quand je le dévisageai. Il portait encore une serviette et nous fixait incrédule.

« Alors là, je ne m’attendais pas à ce que vous arriviez aussi tôt, je ne suis pas encore prêt, geignit-il.

— On te laisse quelques minutes sinon on retourne la maison » dis-je d’un ton narquois en entrant.

Marc se laissa tomber sur le canapé tandis que je m’empressai de mettre les bouteilles et canettes au frais tandis que notre hôte se précipitait à l’étage pour finir de se changer. L’extérieur de la maison était assez ancien mais il n’en était rien pour l’intérieur. Les parents de Thim avaient tout fait pour la moderniser selon leurs envies. Je m’approchai d’un meuble en bois et en sortis des verres que je déposai sur la table basse du salon.

— Tu joues à l’hôte ? me lança amusé l’homme avachi sur le canapé.

— Tu pourrais m’aider non ? lui répondis-je.

— Aucune chance » dit-il en me lançant un coussin dans la tête.

Je pris une profonde respiration et lui renvoyai son projectile avec plus de force. Il l’évita et me tira la langue mais n’avait pas prévu que j’allais riposter de plus belle. Confiant, je sautai sur lui et pris appui sur lui. Je réussis à le retourner sur le ventre et à attraper un de ses bras que je coinçais dans son dos. Il essaya de se débattre mais ne put se défaire de ma prise. Satisfait, je le relâchai et nous rîmes ensemble. Depuis l’enfance, j’avais cet avantage de musculature ce qui me permettait le plus souvent de ressortir victorieux de nos petites joutes. Essoufflés, nous prîmes une pause et Marc se leva pour m’aider à préparer la table. La sonnette se fit entendre et nous fîmes entrer nos deux autres compères. Les parents de Victor les avaient déposés et devaient venir les rechercher le lendemain vers 11H. Ils ne furent pas étonnés quand nous leurs apprîmes que Thim était toujours en train de se préparer. Nous prîmes place dans les canapés et commençâmes à nous raconter notre journée. Mes amis s’amusaient à m’écouter me plaindre de la tonne de devoirs que j’avais reçue et Lucas ne se privait pas de se vanter d’en avoir moins. Puis, la conversation prit un autre tournant et nous discutâmes de nos projets futurs pour le week end. Tous avaient décidé de se poser et de profiter de leur temps libre. Victor devait passer le week end dans sa famille proche et Lucas avait un match de foot le dimanche matin. Marc, comme à son habitude, vouait son temps libre à dévorer une multitude d’oeuvres littéraires, ce que je ne comprenais absolument pas. Thim nous rejoignit quand nous attaquâmes l’apéro et il en profita pour mettre au four quelques pizzas. La soirée se déroula dans la joie et la bonne humeur et nos ventres furent vite bien remplis. Vers les alentours de 00h00, Thim nous annonça que nous allions jouer au « jeu du roi ». Ce n’était pas un jeu pratiqué en France, mais la cousine de Thim qui avait fait ses études au japon lui avait expliqué les règles et il s’était avéré que Thim adorait cette forme de jeu. Je soupirai en tirant une des baguettes que me tendait mon ami. J’espérais énormément que les gages allaient rester soft ce soir-là, car certains ne se privaient aucunement quand il fallait les dicter. Je soulevai mon pouce et dévoilai le nombre 2. Je jetai des regards vifs vers mes amis. Les yeux de Thim brillaient de la même manière que ceux d’un enfant qui venait de recevoir un cadeau. Il posa sur la table sa baguette et nous vîmes le dessin d’une couronne. Les autres cachaient de plus en plus leur baguette.

« Bon, je vais commencer gentiment puisque c’est le premier gage » annonça-t-il avec un air malicieux sur son visage .

Il versa dans un verre un alcool fort et demanda au numéro 4 de le boire d’une traite. Je me tournai vers les autres et vis Lucas grimacer. Il empoigna le verre et le finit comme demandé. Satisfait, Thim reprit toutes les baguettes et les mélangea puis nous tirâmes de nouveau. Le jeu se déroulait sans problème avec de grands fous rires jusqu’à ce que Thim retira la baguette du roi. Un éclair passa à grande vitesse dans ses yeux et il nous fit le signe de la victoire. Puis, soudainement, il se leva et annonça que le numéro 1 et 3 devaient se smacker. Nous fixâmes notre ami avec de grands yeux. Exaspérés, nous posâmes nos baguettes sur la table. Marc attrapa les épaules de Lucas avec un grand sourire forcé et ses lèvres vinrent rencontrer les siennes. Je rejoignis Thim dans sa danse de la victoire tandis que Victor secouait la tête et nous criâmes de tous nos poumons. Le spectacle qui se présentait à nous nous amusait énormément. Les deux victimes se décollèrent et Marc jeta un oreiller à la tête du bourreau. Après une bataille musclée, nous décidâmes d’aller nous coucher car il se faisait tard. Je partageais un lit avec Marc dans la chambre de la soeur et Victor dormait dans la chambre du grand frère. Sans nous attarder, nous nous plongeâmes dans les bras de Morphée.

