Chapitre 8. FOLLOW

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Le mercredi matin, je me levai de bonne heure. Je m'habillai et mis beaucoup de maquillage. J'avais l'air d'un vrai pot de peinture; ça ne me ressemblait pas du tout. Je pris mes lunettes de soleil et sortis dans la rue. Je marchai jusqu'à une boutique de déguisements. Je m'achetai une perruque blonde et l'enfilai dans la foulée. Avec le maquillage, les lunettes et la perruque j'étais méconnaissable. J'allai ensuite jusqu'à la maison des Brooks. Le jardin était entouré d'une haie et, près de la fenêtre du salon, se trouvait un buisson au feuillage épais. Je me faufilai par dessous la haie en rampant. Une fois dans le jardin, je courus le plus vite possible et m'engouffrai dans le fameux buisson. Une branche me griffa la figure et une autre le bras. Je m'accroupis entre les branches serrées et nombreuses – position très inconfortable – et je décrochai mes jumelles de mon cou. Après avoir retiré mes lunettes, je me lançai dans l'observation du salon.

La pièce était déserte, propre, blanche,... Mrs. Brooks arriva la première dans le salon. Elle prépara la table du petit déjeuner et son mari entra dans la pièce à son tour. Ils burent un café et mangèrent des croissants. La femme fit tout cela de son habituelle délicatesse. L'homme, lui, était plus rustique et brutal, inspirant plus de naturel que son épouse. Ils regardaient leur nourriture : elle, de son regard plein de tristesse; lui, avec un air grognon et meurtrier comme pour achever le croissant qu'il tenait dans son immense poing.

Quand ils eurent terminé de déjeuner, Mrs. Brooks se leva et débarrassa la table, tandis que son époux allait s'assoir dans le fauteuil en cuir. Pendant un long moment il ne se passa rien : il lisait son journal et elle avait quitté la pièce. Lorsque la femme revint, Mr. Brooks et elle entamèrent une discussion qui se transforma rapidement en dispute. L'air meurtrier de l'homme n'en était que plus évident. Sa femme faisait de grands signes avec ses bras, comme pour le calmer. Pris d'une colère incontrôlable, il lui mit une grosse gifle et elle tomba aussitôt sur le carrelage. Elle lui cria quelque chose, un mot; puis autre chose, une phrase entière. Il répondit par une phrase courte, sur un ton imposant. Elle se releva doucement et se tint devant son époux, l'air résigné. Elle lui dit quelques mots en le regardant dans les yeux et tourna les talons, les larmes aux yeux. Étrange couple, pensai-je.

