Chapitre 14. TRY

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Le lundi, vers dix heures, je sonnai chez Kyle. Il m'ouvrit lui-même la porte, à peine quelques secondes après que j'ai retiré mon doigt du bouton. Il avait l'air si heureux de me voir, ça me gênait horriblement. Je ne savais pas si je devais en être heureuse ou si je devais en avoir honte, si je devais faire en sorte qu'il m'apprécie ou me contenter de le soutenir en lui faisant bien comprendre que c'était provisoire. Je ne savais pas trop. Si comme me l'avait prédit Gina Silver l'esprit de Wendy veillait sur moi, je n'avais qu'à me laisser aller et je ferais forcément le bon choix. Il fallait que je m'accorde une pause, que je me détende. Et Kyle était la seule personne qui m'avait rendu la bonne humeur en cette période.

- Où va-t-on aujourd'hui ? demanda-t-il.

- Je ne sais pas. On pourrait juste aller marcher quelque part, parler.

- Quelque part.

- Oui. C'est bien mieux de marcher sans savoir où on va. J'ai besoin d'un peu de hasard dans ma vie en ce moment, besoin d'arrêter de réfléchir quelques instants.

- Très bien. Allons quelque part alors.

On quitta la maison de Kyle et on partit à pied quelque part, sans réfléchir. On marchait le long des rues. Le soleil illuminait le sol, donnait des reflets clairs dans les cheveux. Les oiseaux chantaient en toute insouciance; ils n'avaient nul besoin de réfléchir aux meurtres et aux suicides des gens. Les animaux ne font pas ce genre de choses, ils laissent faire la loi de la nature. Mais la loi humaine n'est faite que de complications, nous empêche de profiter pleinement des bons moments. Wendy était bien loin, bien insouciante. Elle volait comme un oiseau. Ou, sous nos pieds, son esprit protégeait vaillamment chacun de mes pas. Elle resterait une masse légère et agréable qui habiterait éternellement mon cœur. Mais le monde, lui, me procurait de lourds poids qui écrasaient le moindre de mes rires. Je ne savais plus comment échapper à la folie. Kyle prit mon poignet.

- Tu réfléchis trop, Debbie.

- Non, je cherche à comprendre.

- Je pensais que tu voulais arrêter de réfléchir quelques instants. Je vois bien que c'est ce que tu es en train de faire. Oublie un peu tout ça, juste quelques heures.

- Aide-moi, je t'en supplie. Tout le monde va finir par me croire folle. Ma mère m'a fait voir un psychologue ! Tu te rends compte !

- Moi je ne crois pas que tu es folle. La mort de Wendy cache quelque chose. Mais, je n'aurais jamais le courage de chercher ce que c'est. Toi par contre, tu es assez courageuse pour ça. Je suis sûre que tu trouveras.

- Ça m'obsède à un point ! Je n'arrive plus à dormir, Kyle !

- Oublie ça pour cet après-midi.

- Je le voudrais, mais je n'y arrive pas. Wendy me manque tellement.

- Wendy a choisi ce qu'elle voulait faire.

- Parce que tu penses que c'était un suicide ?

- J'en suis convaincu.

- Parlons de toi alors. Tu as l'air en pleine forme. J'ai cru que tu n'allais plus sortir de chez toi un moment. Tu vas mieux.

- Oui, depuis que tu m'as sorti de ma chambre et de mes vieux habits, ça va beaucoup mieux. C'est seulement grâce à toi, Debbie.

- Je déteste les remerciements. Je me sens incapable d'aider qui que ce soit.

- Ce n'est pas plus important d'aider les vivants que les morts ?

- Si... je crois. Tu veux dire que je perds mon temps avec cette histoire concernant Wendy ?

- C'est à peu près ce que je veux dire, oui.

- Il y a une chose. Il y a une chose étrange. Je t'ai parlé de la lettre que Wendy m'a faite avant sa mort ?

- Ce qui prouve que c'est bien un suicide.

- Oui, tu as raison. Elle a écrit une chose étrange dans cette lettre. «Surtout ne cherche pas».

- Si c'était sa volonté, pourquoi t'obstines-tu à chercher ?

- Ça cache bien quelque chose ! Wendy ne me l'a pas dit de son vivant et je le regrette. Je veux savoir maintenant. C'est seulement quand je saurai que je pourrai reprendre ma vie normalement.

- Tu veux rattraper ce que tu as laissé filer avec Wendy quand elle était vivante, mais tu ne peux rien rattraper puisqu'elle est morte. On ne peut pas reprendre les choses avec les morts comme avec les vivants. Tu veux te pardonner à toi-même de ne pas avoir été présente. Mais ce n'est pas toi qui n'a pas été à la hauteur, c'est Wendy qui est restée trop secrète. Si elle ne veut pas que l'on sache son secret, je le respecte. Ça ne changera pas nos vies de savoir quoi que ce soit de plus sur la mort de Wendy, aussi mystérieuse soit-elle.

- Je n'arrive pas à croire que tu dises cela ! Wendy était...

- Parfaite. On finirait par penser que c'est toi que l'on a tuée ! Tu as trop d'admiration pour Wendy. Sa vie n'a peut-être pas été facile, et encore, j'ai de sérieux doutes là-dessus. Mais sa vie est finie et ce n'est pas une raison pour gâcher la tienne.

- Je pensais que tu aimais Wendy !

- C'était le cas, mais visiblement elle ne nous aimait pas tant que ça !

- Tu sais très bien que ce que tu dis est faux !

- C'est possible. Et toi, tu sais très bien que, quoi que tu fasses, ça ne ramènera pas Wendy à la vie. Ça ne changera rien à nos vies non plus. Ce qui est fait est fait, je pense que ça a été assez douloureux et je préfère oublier le passé.

- Tu oublies vite je trouve !

- C'est le présent qui m'intéresse, je ne vais pas vivre dans mes souvenirs. Je ne vais pas pleurer indéfiniment la mort de Wendy car elle a eut le choix et c'était sa propre décision.

- Peut-être n'a-t-elle pas eu d'autre choix.

- Tu ne peux pas le savoir Debbie; on a toujours le choix.

- J'aimais tellement Wendy, j'ai l'impression qu'un morceau de moi est mort. Je ne peux pas vivre dans l'incertitude. Ce que je veux vraiment tu sais, ce n'est pas me faire pardonner quoi que ce soit par Wendy, ou la faire revenir. Je voudrais juste me convaincre que ce n'est pas de ma faute si elle nous a quitté. Je me dis souvent que je l'ai tuée. Tu dois penser que c'est stupide. Excuse-moi d'être stupide, Kyle. J'aurais aimé que tu me comprennes.

J'explosai en sanglots sans vraiment m'en rendre compte. Kyle me serra contre lui, comme pour me dire que je n'étais pas seule. Je me sentais soudainement si étrange.

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