Octobre (1) - Vince

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Vince


(...)

La semaine qui suivit fut calme chez LDE et, au boulot, j’avais mis Bergman dans mes petits papiers. En fait, ce que j’attendais le plus c’était ma soirée avec Penelope. Avant qu’on ne devienne salarié, on avait notre rendez-vous en tête-à-tête quasiment deux fois par semaine. Mais depuis qu’on était devenu des jeunes cadres dynamiques jonglant avec du bénévolat chronophage chez LDE, nos rencards s’étaient raréfiés et quand on se voyait, c’était quasiment toujours avec Medi et Bakary.

 

Le fameux mercredi, je sortis du boulot vers 18h30 et allai directement chez Penny après être passé acheté deux paquets de têtes brûlées.

J’arrivai vers 20h05 devant chez elle et sonnai. Personne ne répondit et je m’appuyai nonchalamment contre le portail, mon casque sur les oreilles.

La maison des parents de ma sœur était immense pour trois personnes. Personnellement, je la trouvais froide. C’était une grande villa moderne, blanche située dans une rue très calme avec d’autres maisons d’architectes toutes aussi grandes les unes que les autres. L’avantage de la piaule des Da Silva Santos, c’était les grandes baies vitrées qu’ils avaient au rez-de-chaussée.

 

La première fois que j’étais venu chez Penny, je devais avoir cinq ans. Je me souviens lui avoir demandé combien de familles (!) vivaient dans la maison. Elle avait rigolé et dit qu’ils n’étaient que trois. Trois pour une maison de 200 m². Trois pour deux salles de bain, un salon, une salle à manger, une bibliothèque, quatre chambres, un garage pour deux voitures (A3 et Q5 – non mais que demande le peuple ?). Et pour couronner le tout, la chambre de Penny avait un balcon.

Je me rappelle aussi que j’avais attendu un long moment avant de l’inviter à prendre le goûter chez moi. Premièrement à cause du quartier et de l’appartement HLM dans lesquels on habitait avec mes parents. Et surtout parce que je ne voulais pas que Penelope rencontre ma mère et pose des questions.

Finalement, quand elle est enfin venue les choses se sont mieux passées que je ne le pensais. J’avais alors découvert le grand cœur et l’empathie qui caractérisaient si bien Penny.  

 

Dix minutes après mon arrivée chez ma meilleure amie, une voiture s’engagea dans la rue. C’était la Golf de Frank. Il s’arrêta juste devant moi. Je me baissai légèrement et lui fit un signe de la main. Il me salua à son tour puis dit au revoir à Penny.

Elle sortit de la voiture et me lança, inutilement :

- Mes parents ne sont pas là ?

Je ne répondis rien et lui fit une accolade pour la saluer. Malgré ses talons, elle dut encore se mettre sur la pointe des pieds pour ne pas se faire trop mal au cou.

C’était toujours aussi bizarre de voir Penny habillée en tailleur chic et sac à main de luxe quand j'avais passé les trois quarts de ma vie à la voir en tenue plus relaxe.  

Enfin, la même chose s’appliquait aussi à Medi, Bakary et moi qui étions plutôt des adeptes du jean et des sneakers. On avait même pris une photo tous les quatre dans nos beaux habits et l'image trônait dans le salon de la coloc. 

 

- Désolée pour l’attente, dit Penelope pour combler le silence tout en cherchant les clés de la maison dans son sac. Ma réunion avec Franck a duré plus longtemps que prévu.  

Je lui fis signe qu’il n’y avait pas de problème et nous entrâmes dans la maison. Après nous être déchaussés et déshabillés, nous allâmes dans la cuisine. Ses parents avaient laissé un message sur le frigo, disant qu’ils étaient allés diner chez des voisins. Parfait, on aurait la paix pendant un bon moment.

- Je réchauffe notre quiche d’hier et je prépare une salade. Ça te va ?

Je hochai la tête. Elle quitta brièvement la cuisine pour se changer et revint en jean slim, t-shirt gris large et pantoufles en forme de chiens. Elle avait aussi apportée son ordinateur et mit de la musique pour nous tenir compagnie le temps que la quiche ne se réchauffe.

Penelope détestait le silence. Je me rappelle qu’au lycée, pendant nos heures de perm, elle travaillait toujours avec de la musique et je sais aussi que cette habitude l’avait suivie durant ces études et sa vie professionnelle.

Forcément, comme je ne parlais pas beaucoup, la musique permettait aussi de meubler les silences qu’elle trouvait pesant et que je trouvais bénéfiques. 

Pendant qu’elle préparait l’assaisonnement de la salade, je rompis finalement mon mutisme, assis sur un tabouret en face du plan de travail :  

-  Alors ta formation ?

- C’était bien. J’ai rencontré nos collègues des autres filiales, dont l’équipe allemande. Ils sont super sympas.

Elle s’assit de l’autre côté du plan de travail, en face de moi et regarda brièvement le courrier.

