Le Parc d'attractions 

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L’oiseau s’envola. La branche sur laquelle il était perché oscilla, délestée de son poids. Il descendit vers elle, lentement.

— Alice ?

C’était Manon qui venait de parler. Comme d’habitude en ce temps-là, Alice et elle rentraient du collège ensemble.

— Alice, sérieux, c’est pas drôle ! insista son amie.

Sa phrase fut absorbée par le silence. Une vibration traversa l’air, comme un mouvement sous l’eau. Elle détacha son regard du corbeau. Manon, le parc, tout était devenu blanc et figé. La voilà repartie dans le Temps. Un immense sourire fendit son visage de collégienne.

Le corbeau plongea devant elle et partit en vol plané. Alice le suivit.

Au début, elle ne comprenait rien et était vraiment effrayée. Elle avait peur de ce monde blanc, du silence qui y régnait. Mais il y avait le corbeau. De lui, elle n’avait pas peur. Au contraire, sa présence la rassurait.

Son guide à plumes bifurqua subitement à gauche, dans ce qui ressemblait à une ruelle. Avec toute cette blancheur, les formes étaient moins précises, impossible de se repérer. Sans le corbeau, la jeune fille se serait perdue. Une des deux raisons pour lesquelles elle le suivait. La seconde étant une force irrésistible qu’elle assimilait à de la curiosité. Où l’emmenait-il, cette fois ? Pourquoi la guidait-il ? Des questions auxquelles elle voulait désespérément répondre.

L’oiseau accéléra. Alice en fit de même.

Le voile blanc se déchira devant eux. Le corbeau sembla se volatiliser et elle se retrouva dans la nacelle d’une grande roue, lors d’une belle soirée d’été, dans le corps d’une fillette de neuf ans.

Le corbeau se posa sur un lampadaire voisin de la grande roue.

Le soir tombait. La lumière artificielle des réverbères éclairait les allées du parc d’attraction. La roue, les manèges, les auto-tamponneuses et les montagnes russes diffusaient leurs propres éclats, via des spots ou des ampoules colorés imbriqués directement dans leurs structures. Des rires, des cris, des bavardages s’enchevêtraient.

L’oiseau fixa Alice. Assise toute seule à une nacelle, revenue à l’âge de neuf ans, elle contemplait les alentours avec intérêt.

Le corbeau hérissa ses plumes. Vingt-neuvième voyage. Bientôt le délai serait écoulé. Et Alice ne montrait toujours aucun signe de conscience. Pire, lui-même n’avait rien remarqué qui le mettrait sur la piste.

Le volatile frémit. Il avait encore le temps. Il devait simplement l’utiliser à bon escient.

L’oiseau observait Alice, espérant que cet instant du passé lui offre un indice. Mais la roue continuait de tourner, lentement. Et rien ne se produisait.

Après ce qui lui parut un siècle, Alice descendit de la roue. Il s’envola et la suivit. Les battements de ses ailes étaient couverts par le tumulte ambiant.

Une femme à robe rouge attrapa soudain la fillette par le bras et la gronda. L’oiseau se percha non loin, sur une poubelle. Des brides de conversations lui parvinrent au-delà des cris, des bruits de chaussures sur le bitume et des gloussements.

— Alice ! Où… tu ?

— Maman, …étais… grande roue.

— Ne refais jamais ça ! … tu comprends ?

Le corbeau fit crisser ses serres sur le plastique de la poubelle. Une banale sortie en famille. Un souvenir sans importance. Il hésita quand même : devait-il mettre fin à ce voyage ou cela valait-il le coup d’attendre ? Il finit par se résoudre à le prolonger. Il ne devait pas se montrer impatient. Il devait trouver la clef de l’énigme. Avant que le présent n’emporte la réponse et ne scelle le destin de sa proie.

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