13. Élodie & Florian : Une passion contrariée

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1er septembre 1991

Le vent, la houle. Xavier me croit inconsciente et je le suis peut-être un peu. Complètement même ! Il me dit qu’il n’y a personne d’aussi cintré que moi pour vouloir ainsi prendre la mer par gros temps. Mais, je m’en fous qu’il flippe, c’est notre dernier jour de vacances avant la rentrée au lycée, et je ne veux pas le gâcher parce qu’il me lâche et n’en a pas les couilles... La veille, il m’avait bien fait confiance, on avait été seuls au monde sur l’océan agité et on avait kiffé.

Xavier, mon cousin germain, mon « presque-frère ». On s’entend comme larrons en foire autant qu’on se chamaille. Il faut dire qu’on a toujours tout fait ensemble. Pour la planche à voile, c’est pareil, on a débuté de concert ; on avait dans les huit ans. Aujourd’hui, j’en ai bientôt quinze, et il me soûle avec ses conseils à la noix, son air de « Monsieur-je-sais-tout », ses velléités protectrices et sa trop grande prudence de vieillard acariâtre. Moi aussi, je le soûle, et il se casse, vexé comme un pou. On se reverra demain et il regrettera de ne pas m’avoir suivie, d’avoir joué les timorés pour une petite brise de rien du tout, mais il sera trop tard. Et moi, je fanfaronnerai… De toute façon, il sait que je suis une tête de mule difficile à convaincre quand j’ai une idée fixe. Je suis véliplanchiste, j’ai ça dans le sang. Pas lui, ou du moins pas autant que moi apparemment...

La plage se fait déserte, j’ai enfilé ma combi et mets mon matériel à l’eau. Au début, tout baigne, je m’éloigne du rivage à vive allure. Seulement, au bout d’une demi-heure, le vent se met à forcir et les nuages noirs à s’amonceler ; le temps tourne sérieusement à l’orage et la fatigue se fait progressivement sentir. Petit à petit, je me rends compte que les courants marins m’éloignent de la côte et que je ne parviendrai jamais à revenir toute seule sur la plage. Je commence à paniquer, à me dire que Xav’ avait raison, que j’aurais dû l’écouter… Je chute à plusieurs reprises et ai de plus en plus de mal à me hisser sur ma planche, à relever ma voile gorgée de flotte, les vagues grossissant à vue d’œil. Au loin, sur le sable, il n’y a qu’un van Volkswagen. Il y campe depuis plusieurs jours. J’aperçois son occupant sur l’échelle de toit, en train d’arrimer un kayak sur la galerie du fourgon vitré. Je décide de tenter ma chance pour attirer son attention, lui fais de grands signes, l’appelle à l’aide de toute ma voix.

Ça y est, il m’a calculée, il a compris que je ne m’en sortirais pas toute seule. Il court vers l’océan en se foutant à poil sur la plage pour ne pas être encombré par ses vêtements, plonge dans l’eau froide de septembre et nage à toute vitesse en ma direction. Il me rejoint rapidement. Me rassure, me dit de ne pas m’inquiéter, qu’il est là, qu’il va me ramener sur la terre ferme. Sur ses conseils, je m’allonge et m’agrippe à cette planche de salut qu’il tire à bout de bras, ma voile traînant négligemment dans notre sillage. Devant moi, je ne vois que la puissance de son corps d’albâtre fendant la surface liquide, de ses muscles dorsaux en mouvement permanent, de ses biceps œuvrant pour regagner la rive. La fascination pour l’athlète l’emporte sur le froid et la peur. Il m’apprendra plus tard qu’il a été champion régional de natation dans une autre vie.

Le rivage, enfin. Il m’a sauvée. Je m’écroule sur le sable, grelottante ; je suis congelée. Il ne prend pas le temps de reprendre son souffle, court en direction de son van pour aller chercher des fringues chaudes et deux serviettes-éponges. Sans que je m’en rende vraiment compte, sa nudité m’attire ; je le trouve trop bien foutu. Et l’air de rien, me rince l’œil sur son postérieur idéalement proportionné, bien rebondi. De face aussi, il en jette, avec un torse joliment dessiné, même si un boxer m’empêche désormais de caresser des yeux le reste de ce que je n’ai pu qu’apercevoir sans oser le fixer. Il ne fait pas gamin comme les mecs de mon âge, non, il a le physique viril, très masculin. Celui d’un homme, et ça me trouble. Je ne pensais pas qu’un gars en tenue d’Adam puisse me faire cet effet-là…

Une fois de retour, il me tend l’une des serviettes pour me frictionner le corps et les cheveux détrempés ; il fait de même. Il me demande un peu maladroitement comment je m’appelle ; il est craquant, je lui réponds. Il me révèle à son tour son prénom : Florian, mais tout le monde l’a toujours surnommé Flo. Un peu gêné, il me propose de retirer ma combi pour enfiler des vêtements secs. Il me promet de ne pas regarder, de se retourner. Je souris devant son embarras et son intention de gentleman, sachant que de mon côté, je ne me suis guère privée pour le mater...