- Et tu leur as demandé s’ils ont des offres ? je demandai

Ce fut à son tour de ne rien dire. Ces derniers temps, Penny mentionnait souvent l’ouverture de la filiale de sa boîte à Munich, montrant un grand intérêt pour eux. Pourtant, jamais elle n’avait clairement mentionné la possibilité de se barrer et je ne comprenais pas pourquoi. Cela me ferait bien chier qu’elle parte, mais je n’allais pas l’en empêcher. Pareil pour Medi et Bak. 

Comme elle ne répondait pas, je n’insistai pas et lui demandai comment sa réunion avec Frank s’était passée.

- Bien mais rien de très spécial. Il a postulé pour des bourses européennes et s’est renseigné pour le financement privé.

- Il a remis ca sur le tapis alors que tu lui as dit « pas maintenant » ?

- Oui. Mais il a fait ca parce qu’il stresse. Il a peur qu’on perde toutes nos sources de financements. Mais j’ai été une nouvelle fois claire. On attend que ca sente vraiment le roussi pour appeler les fondations privées et on négocie bien les contrats.

- Il a dit quoi ?

- Que veux tu qu’il dise ? Lui-même n’est pas fan du financement privé. On n’a pas envie de se retrouver pieds et poings liés à une marque juste pour que l’association soit financièrement à flot.

J’hochai la tête pour lui montrer que je comprenais et que j’étais d’accord. On avait déjà vu beaucoup d’associations se faire avaler littéralement par des grosses marques. Certes, elles avaient des moyens monstres mais elles étaient en fait devenues des grosses affiches publicitaires et avaient perdues pas mal de leur indépendance. Et vu le staff qu’on avait, beaucoup nous lâcherait si on leur imposait une manière de se comporter. Bakary en premier par exemple.

 

La sonnerie du four me sortit de mes pensées et Penny nous servit à diner. On s’installa dans le salon, sur le canapé. 

J’avais toujours peur de manger dans le salon des Da Silva Santos. Tout était immaculé, on se croirait dans un catalogue d’ameublement de design de luxe. En fait, autant l’admettre, je me sentais mal à l’aise dans leur maison, je ne la trouvais pas moche, mais pas vraiment accueillante non plus.

 

Une fois installés, Penny me demanda comment allait Lena.

Lena – si elle n’a pas encore été mentionnée – est ma copine. On est ensemble depuis notre première année d’études et on compte bien le rester. Quand j’ai rencontré Lena, j’ai tout de suite compris qu’elle aussi n’aimait pas beaucoup parler, elle ne cherchait pas forcément à avoir des relations sociales et surtout  elle ne cherchait pas forcément à savoir comment j’allais en permanence. De même, si elle voulait me parler de son humeur, elle venait d’elle-même vers moi. Je ne me sentais pas mal à l’aise avec elle et je n’avais pas appréhendé sa rencontre avec ma mère. Et surtout, elle comprend et respecte ma relation avec Penny. Forcément, au début quand je lui ai dit mot pour mot que j’aimais Pénélope, certes comme ma sœur, mais que je l’aimais et que je la mettrais probablement en priorité pour certaines choses, Lena a eu peur. Mais elle est restée et elle a appris à connaître Penny – et bien sûr Medi puis Bakary. Au final, Lena et Penelope s’entendaient très bien.

- Lena va bien, je répondis. Elle a pris quelques jours pour retourner en Bretagne voir sa grand-mère alitée.

Penny me regarda avec compassion mais je balayais le sujet d’un geste de la main. C’était un des problèmes de mon amie : elle compatissait trop facilement avec les gens et voulait aider la terre entière. Même les gens qui s’en battaient les reins d’elle. Penelope a toujours était trop gentille et les gens aimaient bien en profiter.

 

Des enfoirés. 

 

- Et ta mère ? elle demanda ensuite.

Je triturai les miettes de quiche dans mon assiette sans rien dire. Penelope attendit silencieusement que je réponde.

Par rapport à Medi et Bakary, elle s’en fichait que je ne parle pas beaucoup, même si elle pouvait être un vrai moulin à paroles parfois. Elle savait que je l’écoutais et que de mon côté j’allais directement à l’essentiel.

Je répondis :

- Elle est toujours fatiguée. Elle est encore dans sa phase insomniaque en ce moment.

Elle hocha la tête et posa sa main sur mon bras.

 

Ma mère. Je n'ai jamais aimé parler d'elle, sûrement à cause de mon père.

Mes parents ont fui le Viêt-Nam pour la France en 1970, quand la guerre battait son plein. Ils s’étaient fiancés là-bas puis mariés à Toulouse. Après avoir trouvé du travail au sein de la communauté vietnamienne parisienne, ils ont déménagé en banlieue parisienne. Je suis né en 1990. Et c’est là que les choses ont changé pour ma mère. Mon père ne m’a jamais expliqué les détails de leur vie au Viêt Nam malgré mes questions fréquentes à l’adolescence. Tout ce que je sais, c’est qu’ils ont vu et vécu des choses terribles, en particulier ma mère. Le trouble de stress post-traumatique s’est déclaré peu après ma naissance, lorsque ma mère était encore à l’hôpital. Elle le couvait, mais il a fallu que tout se déclare à ma naissance.

