Lucien

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La jeune fille serra ses genoux contre sa poitrine, tentant d’étouffer ses sanglots.

Depuis ce fichu cours de maths, le corbeau était devenu fou. Les voyages ne se limitaient plus qu’à son année de première et aux quelques mois qui précédaient son présent.

Et, dans presque chacun d’eux, elle croisait le fantôme. Cette silhouette vide mais à chaque voyage un peu plus réelle, qui la mettait dans tous ses états.

Les rares fois où elle ne le rencontrait pas, ce satané volatile l’emmenait immédiatement à un autre instant et elle se retrouvait à côtoyer cette chose qui la terrifiait, l’attirait, la fascinait.

Elle ne comprenait pas.

La raison de ces voyages temporels se cachait-elle dans ce fantôme ? Mais alors, pourquoi tant de confusion ?

Elle enfonça la tête dans ses genoux. Elle trouvait cette aventure hors du Temps excitante, cependant, maintenant, elle ne désirait plus qu’une chose : que tout cesse. Que le corbeau disparaisse. Qu’elle reprenne sa vie là où elle l’avait laissée.

— Léandre est un imbécile.

Alice releva la tête et croisa pour la première fois le regard du fantôme. Un regard vert très doux. Il était accroupi devant elle (ou du moins, au vu des plis de ses contours flous, supposa-t-elle qu’il était accroupi) et l’observait.

— Pardon ?

Elle était presque sûre que c’était lui qui avait parlé : il n’y avait personne à part le fantôme et elle dans le couloir. Même si parler sans bouche relevait de l’exploit.

— Il a été odieux avec toi. Tu n’as pas à pleurer pour…

— Je ne pleurs pas ! le coupa-t-elle, soudain furibonde.

Depuis toute petite, elle avait horreur que les gens la voient pleurer.

Alice essuya rageusement ses larmes avec le revers d’une manche.

Stupide fantôme qui l’avait trouvée.

Stupide corbeau qui l’avait ramenée en cet après-midi d’automne où Léandre, le garçon dont elle était amoureuse, lui avait dit des horreurs. « Tu es laide, personne ne t’aimera jamais ».

— Vas-t-en… fit-elle à l’intention de la silhouette immatérielle.

— Alice, je…

— Du balai !

Deux courants d’air l’enlacèrent tendrement. Une odeur de gel pour les cheveux envahit ses narines. Une sensation délicate sur ses lèvres.

D’autres lèvres.

Celles du fantôme.

Un fantôme qui, de seconde en seconde, devenait plus consistant. D’abord, sa silhouette se confirma : des bras, des jambes, un visage. Puis elle se colora : des cheveux blonds foncés, une peau claire, un t-shirt blanc, un jean délavé, des baskets noires.

Ce n’était plus de l’air compressé qui la serrait. C’était des bras plein de chaleur.

Ce n’était plus un fantôme qui l’embrassait. C’était un adolescent. Un adolescent de sa classe. Un adolescent s’appelant…

— Lucien ? souffla-t-elle contre les lèvres de l’apparition.

Le jeune homme mit fin à leur baiser, recula son visage du sien, juste ce qu’il fallait pour la regarder dans les yeux sans loucher. Ses pommettes étaient rouges et il avait un air embarrassé, mais ses prunelles brûlaient de détermination.

— Je t’aime, Alice.

— Lucien…

Elle était incapable de dire autre chose. Elle l’avait oublié ! Elle avait oublié Lucien, ce garçon timide avec lequel elle sortait depuis…

Son sang se glaça dans ses veines. Non, c’était impossible, quelque chose clochait. Elle se souvenait de Lucien, oui, mais…

Pourquoi ne fait-il pas partie de mon présent ? Comment ai-je pu l’oublier, alors que je me souviens que nous sortons ensemble depuis la première et que je suis certaine que c’est toujours le cas en terminale ? On peut peut-être oublier le passé… mais pas le présent !

« Flap-flap » firent des ailes de jais quelque part dans le couloir. Et tout devint blanc.

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