Octobre (2) - Bakary

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Bakary

[...]


Je n’étais vraiment pas du genre à stresser avant les examens ou les matchs. Tout est une question de boulot et d’entraînement: y a aucune raison de se planter si t’es sérieux et régulier dans ton taf, point. Vince et Medi pensaient comme moi. La grosse stressée de la vie, c’était Penelope : elle angoissait pour rien, se posait des questions sur tout et bossait comme une tarée pour être sûre de ne pas se planter. Elle culpabilisait quand elle glandait ne serait-ce que cinq minutes !  Alors que bon, fallait pas sortir de Polytechnique pour se rendre compte qu’elle est douée et intelligente. Je lui disais tout le temps de se détendre le fion et ca la faisait marrer plus qu’autre chose. Et trente secondes après, elle se remettait à se torturer le cerveau et à se dire qu’elle n’en faisait pas assez. Mais pas assez pour quoi ? C’est la question à laquelle personne n’a jamais été capable de répondre.  

 

Bref, le jour du match contre Grenoble, tout le monde semblait détendu sauf moi cette fois. Depuis l’annonce du coach, j’avais l’impression que la pression augmentait de jour en jour et que j’allais péter un boulard une fois sur le terrain. L’après-match me semblait tellement loin et j’avais des nœuds dans le ventre, le truc qui ne m’était quasiment jamais arrivé.

Notre match se jouait « à domicile », à savoir au Parc des Princes et pas dans notre petit stade de quartier qui avait à peine une capacité de 500 personnes. On ne savait pas vraiment comment notre coach avait convaincu les instances du club de nous laisser fouler leur pelouse, mais on lui en serait reconnaissant probablement éternellement. Si on m’avait dit un jour que je jouerai au Parc des Princes, je me serais sûrement tapé des barres et foutu de la gueule du mec qui m’aurait balancé ca !

Quand on était rentré dans les vestiaires avec l’équipe, on était tout fou comme des mômes. Le PSG avait pris soin de laisser les maillots accrochés au dessus des bancs pour nous en mettre plein la vue et aussi con que cela puisse paraître, ca avait marché.


Le match ne commençait qu’à 18h, mais le coach avait accepté qu’on arrive au stade dès le début de l’après-midi histoire de se familiariser avec – et d’admirer – les lieux.

A 17h, j’avais demandé aux gars de l’équipe de me laisser seul un moment dans les vestiaires. J’avais besoin de calme pour me remettre les idées en place et pour déstresser. Les entendre encore parler de l’attaque de feu et de la défense en béton de Grenoble commençait à me rendre complètement cinglé.

 

J’avais déjà enfilé mon maillot et mon short noirs. Pour le tournoi, on avait fait floqué nos maillots et le logo de LDE était carrément cousu sur le devant du t-shirt, contrairement au vieux transfert habituel. Je finis de fixer mes protège-tibias et de nouer mes lacets et mon regard s’arrêta sur le maillot du PSG qui flottait au dessus du banc en face du mien.

C’était celui de Blaise Matuidi. Milieu de terrain incontournable du PSG et de l’équipe de France formé en partie par l’ESTAC et passé par l’ASSE. Un an de plus que moi.

Mon parcours sportif aurait pu être (quasi-)identique sans l’accident et sans cette flipette de médecin qui m’avait refusé mon opération du genou. A 14 ans, j’ai fait une mauvaise chute à cause d’un tacle traître et mon genou gauche a pris cher. A l’hôpital, le médecin m’a ausculté en vitesse et a conclu que mon genou était foutu et que je pouvais faire une croix sur mon avenir de sportif de haut niveau. Je n’y ai d’abord pas cru et j’ai insisté pour avoir un deuxième avis, mais tout le monde à l’hosto était catégorique : une opération n’apporterait rien de bon. Alors, j’ai fini par y croire. J’ai tiré un trait sur mes rêves sportifs alors que j’étais dans les meilleurs espoirs de mon équipe et que des recruteurs commençaient enfin à s’intéresser à moi. Surtout, je n’avais aucune idée à ce moment là de ce que j’allais faire de ma vie, personne n’avait été là pour me soutenir quand mon rêve s’était écroulé.     

