Septembre (3) - Medi

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[Medi] 

 

Quelques jours après l’annonce tonitruante du coach eut lieu le premier entraînement de football des équipes juniors. Au moins eux n’ont pas reçu de coup de massue sur le crâne le jour de leur première séance.  

Bakary s’occupait des équipes poussins (5-12 ans) avec notre coéquipier Paul Giroud, Vince et moi travaillions avec les adolescents (13-19 ans).

Le premier entraînement était toujours mixte. Le reste de l’année, on alternait entre sessions mixtes et non-mixtes. Ce qui était dommage pour les filles, c’est qu’elle n’était pas assez nombreuse pour qu’on puisse les inscrire dans un tournoi associatif. Mais au moins, elle pouvait profiter de nos conseils pour s’améliorer et espérer un jour intégrer une équipe semi-pro.

Nos jeunes étaient pour la plupart sages et respectueux. Bien sûr, il y en avait toujours trois ou quatre qui faisaient leur forte tête en début d’année – pour se la raconter – mais ils ne faisaient jamais long feu : soit on les virait quand ils devenaient vraiment trop récalcitrants et ingérables, soit ils se calmaient d’eux-mêmes. En tant que coach, on avait adopté la stratégie classique du bon et mauvais flic : Vince et Bak étaient les entraîneurs pas rigolards pour un sou, Paul et moi étions les mecs sympas qui faisions marrer la galerie.

 

Ce jour-là, Penny nous rejoignit vers 19h30, lorsque l’atelier d’écriture qu’elle animait s’était terminé. Nous étions déjà en train de ranger le matériel lorsqu’elle arriva en nous saluant d’un « bonjour » bien sonore, un grand sourire aux lèvres. Vince, Paul et moi lui fîmes une accolade, Bak s’en tenait toujours à la bise, semblant éviter tout contact physique trop proche.

Comme à son habitude, elle virevolta autour de nous pour vérifier l’état du matériel, ses yeux bleus de poupée innocente scrutant les moindres détails. Elle nous demanda comment s’était passé ce premier entraînement. Il n’y avait rien à signaler, juste quelques nouvelles frimousses chez les poussins et un rebelle à dompter chez les ados. Avec Vince, on avait parié qu’il ne tiendrait pas jusqu’en octobre.  

Comme à son habitude, Paul nous demanda s’il pouvait rentrer chez lui avant la fin du rangement. Il habitait relativement loin et je pensais aussi qu’il se sentait un peu à part une fois qu’on se retrouvait tous les quatre, Vince, Bak, Penny et moi. En fait, beaucoup de gens se sentaient mis de côté dès qu’on était réunis, sauf Lena la copine de Vincent. Qui ne parlait pas beaucoup comme lui. Le couple qui envoie du rêve.

 

Il ne restait plus que les tee-shirts plein de sueur à ranger et on laissa Paul partir. Tandis qu’elle ramassait les maillots humides du bout des doigts et les mettait dans la corbeille à linge sale, Penny envoya un signal clair :

- J’ai faim. Mais genre grande dalle de ouf.

- C’est pas nouveau ca, espèce de morphale, je lui répondis fermant le cordon d’un des bacs à linge.

Bakary et Vince prirent les deux paniers qu’on avait remplis et on se dirigea vers la buanderie.

  Resto italien en bas de la rue ? proposa Bakary.

Tandis qu’il ouvrit la porte de la pièce, Vincent, qui n’avait pas dit un mot depuis un moment, répondit :

- Je préfèrerais libanais. J’ai mangé italien ce midi avec mes collègues.

Quand on n’a pas l’habitude de côtoyer Vince, entendre sa voix grave sortir de nulle part – surtout pour faire deux phrases – le faisait vraiment passer pour un psychopathe.

J’interrompis alors mes amis qui étaient partis dans des pérégrinations sur la nationalité que devait avoir notre diner :

- Party pooper, les gars. J’ai pas mal dépensé cette semaine. On mange à la coloc’ ?

Vince, Bak et moi vivions ensemble depuis deux ans. Penelope avait dit non merci. Vivre avec trois mecs, dont deux un peu bordéliques, ne faisait pas partie de ses objectifs immobiliers.

 

- Tu claques sans compter tes premiers mois de salaire ? m’interrogea Bakary. Elle doit vraiment en valoir la peine. Comment elle s’appelle ?

Vince et Bak se regardèrent hilares, Penny secoua la tête en jetant un regard de reproche à Bak. Je rétorquai sur le même ton :  

- Et toi ? Ça fait combien de temps que t’as pas eu de copine?

Ce n’était peut-être pas la meilleure répartie, sachant qu’il plaîsaitt aux filles, enfin d’après ce que j’ai pu voir en soirée. Je devais admettre qu’il n’en jouait pas non plus.

Bak eut un sourire en coin :

- J’attends le bon moment.

- Le bon moment pour quoi ? s’enquit Penny, toujours aussi curieuse. Est-ce que ça veut dire qu’il y a une personne spéciale ?

Penelope peut vraiment être naïve parfois.

Bak la regarda avec un sourire qu’il voulait mystérieux – il avait surtout l’air con.

- J’espère que t’as dépensé pour la coloc’, sale égoïste, dit Vince, évitant à Bak de se retrouver submergé de questions par Penelope.   

- J’ai acheté des cadeaux à Hira et Anila.

