Novembre (1) - Penny

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[...] 

 

[Penny]


J’ai toujours détesté le mois de Novembre. Le temps est gris, il pleut sans arrêt et il fait froid. Les gens ont l’air tellement déprimé que c’est parfois à se tirer une balle rien que de les regarder vivre. Au boulot, mon chef tient absolument à boucler tous les dossiers de l’année avant la trêve de Noël. On avait tellement de taf qu’on finissait par manger à nos bureaux et à caler des rendez-vous chez les clients à des heures sûrement désapprouvées par l’inspection du travail.

Pour finir, les administrations chargées de traiter nos demandes de subventions pour LDE ne donnaient aucune information sur le sujet. J’avais bien essayé de rencontrer des acteurs institutionnels pour avoir plus d’information sur le sujet, mais avec toute l’amabilité qu’un fonctionnaire aigri pouvait avoir en ce mois de Novembre pluvieux, on m’a clairement fait comprendre qu’on ne pouvait rien me dire avant janvier prochain. On m’avait aussi fait clairement comprendre que cela ne servait absolument à rien de mettre la pression, sous peine de voir son dossier déplacer au bas de la pile.

En résumé, selon moi, Novembre ne servait absolument à rien, sauf à me faire stresser et à augmenter ma frustration sur nos problèmes financiers. A me donner l’impression que je n’avançais dans rien et que je ne servais absolument à rien. Ce qui était sûrement le cas au final.

L’euphorie de la victoire de l’équipe de foot senior sur Grenoble était aussi rapidement retombée. Il fallait préparer la suite du tournoi et mes amis avaient repris les entraînements intensifs. Vince, Medi et Bak m’avaient aussi confirmé que le coach n’était plus aussi sympa qu’avant le match contre Grenoble, il était redevenu l’entraîneur gueulard et jamais content que l’équipe senior avait toujours connu. L’effet novembre je vous dis. Mais personne ne voulait me croire.

 

Un vendredi soir, après une exceptionnelle journée courte (8h-18h), je me rendis dans les locaux de LDE pour faire un peu de rangement dans nos archives. Cela n’avait plus été fait depuis au moins un an. Et un an au sein d’une association comme la nôtre pouvait ressemblait à une éternité. Et puis, j’aimais bien ranger les archives, regarder les photos des évènements passés, voir les changements entrepris depuis la création de l’asso. Ça me permettait aussi d’être seule, au calme et de faire des trucs que je me retenais de faire en public : comme chanter et danser avec mon IPod à fond dans les oreilles. Si quelqu’un me découvrait, je n’aurais plus de dignité et je m’exilerai au bout du monde en changeant d’identité.

La salle des archives se trouvait au second étage de notre bâtiment, juste en face de la bibliothèque/salle informatique. A la création de l’association, les fondateurs l’avaient installée au sous-sol. Mais quand Frank a pris la présidence de LDE, il l’a faite déménager au second étage, un lieu moins sombre et sordide, sachant qu’on avait régulièrement besoin d’y consulter des documents. Au sous-sol, on entreposait désormais le vieux matériel sportif dont on n’arrivait pas à se débarrasser, le temps que le camion des encombrants ne pointe le bout de son nez.

La baie vitrée de la salle des archives donnaient directement sur le terrain d’entraînement de football. Je m’assis à la table en face de la fenêtre qui donnait sur le terrain de football. Malgré la pluie fine et froide qui tombait sans cesse depuis ce matin, l’entraînement des poussins n’avait pas été annulé. Malheureusement pour lui, Bakary  se retrouvait seul pour entrainer, Paul avait du aller en urgence dans sa famille suite au décès de son grand-père.

Je le regardai s’occuper des petits qui devaient probablement se plaindre de devoir s’entraîner sous cette météo de rêve. Je ne pus m’empêcher de sourire. Puis de rougir. Et d’agiter la tête en essayant de chasser les pensées qui se bousculaient dans mon cerveau. Ce n’était pas la première fois que je mettais à penser à Bakary de cette façon, disons, non amicale.