Huit ans plus tard, j’ai intégré l’équipe de foot de LDE et pendant ma visite médicale, j’ai demandé au médecin ce qu’il pensait de mon genou gauche. Il a lâché une bombe :

- Pour être honnête avec toi Bakary, je ne comprends pas pourquoi tu n’as pas été opéré sur le champ. D’après ce que tu m’as dit et ce que je vois, ta blessure était grave mais pas irréversible. Une opération en temps et en heure et une bonne rééducation dans un centre spécialisé pour sportif de haut niveau auraient amplement suffi pour te rendre toutes tes capacités physiques.

Je me souviens encore de ma réaction, c’était comme si le mec venait de me parler chinois. Je lui ai alors demandé de répéter une nouvelle fois. Et il a répété la même chose, mais cette fois avec une certaine appréhension. Il ne savait pas si j’allais réagir violemment ou pas, mais j’étais clairement en pétard. Après un énorme silence pendant lequel j’avais juste regardé par la fenêtre sans rien dire en serrant les poings, le médecin me donna une tape qu’il voulait affectueuse sur l’épaule pour tenter de me consoler et il me promit qu’il irait s’informer auprès de l’hôpital pour savoir pourquoi ces cons m’avaient laissé en plan.

Quelques jours plus tard, il me dit que l’hôpital avait reçu pour ordre de refuser les grosses opérations venant de notre club car ils avaient peur de ne pas se faire payer. Il y avait déjà eu des défauts de paiement par le passé et l’hosto avait décidé de ne plus faire confiance à mon club malgré la nouvelle direction et les garanties offertes par la mairie, la région et le département.

Au moment de cette annonce, j’ai juste eu envie de faire une descente dans cet hosto de merde et de défoncer son directeur. Mais je me suis contenté de squatter la salle de boxe de LDE tous les soirs pendant les trois mois qui ont suivi. J’avais imprimé la photo du directeur de l’hôpital et l’avait scotchée sur un punching-ball.

Avec le recul, j’aurais préféré ne rien savoir pour ne pas avoir à vivre avec une raison supplémentaire d’avoir la rage, d’être plein de regrets et surtout de ne pas à être encore plus méfiant vis-à-vis de l’administration publique. Cette histoire me hantait encore 14 ans après et le souvenir pointait le bout de son nez dans des situations toujours délicates. Comme ce jour-là.     

 

En repensant à cet épisode foireux, je fermai les yeux et me pris la tête dans les mains, agitant ma jambe comme un gros stressé de la vie. Je n’étais pas malheureux en soi. J’avais eu une enfance et une adolescence merdique, mais il y avait eu une nette amélioration depuis que j’avais intégré les études supérieures. Mais entendre quelques années plus tard que ton enfance aurait pu être beaucoup plus agréable que ce que t’as connu et que ton rêve aurait pu être à portée de main, ça te fout un peu la haine quand même. Mais bon, ce qui était fait était fait. Et si les choses avaient tourné autrement, je n’aurais probablement pas rencontré Vince et Medi. Et surtout Penelope.  

 

J’entendis la porte du vestiaire s’ouvrir. Je respirai un grand coup au cas où c’était l’entraîneur qui venait me briefer une dernière fois et me redressait sur mon siège. Mais c’était Penny.

Elle portait un jean blanc, le maillot de notre équipe au dessus de sa veste, la célèbre écharpe noire et blanche LDE. Sur sa pommette gauche, elle avait dessiné le logo de l’asso et elle transportait un mégaphone noir et blanc. La panoplie de la parfaite supporter.

Elle me fit un petit signe de la main, son éternel petit sourire aux lèvres, et s’assit à côté de moi. Je lui demandai :

- Tu viens me foutre la pression avec ton accoutrement ? 

