14. Divergente

4 minutes de lecture

15 février 2014, La Baule-les-Pins

La jalousie qui tenaille…

Bien sûr que Cédric savait qu’il n’avait pas été le premier amant d’Élodie, mais il s’était imaginé avoir été le seul à avoir vraiment compté. Celui qu’elle avait aimé le plus. Une certitude que vient d’atomiser la lecture de son journal intime et de la lettre de son ex-boy-friend. Sans compter la bague que celui-ci lui avait offerte !

La sidération d’un homme qui croyait tout connaître de cette dulcinée qui n’a jamais cessé de hanter ses pensées, puis la lumière…

Il la comprend enfin, dans l’entièreté de l’adolescente qu’elle était, blottie dans ses bras. Ainsi, l’idylle de jeunesse d’Élodie s’était vue brisée dans l’œuf par le père de cette dernière ; ce qui expliquait l’animosité que la jolie rousse avait fini par éprouver à l’encontre de son géniteur, et pourquoi elle ne lui avait jamais pardonné son incartade avec sa maîtresse. Il lui avait interdit de vivre sa romance avec ce type bien plus âgé qu’elle tandis que lui s’autorisait à fricoter avec une midinette à l’insu de son épouse. Élodie le haïra pour ça, le haïssait probablement auparavant de l’avoir rendu malheureuse. Une blessure qui l’avait marquée au fer rouge, peut-être autant que l’accident mortel qui l’avait privée à jamais de sa sœur aînée, mais qu’elle avait toujours dissimulée à Costarelli lorsqu’ils sortaient ensemble ; une cicatrice qui la conduisait perpétuellement à tout vouloir contrôler en permanence, impératrice exclusive de son destin de femme. Et Costa n’en saisit la raison profonde qu’aujourd’hui.

***

1er janvier 1994, Saint-Nicolas-de-Véroce

De la neige partout, et en toile de fond, le Mont-Blanc. Élodie et moi sommes sortis de la salle des fêtes pour fumer une clope à la fraîche, abandonnant momentanément les autres convives sur la piste de danse. L’esprit vagabond, ma petite amie s’abîme dans la contemplation des étoiles qui scintillent sous la lune en tirant sur sa Malbac’. Sa tristesse est palpable, et lorsqu’une larme finit par rouler sur sa joue, je tente de la réconforter en la serrant contre moi.

— Excuse-moi, s’efforce-t-elle de sourire pour donner le change en essuyant maladroitement le sillon lacrymal, je n’avais pas prévu de plomber ta Saint-Sylvestre...

— T’en fais pas pour ça, Élo ! Que tu sois triste ou gaie, tout me va tant que je te tiens dans mes bras... Je crois que je pourrais passer ma vie entière comme ça.

— Aucun de nous deux ne peut dire où et avec qui on sera dans vingt ans, Cédric. Tu ne sais même pas ce que tu veux faire après le bac !

— Professionnellement, c’est vrai, je n’en ai aucune idée, contrairement à toi. Mais d’un point de vue plus personnel, je nous imagine… Dans vingt ans, mari et femme, avec deux enfants, pourquoi pas ?

— Mariés ? Deux enfants ? Un pavillon de banlieue, un break Volvo et un chien tant qu’on y est !

— Ben quoi, qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ?

— Rien, mis à part que ça ne cadre pas du tout avec mes aspirations. C’est très conventionnel, très plan-plan, très pantouflard comme projection, on dirait que t’as quarante piges dans ta tête, que t’as l’âge et les fantasmes de nos parents. Moi, je veux une vie faite de voyages, de rencontres, de partages, d’aventures. Je veux pouvoir me réveiller chaque matin en me disant que mon destin n’est pas écrit à l’avance, qu’il est entre mes mains, que j’ai le choix d’avancer à ma guise, de continuer à tracer ma route ou bifurquer. Je veux pouvoir décider de partir sur un coup de tête, de tout quitter pour tout recommencer ailleurs ; je veux que mon mec m’aime pour ce que je suis, et être sur un pied d’égalité avec lui. Je veux être libre...

— En étant notaire parce que ça s’inscrit dans la tradition familiale de ta mère ?

— Je m’en fous de ça, je te parle d’ambition féminine, d’idéal de vie...

***

Lorsqu’il replonge dans ces souvenirs qui le ramènent toujours à Élodie, Cédric revoit en elle cette adolescente sportive, déterminée, à la fois studieuse et bohème qu’il a aimée. Une jeune femme drôle, aguicheuse, coquine, superficielle parfois. Pétillante et pleine de vie, toujours partante pour l’aventure et les chemins de traverse. Contradictoire aussi, prise entre les feux d’une éducation bourgeoise, d’un héritage familial qu’il fallait à tout prix perpétuer et ses désirs de s’en affranchir, d’être libre de ses choix, loin de tout diktat.

Pourtant, les dernières heures de son existence semblent démentir la ligne de conduite qu’elle avait jadis érigée en précepte. L’adolescente espiègle a beaucoup changé au fil des années qui se sont égrenées depuis lors. Alcool, somnifères et anxiolytiques… Depuis combien de temps s’abîmait-elle dans ce genre de cocktail destructeur ? Quelle pouvait bien être la source réelle de ce mal de vivre qu’elle essayait de dissimuler au plus grand nombre ? Et à quoi pouvait rimer l’exhumation de ces vestiges du passé dont regorgeait sa boîte à secrets ? Un simple coup d’œil dans le rétro ou de véritables regrets : celui de s’être fourvoyée, perdue en route, trompée sur le chemin de son existence ? Les interrogations fusent dans l’esprit de Costarelli : il veut comprendre et espère que la fouille du PC d’Élodie, conjuguée à celle de ses deux smartphones, débrouillera les pistes de manière plus concluante et leur permettra enfin de résoudre l’énigme de son assassinat.

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