Matt

18H – Je regardais par la fenêtre les élèves euphoriques libérés des cours et qui n’avaient qu’une hâte, celle de rentrer chez eux pour le week end. Quand je m’étais levé le matin, j’avais pu constater l’absence de mon père et j’en avais profité pour rester un peu au salon. Mais je savais qu’il serait là ce soir et je n’avais donc aucune envie de rentrer au vu de son humeur massacrante de la veille. Il ne connaissait pas mon emploi du temps, en fait il s’en fichait, mais il était au courant que les derniers cours se finissaient au plus tard à 18H. Je devais donc chaque soir rentrer au maximum pour 19H pour ne pas éveiller les soupçons. Sans conviction, je sortis de la bibliothèque, mon sac sur les épaules. Lorsque j’ouvris la porte, je tombai sur deux garçons : Alex Lecomte et un de ses amis. J’écarquillai les yeux et me cachai sous la capuche de mon sweat. Je les dépassai et les saluai avec calme, puis je pris la direction des escaliers. Ouf, ils ne m’ont pas reconnu, pensai-je. Je m’arrêtai et fus pris d’un fou rire. C’était impossible pour eux de me reconnaître vu que je ne leur avais jamais parlé. J’étais un pur étranger pour eux et c’était très bien comme ça. Bien que le chemin qui me ramenait chez moi prenait 1H, je le trouvais toujours trop court. Pas que j’aimais marcher, loin de là. Seulement, l’anxiété qui m’oppressait à chaque pas m’empêchait d’accélérer même les jours de pluie.

***

19H15 – J’étais en retard. J’avais trop traîné et mes entrailles commençaient à se nouer. J’espérais grandement qu’il ne soit pas à la maison et mon coeur rata un battement quand je vis ses chaussures rangées dans le meuble. Je dus fixer ses chaussures pendant un bon moment car une voix s’éleva du salon :

« Tu comptes rester planté là combien de temps ? me cria mon père d’une voix sévère.

Comme un automate, j’enlevai mes chaussures rapidement et pénétrai l’appartement avec crainte. Mon daron se trouvait assis dans le fauteuil et n’avait pas raté une seule seconde mon manège. Une bière à la main, les pieds sur la table basse, un regard d’ivrogne, il ne me quittait pas du regard. Mon corps se mit au garde à vous et un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Je n’osais pas le fixer trop longtemps et mes yeux se posèrent de suite sur le sol. J’attendais debout tel un condamné qui se prépare à se faire pendre. J’entendis un sifflement puis un son de crachat qui me fit trembler de plus belle. Je n’osais pas bouger.

— Qu’est-ce que tu attends ? vociféra-t-il.

Mes yeux s’écarquillèrent et je fermai les paupières quand la bouteille me frôla pour aller se briser contre le mur derrière moi. Je ne savais pas ce qui s’était passé au boulot, mais il semblait prêt à tuer n’importe qui.

— Dépêche-toi de préparer le repas ! aboya-t-il.

Sans avoir pris le temps de réfléchir, je laissai mon sac dans l’entrée, accroché au porte-manteaux et me dirigeai à la cuisine. Je m’attelai à lui préparer un bon petit plat pour que sa colère puisse redescendre d’un cran. Ma main droite tremblait tellement que je dus me tenir le poignet pour que les tremblements cessent le temps que je cuisine. Une fois le repas préparé, je me hâtai d’apporter une assiette à mon père et la déposai devant lui. J’étais tellement en panique que je n’avais même pas pris le temps de préparer une deuxième portion. Mon père fixa longuement la nourriture et prit une énorme bouchée. Je bloquai mon souffle, attendant la sentence qui ne se fit pas prier. Mon père poussa violemment l’assiette d’un revers de la main et m’insulta de tous les noms. Pour lui, le repas était infect et ne méritait même pas d’être servi aux cochons. Sous la réaction de mon père, je reculai d’un pas, grave erreur. Il s’approcha de moi et empoigna mes cheveux.

— Tu comptais t’enfuir ? s’égosilla-t-il. Je vais te montrer ce qui arrive quand on me fait manger de la merde !

Il me tira vers l’endroit où l’assiette était tombée et m’enfouit la tête dans la nourriture. Après un court moment pendant lequel une pluie d’insultes m’était adressée, je sentis son étreinte se relâcher, ce qui me permit d’éloigner mon visage de l’assiette. Je pus à peine retrouver mes esprits quand une cascade s’abattit sur moi, il venait de s’emparer de la cruche sur la table. Je me mis à genoux et lui demandai de me pardonner lui promettant que je ne recommencerais pas à lui servir de tels plats. Mes poings sur les genoux tremblaient de rage car je l’avais goûté avant de le lui servir. Je ne savais même pas pourquoi je m’étais dépêché de lui préparer à manger puisqu’il aurait trouvé de toute façon un moyen de rabattre sa colère sur moi. Mon comportement ne lui échappa pas et je maudis mon honneur quand son pied me décocha un coup au visage. Je m’affalai sur le sol et supportai ses coups, me protégeant comme je le pouvais. Ses coups cessèrent quand quelqu’un toqua à la porte. Recroquevillé sur le sol, je l’entendis ouvrir. Après un court échange, il revint vers moi et s’accroupit pour que je puisse voir son visage en entier.

– Écoute-moi gamin, je sors un moment. Si quand je reviens l’appartement n’est pas rangé ce sera ta fête ! »

Il me laissa sur le sol et sortit sans un regard en ma direction. Je restai un moment en boule à attendre que la douleur s’atténue. Les secondes semblaient passer comme des heures et je ne pus réprimer un sanglot. Au bout d’une heure, je pus me relever, même si je vacillais encore. Je regardai le chantier qui composait mon salon et espérai que le week end puisse se passer autrement.

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