- Exactement.

Elle posa le mégaphone sur ses genoux et me regarda un moment sans rien dire et je sentis mes joues s’échauffer. Le côté pratique d’avoir la peau noire, c’est que les gens ne percutent pas quand tu rougis.

A chaque fois qu’elle me regardait comme ça, j’avais l’impression que Penny pouvait lire dans mes pensées. Elle sourit en penchant légèrement la tête sur le côté et me dit sur un ton amusé :  

-  A te voir aussi stressé, tout porte à croire que tu es le capitaine. Quoique Vince est peut-être un peu trop détendu pour être le capitaine au final.

J’haussai les épaules, un peu crispé, et regardai mes pieds pour ne pas qu’elle voit ma gêne. Je savais que mon stress ne rassurait pas Vince et le reste de l’équipe. Ce qui au final augmentait mon stress, créant un cercle vicieux qui ne se briserait qu’une fois sur le terrain – du moins je l’espérais.

Penny me sortit de mes pensées à nouveau :

- Tout le monde sait que tu es un excellent joueur, peu importe ton poste.

Je me tournai vers elle et voulut répondre quelque chose, mais rien ne put sortir quand elle posa sa main sur mon poignet. La vache, je ne savais pas qu’une personne pouvait me faire autant d’effet.

- Ne te mets pas autant la pression. Si votre coach a décidé de tous ces changements, c’est qu’il sait que c’est la meilleure réponse possible contre Grenoble. Tu ne penses pas ?

Sa voix était douce, apaisante. Son regard bleu profond, protecteur. J’en devenais presque poète.

Je portai mon regard de nouveau sur le maillot de Matuidi et répondis :

- Si bien sûr… mais ça m’empêche pas de faire encore des perfs irrégulières à mon nouveau poste et je sais que ca en frustre pas mal, dont le coach. Surtout qu’il y a 5 000 boules à la clé.

Penelope soupira, visiblement ennuyée par ma réponse. Ou une partie d’entre elle. Elle retira – malheureusement – sa main de mon poignet et tripota son mégaphone, sans me regarder. Finalement, elle dit :

- Tu veux savoir un truc ? J’étais en colère quand j’ai appris ce que votre coach avait décidé. Par fierté, parce que ca m’a donné l’impression de mal faire mon boulot de vice-présidente. Mais aussi par culpabilité. Ce foutu tournoi vous rajoute une pression énorme et j’ai l’impression que c’est de notre faute, à Frank et moi.

Je voulus répondre quelque chose mais elle m’en empêcha, parlant à une vitesse de dingue :

- Mais au final, penser comme ca, c’est égoïste de ma part. Je ramène tout à moi alors qu’au fond ce tournoi, c’est une putain de chance pour vous de montrer à des pros et à votre entourage ce que vous valez. Ça n’a rien à voir avec les problèmes financiers de LDE ! Alors s’il y a une chose que vous devez faire, c’est ne pas penser aux cinq mille euros et vous donner à fond.

Pendant qu’elle reprenait son souffle, je tentai une nouvelle fois d’en placer une mais elle me coupa de nouveau dans mon élan pour s’excuser une nouvelle fois. Je ne voyais pas vraiment de quoi elle devait s’excuser, parce que ni le coach ni moi ne pensions que Frank et elle faisaient mal leur taf. Le coach aimait juste se lancer des défis de merde et celui là allait nous rapporter du pèse. Point.

Je me mis à rigoler et Penny rougit. Elle se mit à bafouiller : « Quoi ? Ben quoi ? » en me donnant des tapes sur l’épaule. Je me calmai pour répondre :    

- Tu te poses vraiment des questions sur tout et n’importe quoi hein ? Arrête de te remettre en question pour si peu. Le coach est juste un emmerdeur qui saisit la première occasion pour nous faire bien chier. Et je trouve que Frank et toi faîtes un boulot formidable. Attends, tu ne serais plus à ton poste si tu faisais de la merde. Alors arrête de voir le mal où y a rien.