 

La première fois que c’était arrivé, j’étais encore en couple avec Luc, au moment où je commençais à me poser des questions sur notre relation. Je m’éloignais progressivement de Luc, comme si nous commencions à vivre dans deux mondes parallèles. Pourtant, mon ex-copain ne semblait pas s’en apercevoir alors que j’avais l’impression que c’était gros comme une maison.

Une petite voix en moi me disait d’arrêter les frais car je ne trouvais plus aucun plaisir à être en présence de Luc, que ce soit émotionnellement ou physiquement. Mon cerveau, en revanche, était obstiné et tenait à ce que les choses fonctionnent car il n’aimait pas l’échec. Je me persuadais que Luc était l’homme idéal pour moi : il plaisait à mes parents tout bonnement.

Avec le recul, et même s’il m’avait fallu du temps pour l’admettre, ce type n’était qu’une pauvre merde gâtée par ses parents et qui pensait que tout lui était dû. Moi incluse.

J’ai commencé à vraiment sentir la fin venir en avril dernier, trois mois avant qu’on ne se sépare, quand je me suis rendue compte que je ne pouvais pas m’empêcher de dévorer Bakary des yeux. J’en étais venue à faire exprès de me pointer à la fin de leur entraînement de foot quand il se mettait torse nu. A ce moment-là, je me persuadais que je le trouvais sexy, comme je trouvais le footballeur Mathieu Debuchy sexy.

Progressivement, je me suis aperçue que je préférais clairement passer du temps avec lui plutôt qu’avec Luc. Bakary me mettait à l’aise, je me sentais respectée et appréciée pour ce que j’étais. Au contraire, je me sentais souvent comme une sous-merde quand Luc me parlait : il pensait avoir la science infuse et me demandait parfois de me comporter d’une certaine manière en public. Et surtout, il appréciait de moins en moins que je parle de LDE, parce que LDE représentait Vincent, Medi et Bakary, des « menaces » qui pourraient lui piquer ce qui lui appartenait.

Malgré cela, je faisais comme si mon cerveau et mes tripes ne m’envoyaient pas de signaux clairs et précis.

Les choses avaient failli déraper lors d’une soirée pendant l’été. Une de nos amis avait organisé un barbecue chez elle et durant la soirée, je m’étais retrouvée seule avec Bakary sur son balcon. Le courant passait vraiment bien entre nous. Puis il y a eu ce court moment de flottement où on s’est regardés sans rien dire.

Medi est arrivé pile au moment où mon estomac me hurlait d’embrasser Bak. Il ne s’est rien passé mais les choses étaient devenues claires : Luc faisait désormais parti du passé. Je ne pouvais pas mettre ca sur le compte de l’alcool – et pour cause j’étais le Sam de la bande.

Une énième dispute avec Luc au sujet de l’amitié « fille-garçon » fut la raison parfaite pour rompre avec lui. J’en avais marre qu’il remette ma relation avec mes trois amis en question et qu’il ne me fasse pas confiance.

Au moment où je lui avais dit cela, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir coupable parce que j’étais attirée par Bakary pour une raison x ou y. Mais ma culpabilité s’est dissipée au moment où Luc, blessé dans son ego, me balança :

- Ben vas t’en alors, tu crois que tu es irremplaçable ou quoi ? Je mérite mieux qu’une fille qui ne se respecte pas en trainant avec des racailles.

Je pense que cette phrase, il l’avait bien gardé au chaud. Je n’ai rien répondu, certes blessée mais surtout soulagée de voir que je prenais la bonne décision. Je l’ai juste regardé d’un air méprisant et je suis partie sans demander mon reste.

Par culpabilité, je n’ai pas osé le dire à Bakary tout de suite. Je suis partie en vacances avec Vince et Medi en me disant que tout se dissiperait à mon retour. Que Bak n’avait été qu’un simple « réveil ».