Depuis 25 ans maintenant, elle oscillait entre insomnie, crise de panique, moment de répit, cauchemar, difficultés de communications et passage en centre de repos. Une vie de rêve en résumé. 

Mon père s’était toujours bien occupé d’elle et de moi malgré son boulot prenant de technicien, mais jamais nous n’avions vraiment parlé de ce qu’elle avait. Il a toujours refusé qu'on le fasse pour de nombreuses raisons, dont la peur d’être la cible de commérages des voisins. Alors, j’ai fini par faire lui rendre la pareille et ne discuter avec lui que des choses banales de ma vie.

Il n’y a que les livres de la bibliothèque municipale qui m’ont « aidé », puis Penny. Elle n’avait rien raconté à ses parents comme je le lui avais demandé mais avait imprimé un tas de documents sur Internet sur des activités à faire avec ma mère pendant mon temps libre à la maison. On avait tout juste dix ans et Penny faisait déjà office de soutien psychologique dans ma vie.

 

Penelope ne me posa pas d'autres questions et j’ouvris le paquet de têtes brulées Je lui tendis un bonbon et lui demandai: 

- Et toi ? 

- Mis à part LDE, tout va bien. Je me suis encore pris le chou avec Damien au boulot, la routine.

- T’es maso de parler avec ce type, je ris en lui donnant un petit coup dans l’épaule.

Damien était un de ses collègues. On s'était rencontré une fois et autant dire que le courant n'était pas du tout passé entre nous. Homme blanc venant d’un milieu aisé, il est persuadé – entre autre -  que les discriminations n’existent pas, que les pauvres sont pauvres uniquement par leur faute, que tous les jeunes de banlieues sont des délinquants et autant laisser tout ce beau monde dans sa merde, ils le méritent. Ils pensent aussi que les filles peuvent faire ce qu’elles veulent, mais attention il faut qu’elles se respectent sinon, faut pas s’étonner qu’il leur arrive des choses. Ah et optionnellement, il appelle – attention blague -  les pays du Moyent-Orient et du Maghreb, les pays bougnoules. Mais Damien n’est ni sexiste ni raciste et il s’engage pour Amnesty International.

 

Trou du cul hypocrite.

 

Penny eut un sourire en coin et mangea une seconde tête brûlée. J’en étais déjà à ma cinquième. Elle me raconta ensuite plus en détails comment s’était passé son séjour à Lyon, mais ne mentionna plus ses collègues allemands. Je décidai de ne pas poser de questions non plus. Elle m’en parlerait quand elle se sentirait prête.

Au bout de cinq minutes, elle se rendit compte que la discussion tournait juste autour d’elle – non pas que ca me déplaise – et me demanda :

- Et les entraînements pour la One 4 All Cup, comment se passent ils ? Vous en chiez sévère, hein ?

J’eus un petit rire désabusé et répondis :

- Ouais, c’est chaud maintenant que le match se rapproche de plus en plus.

- Et Bakary, il se sent comment à son nouveau poste ?

Medi et moi avions demandé à Penny de ne pas évoquer ce sujet directement avec notre ami. Cela l’aurait encore plus stressé, il ne voulait pas se montrer vulnérable devant elle.

- Pas trop mal. Medi est patient et ca marche de mieux en mieux entre eux. Mais il manque encore de confiance en lui et il est trop irrégulier dans ses performances.

Elle hocha la tête, visiblement inquiète. 5 000€ à la clé, ca te pousse à t’inquiéter pour ton staff. Je lui dis :

- Tu peux pas lui parler toi ?

Elle me lança un regard interrogateur et avant qu’elle ne puisse répondre, je m’expliquai :

- Je sais, on t’a dit de ne pas en parler avec lui. Mais je sais pas pourquoi, Bak t’écoute comme si tu étais le Messie. Tes pep-talks lui font toujours effet et il retrouve toujours son sourire après.

Elle me regarda de nouveau un peu surprise, mais cette fois en rougissant légèrement. Elle tritura nerveusement un emballage de bonbon cherchant une excuse pour se défiler et faire preuve d'une trop grande humilité. J’ajoutai :

- Et puis, venant de toi, ce ne sera pas vraiment un discours prémâché de capitaine, de coach ou de coéquipier.

Je la regardai intensément pour la convaincre. Elle secoua légèrement la tête et soupira :

- OK, j’irai le voir.

- Allez, arrête de te faire prier. Merci. Mais attends le début du match. Comme ca, il sera en super forme avant de jouer.

Elle hocha la tête et je la remerciai en lui faisant un petit sourire discret.

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