J’enfile ses habits de mec, trop grands pour moi ; de son côté, il enfile aussi futal et sweat large à capuche. Putain, ce qu’il est canon ! Même vêtu, il a du charme, avec ses cheveux bruns hirsutes, sa barbe de trois jours et la douceur que je lis dans le turquoise de ses iris.

Il m’invite à prendre un café noir dans son Combi Volkswagen, j’accepte volontiers. Entre deux gorgées amères, il me raconte ses voyages, son existence nomade, les petits boulots pour bouffer, les filles d’une nuit... On rigole, refait le monde à notre guise, je lui parle de ma vie. Il me joue de la guitare et l’on chante, il est presque minuit. Il me raccompagne jusque devant chez moi et initie notre premier baiser devant la grille avant de me quitter. Je me ferai probablement engueuler par mes parents pour mon retard et le sang d’encre qu’ils se seront faits. Mais je n’en ai rien à faire parce que personne ne peut me retirer ça : ce soir, je crois que je suis heureuse et amoureuse.

***

Je passe le voir chaque jour, en rentrant du lycée. J’envie sa liberté et son insouciance. J’ai aussi conscience qu’il peut partir à tout moment, reprendre la route pour un autre horizon, sans moi. Il m’a mise en garde là-dessus, sur le fait qu’il ne tient jamais très longtemps en place, qu’il ne faut pas que je m’attache trop à lui pour ne pas souffrir lorsqu’il mettra les voiles sans préavis. Seulement pour l’heure, je n’ai pas envie d’y penser, je me fiche de ses mises en garde, je veux vivre l’instant présent. Et l’instant présent, c’est lui, c’est être avec lui tout le temps, aussi souvent que possible.

***

4 octobre 1991

Ça fait un peu plus d’un mois que j’ai rencontré Flo, un mois que je l’aime. Et je crois que c’est réciproque. Il est pudique pour ces choses-là, ne les dit pas mais je le devine, le sens.

Vendredi soir. Son Combi, c’est chez lui, c’est son appart’. La symbolique est forte : je suis dans le lit de mon mec. J’ai la permission de minuit, je suis sa Cendrillon, il est mon prince. On ne l’a jamais fait, mais ses baisers, ses caresses et ses mots sont sans équivoque : il a envie de moi.

Il a vingt-cinq ans, je ne suis pas la première meuf qu’il déshabille ; je n’en suis pas pour autant jalouse. Ça me rassure presque, je sais qu’il saura s’y prendre. Me prendre...

Nous sommes enlacés, lovés l’un contre l’autre, nus dans son van. Il a son regard plongé dans le mien, je sens son désir, le désire aussi. Je tressaille à mesure que sa bouche me parcourt et gobe mes seins, que ses mains descendent sur mon ventre empli de papillons, que ses doigts découvrent mon intimité qu’il vient butiner de sa langue. Les battements de mon cœur s’accélèrent ; je me tords de plaisir sous ses bienfaits et découvre le paradis avec celui qui aiguise tout autant mon envie que ma peur de passer réellement à l’acte. Alors qu’il présente son sexe bandé à l’orée de mon antre, je l’interromps et lui avoue ma virginité, mon inexpérience de l’amour physique qu’il s’apprête à me faire. Il ne se moque pas, me dit qu’il ne veut en aucun cas me forcer si je ne veux pas, si je ne suis pas prête. Qu’on appréhende tous la première fois, qu’on soit garçon ou fille, même si les craintes ne se situent pas au même niveau. Il ne cesse de me caresser, de m’envelopper de douceur tandis qu’il me promet de ne pas insister au moindre signe de douleur que je manifeste. Il essaie de me détendre en m’embrassant, de tendre à nouveau son membre qu’il masturbe et frotte contre ma toison. Son pénis retrouve rapidement son érection maximale et s’enfonce progressivement en moi. Sensation de vertige inédite, les paupières à demi closes et le souffle haletant. Sa queue m’envahit, me pénètre en profondeur et débute sa danse en coulissant dans mon vagin humide. Nos bassins font corps, s’épousent à chacun de ses va-et-vient. Je gémis peut-être sans avoir trop mal, juste la respiration saccadée et le feu du désir qui brûle entre mes cuisses. Attentif au moindre soubresaut de mon corps sous son joug, soucieux de mon plaisir, Flo cherche dans mon regard l’autorisation de poursuivre ; mon signe de tête l’encourage à continuer. Ses mouvements se font alors plus amples, ses puissants coups de reins s’accélèrent à mesure que je broie ses mains, sa verge me fore et m’explore à tout rompre. Luisante de sueur, je crois que je ne touche plus terre, que je n’ai plus de voix quand nous tutoyons ensemble l’orgasme. Il jouit en moi, m’inonde ; je jouis avec lui et j’en tremble. Il me sourit, puis m’embrasse à pleine bouche avant de me dire « je t’aime » pour la première fois. Je n’ai pas quinze ans, et pourtant, cette nuit, dans ses bras, je suis devenue femme. Vraiment femme !

