Le fantôme

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Alice s’étira et, délaissant ses exercices de maths, regarda à travers la fenêtre.

Le vert sombre des sapins entourant le lycée se découpait sur le bleu du ciel. Quelques nuages passaient au ralenti.

Mais la jeune fille ne voyait que le corbeau, posté sur l’une des branches d’un des conifères. Sa silhouette noire et voûtée ne semblait pas à sa place, dans la joyeuse lumière de ce jour ensoleillé.

Je devrais peut-être lui trouver un nom… pensa-t-elle distraitement.

Elle laissa son esprit divaguer. « Noir » était trop classique, « Sinistre » faisait déprimant, « Hector » c’était pourri…

Et pourquoi pas Croassant ?

Le sourire d’Alice s’élargit. Pour un corbeau, c’était très commun, mais…

Son sourire se figea. Elle n’avait jamais entendu son corbeau croasser. Il volait, lui fonçait dessus, la transportait dans le Temps, la surveillait et demeurait toujours silencieux.

Troublée, elle détourna les yeux de la fenêtre et promena son regard sur ses camarades de première.

Après avoir revécu la sortie au parc d’attraction, le corbeau l’avait amenée ici, durant une heure de mathématiques, un peu moins d’un an dans le passé.

Elle examina son ancienne classe, Maurice et ses cheveux en pétards, Lauria avec ses stylos de toutes les couleurs… Leur professeur était assis à son bureau, le nez plongé dans les copies de ses élèves de seconde. Il leur avait ordonné de faire trois pages d’exercices, laissant entendre qu’il ramasserait quelques travaux. Alice savait qu’elle ne compterait pas parmi les malchanceux, aussi n’en était-elle qu’à la moitié de la première page.

Une fois de plus, son esprit revient sur l’utilité de ces voyages dans le Temps. Devait-elle changer quelque chose ? Modifier le passé à un moment précis ? Non, elle pressentait que ce n’était pas cela. Elle ne devait rien changer du tout. Alors quoi ?

Son regard revient vers le corbeau.

Qu’attends-tu de moi ? l’interrogea-t-elle mentalement.

Bien sûr, elle n’eut aucune réponse. Elle n’était pas télépathe, après tout.

Mais bon, comme il me fait voyager dans le Temps, il aurait pu l’être, lui.

Elle tourna la tête et observa à nouveau ses camarades.

La 1ère L comportait vingt-sept élèves qui, ce matin-là, étaient tous présents. La salle de maths étant dotée de trente places, trois restaient inoccupées, une à côté d’elle, une autre deux rangées devant elle, à droite d’Antoine et une au fond, sur la même rangée qu’elle mais à l’opposé, contre le mur.

Ce fut sur celle-ci qu’elle s’attarda. Elle fixa la chaise vide, espérant tromper son ennui et apaiser ses tourments. Alice tressaillit soudain.

Non, la chaise n’était pas vide.

En se concentrant, elle parvenait à distinguer une silhouette… non, moins qu’une silhouette, il s’agissait plus d’une distorsion de l’air qui dessinait le contour vague d’un être humain. Mais c’était si faible que, si elle n’y avait pas fait attention, elle ne l’aurait pas vu. Le cœur de la jeune fille s’emballa, son estomac se noua et elle ressentit un mélange confus d’émotions qu’elle ne put pas identifier.



Le corbeau s’envola. Quelque chose venait de troubler l’esprit de sa proie.

Il fonça vers la fenêtre derrière laquelle se tenait la jeune fille et fit du surplace devant. Alice ne le regardait pas. Elle lui tournait le dos.

Il se décala un peu à droite puis un peu à gauche, examinant attentivement la salle de classe. Et il la vit enfin. Cette absence qui occupait la place du fond.

Le corbeau jubila. Il lui restait très peu de temps, mais ce serait suffisant. Sa proie ne lui échapperait pas.

D’un battement, il décolora cette belle matinée. Le blanc s’étendit, les bruits devinrent silence et tout se pétrifia. D’un second battement il traversa le verre qui ondula à son passage. Il tournoya au-dessus d’Alice et s’en fut par la porte de la pièce laissée ouverte. Il n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qu’elle le suivait.

« Flap-flap » faisaient ses ailes dans le calme immaculé.

« Tap-tap » leur répondaient les pas de l’adolescente.

Il descendit des escaliers, franchit un vaste hall et entraîna sa proie dans la cour. Enfin il créa une brèche, précédant Alice à un autre moment de sa courte existence.

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