Vers dix heures, Mrs. Brooks quitta la villa. Je sortis le plus discrètement possible de ma cachette et suivis la femme. Elle traversa la rue, longea le trottoir, passa devant chez moi. Elle me guida dans des ruelles glauques et entra dans un bar mal fréquenté. Je la suivis. Des hommes complètement ivres hurlaient et se battaient pour des broutilles. Je me mêlai à la foule. Ces hommes louches me dévisageaient mais restèrent en dehors de mon chemin. Je commandai un café et m'installai à une table au fond de la pièce, dans un coin sombre. Je fis semblant de lire un journal mais je ne quittais pas des yeux Mrs. Brooks. Elle s'assit au bar et but trois whiskys d'affilé. Cette femme avait vraisemblablement un problème. Elle me fit attendre une heure dans cet endroit. Enfin, après cette heure qui me parut interminable, Mrs. Brooks quitta le bar. Je comptai trente secondes après son départ et sortis à mon tour. Dehors, l'air était pur et le vent qui caressait ma peau me procurait une sensation de liberté que j'avais perdue dans les odeurs répugnantes du bar. J'aperçus la mère de Wendy qui tournait au coin de la ruelle glauque pour s'engouffrer dans une autre ruelle, encore plus glauque. Sans hésiter, je la suivis entre les lugubres bâtisses qui bordaient la route. Les vitres de leurs fenêtres étaient pour la plupart cassées et leurs murs portaient les traces de l'âge et de l'abandon. Devant une porte à moitié délabrée, une vieille femme vêtue de haillons caressait un chien d'une maigreur affligeante. Mrs. Brooks entra dans une demeure un peu plus entretenue que les autres. Je m'avançai jusqu'à la porte et vis une petite plaque métallique où il était inscrit «Cabinet Gina Silver». J'en conclu qu'il s'agissait d'un médecin. Mais une question me vint presque aussitôt à l'esprit, remettant en cause ma première supposition. Pourquoi un médecin, quelque soit son domaine, se serait-il installé dans une ruelle lugubre et abandonnée ? Ça ne pouvait pas être un médecin, ou bien il n'était pas ordinaire. Sur le côté de la maison, il y avait trois ou quatre poubelles regroupées. Je me cachai derrière les dépôts à ordures et attendis plus d'une demie heure que le femme que je suivais sorte de la bâtisse. Mrs. Brooks longea plusieurs autres rues et ruelles avant d'entrer dans un restaurant renommé de l'avenue commerçante. L'endroit était situé entre une bijouterie et une boutique de prêt-à-porter de luxe. N'ayant pas les moyens, je ne pouvais pas entrer dans le restaurant pour manger. Je pénétrai discrètement dans le bâtiment et allai rapidement m'accroupir derrière un pot avec une plante verte. Je cherchai du regard Mrs. Brooks. Elle était assise à une petite table, devant la fenêtre, et mangeait des fruits de mer. Elle salua une vieille dame et parla à deux serveurs. En dessert, elle prit une mousse à la fraise puis elle commanda un café. Quand elle eut fini son repas, elle paya l'addition, remit son manteau, saisit son sac à main et sortit du restaurant. Elle se remit à marcher dans les rues d'un pas décidé et sûre d'elle. Elle alla jusqu'au parc. C'était une sorte de grand jardin verdoyant, un espace rempli de pelouse avec de parts et d'autres quelques fleurs, arbres et quelques bancs. Il y avait un étang dans le fond et des jeux pour les enfants, une grande statue au milieu d'une fontaine dont le fond était constellé de pièces de valeurs diverses. Mrs. Brooks s'installa sur un banc pour lire et je l'observai depuis un buisson.

La filature ne m'avait pas appris grand chose jusque là. Je restai toute l'après-midi dans ma cachette, mais jamais la femme ne fit quelque chose de douteux. Un moment, elle leva la tête. Un peu plus loin, des petites filles jouaient à cache-cache. Mrs. Brooks avait les larmes aux yeux en les regardant. Cette femme m'avait toujours semblait dissimuler une certaine tristesse et la chose devenait de plus en plus évidente. Seule restait une question à laquelle je ne pouvais répondre sans plus de renseignements : pourquoi ? Pourquoi était-elle envahie d'une telle tristesse ? Je me posai longuement la question mais très peu d'hypothèses me vinrent à l'esprit et je les rejetai les unes après les autres. S'il s'agissait de la mort de sa fille, qu'elle avait peut-être tuée avec l'une de ses lames tranchantes, c'était le regret. Pourquoi aurait-elle regretté un meurtre qu'elle aurait elle-même commit ? Folle ? Humaine ? Rien ne répondait franchement à la logique. Peut-être était-elle tout simplement innocente face à la mort de Wendy et maintenant accablée par la perte de sa fille. Mais comment expliquer alors la présence des couteaux ? Ce n'était peut-être qu'un bien familial hérité, ou bien d'autres choses auxquelles je n'avais songé. Et cette histoire de roses, tous les mardis, à la même heure. Cela était aussi intrigant. Était-ce une simple habitude, organisation, ou un étrange rituel ? Et cette villa si parfaite. J'avais appris avec Wendy que rien n'était parfait et que tout ce qui le semblait cachait un aspect diabolique. Cette villa, Andie l'avait également dit, avait quelque chose d'effrayant. Et Andie. Andie avait forcément quelque chose à voir avec cette histoire. Sinon elle espionnait les Brooks, comme me l'avait montré l'orientation du télescope. Tout me laissait penser que ce n'était jamais les étoiles qu'elle avait observé mais ses voisins. C'était une chose tout à fait probable.

Alors que j'étais plongée dans ces réflexions, Mrs. Brooks se leva de son banc et s'en alla. Il était passé dix-sept heures. Je la suivis. Elle rentra chez elle. Rien de suspect, je n'avais rien vu de suspect. Perdant la femme de vue quand elle entra dans la villa, je décidai d'aller voir chez Andie se qui se passerait ensuite.

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