Elle eut un sourire embarrassé et regarda sa montre.

- Ca va être bientôt l’heure, dit elle en se levant.

- Tu sais quoi ? Tu as fait une supère chose là. Grâce à toi, je suis moins stressé. Alors, tu vois, tu fais bien ton taf.

Elle eut un petit rire. Je savais que Vince et Medi l’avait envoyée en mission. Ça me faisait sacrément plaisir au final.

Je me levai à mon tour et elle me prit dans ses bras. Je savais que c’était juste un câlin d’encouragement mais cela me donna la chair de poule et je sentis mes bras balloter maladroitement le long de mon corps. Une partie de moi avait une folle envie de l’embrasser mais je restai civilisé :

- Merci pour les encouragements Penny. T’inquiète, ca va aller.

Elle me lâcha et me regarda en souriant, rassurée. Je sentais encore la chaleur de son corps contre le mien.

Elle reprit son mégaphone et se dirigea vers la sortie du vestiaire après m’avoir fait un petit signe de la main. Je le regardai partir. Et bien sûr je n’ai pas pu m’empêcher de confirmer une nouvelle fois que son jean blanc lui allait grave bien. 


Quelques minutes après m’être rincé un peu l’œil et avoir culpabilisé, le reste de l’équipe me rejoignit dans les vestiaires pour le speech final du coach. Medi se posa à côté de moi et enfila ses protège-tibias.

- Alors, prêt ?

Je hochai la tête, sans me rendre compte que je souriais comme un con. Mon pote s’en rendit compte et me demanda :

- T’as fait quoi tout seul pour être heureux comme ca ?

- Quoi ? Rien ! Vas-y !

J’avais réagi au quart de tour, Medi me regarda suspicieux et je me sentis obligé d’ajouter :

- C’est pas ce que tu crois. Penny est venue me parler. Et je sais très bien que c’est Vince et toi qui l’avez envoyé.

Il se contenta de me regarder en souriant, moqueur et se leva pour rejoindre le reste de l’équipe qui s’était assemblé autour du coach. Je le suivis.  

 

Il était  17h45. Plus qu’un quart d’heure avant l’heure de vérité. Je regardai autour de moi, les autres parlaient comme si de rien n’était. Le coach réclama le silence :

- Le grand jour est arrivé. Je sais que jusqu’à maintenant, je m’suis montré comme un coach sans reconnaissance, gueulard et dur. Mais j’connais votre potentiel, aussi bien collectif qu’individuel et je souhaite que vous l’exploitiez à fond. C’est pour ca que vous participez à cette compétition pro. Parce que des recruteurs sont jamais très loin.

Son regard se posa sur deux de nos milieux de terrain.

- Je ferai pas de grand discours pour ce premier match qui, je le sais, sera pas le dernier de cette compétition pour vous. Vous êtes tous, sans exception…

Cette fois, son regard se posa sur moi un long moment sur moi. Je sentis le stress revenir de nouveau et je pensai à Penelope.

- … fin prêts pour affronter Grenoble. Vous avez la meilleure organisation possible sur le terrain, vous avez l’un des meilleurs esprits d’équipe que j’ai jamais vu. Et ce que je veux voir ce soir, c’est votre spécialité : un jeu qui vient du cœur et des tripes.

Il y eut un silence limite solennel que je voulus briser en disant « Amen », mais le coach aurait certainement pas apprécié. Vince en bon capitaine se mit à côté du coach et gueula :

- Qu’est ce qu’on est venu faire ici ?!

- Mettre une branlée aux Grenoblois !!

Le tout assaisonné d’un bon cri de guerre plein de testostérone. 

Je sais, on faisait dans la finesse. Mais bon, au moins le message était clair, on n’était pas venu pour se poser pépère sur la pelouse. 

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