***

18 octobre 1991

Mes parents ont invité la famille, des amis pour fêter mon anniversaire, mais je ne suis pas là, avec eux. Parce que mon père m’a pris la tête, refuse de me voir grandir, n’accepte pas que j’aie une liaison avec un homme de dix ans mon aîné. Alors, j’ai fait le mur, je me suis barrée de chez moi pour rejoindre Flo dans son van. C’est la première fois qu’il me voit pleurer, il sèche mes larmes. Improvise un dîner en amoureux à la lueur d’une bougie de fortune. Ce n’est certes pas le Ritz, mais d’un romantisme dingue ! Aucun garçon n’a jamais fait ça pour moi. J’en suis émue, il redonne des couleurs à ma vie, me fait rire, me fait l’amour… Lovés l’un contre l’autre, il me dit qu’il a quelque chose pour moi, un cadeau qu’il sort d’un meuble accolé à son paddock. L’écrin à bijou qu’il m’offre contient un anneau d’argent tressé, gravé à nos deux prénoms et à la date du jour. Comme une alliance, une bague de fiançailles… J’en suis plus que touchée, ne sais comment le remercier d’un présent à la symbolique aussi forte : c’est une déclaration sans mot dire. Il lie les amants que nous sommes pour l’éternité. Comme ce pendentif-cœur en or blanc que je détache de mon cou pour le lui offrir en retour afin de sceller notre union clandestine. Je veux m’enfuir avec lui, parcourir le monde avec lui, je voudrais avoir dix-huit ans et ne devoir de comptes à personne. Pouvoir l’aimer en liberté…

***

1er décembre 1991

Il est parti. Mes larmes coulent et je ne les retiens pas. Mes larmes coulent parce qu’il n’est plus là, parce que j’ai trop mal. Mes larmes coulent malgré la promesse que je lui ai faite. Bien sûr que je savais qu’il allait repartir un jour, mais je pensais que notre amour était invincible, qu’il serait assez fort pour le retenir…

Pourquoi les gens que j’aime m’abandonnent-ils tous ? Jess’, et maintenant Flo…

Anéantie par ce chagrin qui me ronge de l’intérieur, c’est face à ce putain d’océan que je hurle ma douleur à tout rompre. Mais désormais, je le sais : je ne serai plus jamais amoureuse, ne serai plus jamais véliplanchiste.

***

10 décembre 1991

De colère ou de rage, j’ai coupé mes cheveux à la garçonne, me suis mise à fumer, à porter des tenues aguicheuses pour vamper les hommes. Sauf qu’à présent, ce n’est plus moi le jouet. Non, dorénavant, c’est à mon tour de mener la danse ; je ne leur laisserai plus jamais l’opportunité de me briser le cœur, me quitter. C’est moi qui romprai la première...

***

Les environs de Porto, le 2 janvier 1992

Élo, ma fleur,

Ici, l’océan est le même que celui devant lequel je campais à deux pas de chez toi, mais le temps y est plus doux, plus clément. On pourrait presque faire l’amour sur la plage…

Je t’aurais volontiers emmenée avec moi sur les routes, sauf que tu sais aussi bien que moi que c’était impossible, que tes parents nous auraient fait barrage, ton paternel surtout. Tu n’as que quinze ans, et à cet âge-là, les autres ne comprennent pas qu’on puisse déjà être femme, vouloir vivre à fond une idylle sans tabou. Ils m’accusent de détournement de mineure, comment aurais-je pu m’en défendre, rester auprès de toi et continuer à t’aimer ?

Tu sais, je porte toujours ton pendentif autour du cou, même s’il est trop féminin, même s’il est presque trop serré. Et je caresse ton visage sur les photos que j’ai prises de toi, sur la plage ou dans mon van, ta peau me manque terriblement. Et puis tes yeux, ton sourire, toi...

Je ne regrette en rien d’avoir été au secours de cette jolie véliplanchiste en perdition, d’avoir fauté avec elle parce que j’en étais amoureux – parce que je le suis toujours !

Tu es ma muse, Élo, même à plus de huit cents kilomètres de toi. Tu l’es toujours quand je compose à la guitare, quand j’écris ces textes, ces chansons que tu m’inspires. Tu l’es à jamais...

A vrai dire, je t’aime à en crever, ma fleur, et maudis ton si jeune âge de nous avoir séparés, d’avoir rendu notre amour impossible. Je suis ton Roméo, tu es ma Juliette, alors s’il te plaît, ne te laisse pas couler ni dépérir comme elle. Parce qu’il est hors de question que ton père gagne… Et hors de question que je te perde !

Porque te amo… (1)

Ton Flo

(1) : Parce que je t’aime...

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