Cependant au retour de vacances, je n’avais qu’une seule envie : c’était de le revoir et de passer du temps en sa compagnie.

Au final, je ne savais pas vraiment ce que Bakary pensait de moi. Je veux dire, je savais qu’il m’appréciait beaucoup en tant que meilleure amie, mais je me disais qu’un mec aussi attirant, gentil, intelligent et pas prise de tête ne pouvait pas être intéressé par une fille torturée et introvertie comme moi. J’avais l’air tout droit sortie d’un couvent et je ne savais pas vraiment flirter avec les mecs. Je ne me trouvais pas assez bien pour lui et je pensais avoir mérité Luc. Gros manque de confiance en soi, bonjour.

 

Ce jour là ne changeait pas des autres : je me contentais de regarder Bak de ma salle d’archives, à me demander si c’était vraiment une bonne idée d’être attirée par quelqu’un supposé être ton meilleur ami. Car dès que le cap est franchi, tout le monde s’accorderait à dire que c’est la preuve que l’amitié mixte ne marche pas – quand bien même je connais Medi et Vincent depuis plus de dix ans et jamais ça ne nous a traversés l’esprit de sortir les uns avec les autres.

Je remarquai que Bakary n’était pas vraiment concentré sur ce que faisait les enfants. Certains faisaient des fautes et il ne sifflait pas. Un enfant en tacla un autre violemment et Bak ne fut alerté que lorsque le deuxième enfant se mit à pleurer.

Je me demandai ce qui pouvait bien le distraire à ce point et jetai un coup d’œil dans les gradins. Il y avait bien quelques parents, mais nos entraîneurs étaient habitués à leur présence. Je remarquai une fille noire assise seule dans son coin qui jouait avec son téléphone portable. Je ressentis ce petit pincement au cœur comme à chaque fois que je soupçonne quelqu’un d’être la fille qui intéresse Bak. Je soupirai et tentai de me reconcentrer sur mon travail.

Finalement, je vis du coin de l’œil Bakary arrêter l’entraînement plus tôt que prévu. Lorsque les enfants eurent quitté le terrain, Bakary se retrouva seul à ramasser le matériel. La fille isolée dans les gradins était arrivée sur la pelouse synthétique et se dirigea vers mon ami. Elle lui tapota l’épaule, mais il ne se retourna pas et continua de ranger le matériel. Visiblement agacée, la fille le força à se retourner.  Bakary lui lança ce qui semblait être un « quoi ?! » énervé et fit tomber les plots qu’il tenait dans ses mains. Les deux se mirent à se disputer avec de grands gestes.

J’avais l’impression de me mêler de ce qui ne me regardait pas, mais je ne pouvais pas m’empêcher de regarder la scène. Je n’avais jamais vu Bak aussi en colère, alors qu’il avait déjà eu une vive altercation avec mon ex-copain devant moi. Qui était cette fille ? Une ex-copine qui lui avait fait du mal ? Ce qui voulait dire qu’il ne nous en avait pas parlé, ce qui n’a pas de sens parce qu’on se dit tout tous les quatre. Et si je demandais à Vince ? Mais pourquoi ça me posait tant de problème que ça d’ailleurs ? Bakary avait eu une vie avant de nous connaître et rien ne l’obligeait à tout nous raconter, hein?

 

Finalement la fille s’en alla, laissant Bakary les bras ballants, ruisselant de pluie. J’avais envie de le rejoindre mais je n’osais pas bouger de mon poste.

Soudainement il leva la tête dans ma direction et par réflexe baissais la tête et fis semblant de continuer à ranger, le feu aux joues. Je n’osai pas relever la tête pendant un bon quart d’heure. Lorsque je jetai de nouveau un regard rapide par la fenêtre, plus personne n’était présent sur le terrain.

Je me mis à regretter d’être aussi lâche et une amie de merde.  

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