Ce sont mes deux petites sœurs. Elles ont respectivement 14 et 10 ans.

- Encore ? s’exclama Bak. Arrête de les gâter comme ça, après elles ne vont pas avoir le goût de l’effort et croire que tout leur est dû !

- Ce n’était pas uniquement pour mes princesses. J’ai aussi acheté quelques trucs pour mes parents.  

- Medi, sérieusement, tu bosses pour toi ou pour ta famille ?

- Bak, tu comprendras quand tu auras des enfants.

Penny éclata de son rire cristallin et Vince eut une amorce de sourire. Bak leva les yeux au ciel en soupirant. Nous quittâmes enfin les locaux de LDE après avoir salué les derniers bénévoles encore présents.

 

Je savais que Bak et moi étions loin d’avoir la même vision de la famille. Et pour cause, j’avais été choyé et aimé par mes parents puis mes sœurs, même si on ne roulait pas sur l’or. Alors que lui, la meilleure chose qui lui soit arrivé c’est d’avoir quitté le domicile familial à 16 ans dormant dans des cages d’escaliers ou squattant les canapés de ses potes, et tentant de ne pas se faire attraper par la police ou les services sociaux. Pour pouvoir continuer à étudier et payer sa cotisation au club de foot de son quartier, il avait dû enchainer les petits boulots en parallèle de sa scolarité. Á côté de lui, Vince, Penny et moi, nous passions pour des enfants pourri-gâtés.

Je ne pensais pas aussi que Bak était spécialement près de ses sous, mais il faisait très attention. Moi aussi. J’épargnais un minimum, mais était-ce vraiment mal d’offrir des choses de temps en temps à sa famille ?

Pourtant une nouvelle fois je me sentais obligé de justifier mon comportement :

- C’est grâce à mes parents si j’en suis là aujourd’hui. Alors je leur suis reconnaissant. Mon père s’est tué le dos sur les chaînes de montage et ma mère continue à faire le ménage pour faire tenir le foyer. Quant à mes sœurs, elles me soutiennent quoique je fasse. Donc je leur offre des choses quand j’en ai l’occasion. Et puis, c’est la rentrée des classes. Hira se doit d’être un minimum à la mode. Les jeunes sont de plus en plus méchants de nos jours envers les gens habillés comme des schlags.

- Mouais, fit Bak amusé. Pourquoi tu lui apprends pas à répondre aux cons plutôt ? Qu’elle affirme son caractère un peu. 

- Pas la peine, lança Penny. Medi arrive avec son physique de machine à laver et plus personne n’ose toucher ses sœurs.  

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elle ne se moquait pas moi. Oui, j’avais un physique de machine à laver : le sport m’avait rendu très musclé, avec un tour de cuisse qui faisait halluciner notre entraîneur, mais malheureusement mère Nature avait décidé que je ne serais très grand. Je devais dépasser Penelope que de quelques centimètres, elle qui mesurait dans le mètre soixante.  

Je contractai mon biceps et poussai un grognement digne d’un homme des cavernes. Elle passa son bras autour de mes épaules en riant, me chatouillant un peu avec ses cheveux ondulés noirs et je lui rendis son étreinte. Avoir Penny qui me caressait dans le sens du poil m’aidait un peu à oublier que mes deux potes avaient été un peu plus gâtés par mère nature que moi.

 

- Bon, on va manger à la maison alors ? demanda Bak de but en blanc pour revenir au sujet principal.

- Il reste quoi dans le frigo ? demandai-je.

- C’était pas toi qui étais chargé des courses ? dit Vince.

- Nope, c’était toi.

- Je confirme, lança Bak.

- C’est quoi cette organisation de merde ? soupira Penny. Moi, j’ai faim et si y a rien chez vous, je rentre chez moi.

Elle vivait chez ses parents à 30 minutes en bus de chez nous, en banlieue proche de Paris.

- Non, non c’est bon, viens chez nous. Il reste au moins de quoi préparer des nouilles sautées, lui dit Bakary avec un empressement mal caché.

Penny fit une petite moue pas trop convaincue mais nous suivit quand même.

Vingt minutes de trajet en métro plus tard, nous arrivâmes à notre appartement. Mes chaussures de foot et l’équipement de Bak traînaient dans le hall d’entrée. Vince ne dit rien, mais Penelope soupira et nous jeta un regard réprobateur. Oui, Bak et moi avions un léger problème avec le rangement MAIS on était propre.

Nous vivions dans un grand quatre-pièce avec chacun notre chambre, une cuisine aménagée américaine qui donnait directement sur notre salle de séjour, un petit balcon et une grande salle de bain. Seule la cuisine était meublée lorsqu’on avait emménagé et on manquait encore aujourd’hui d’une machine à laver. C’était le bon moyen de se retrouver aussi chez Penelope : on n’allait jamais à la laverie automatique et nous empruntions la machine de ses parents. Et que demande le peuple : le frigo et les placards des Da Silva Santos regorgeaient toujours de mignardises, à croire que ses parents devinaient quand les ogres allaient passer.

 

Penny, Vince et moi nous affalâmes dans le canapé pendant que Bak s’attelait à cuisiner. D’habitude, j’étais le roi des fourneaux, mais ce soir je me sentais trop paresseux pour remplir mon rôle. Et puis, Bakary pouvait impressionner Penny avec ses talents culinaires – limités.

Je mis la PS4 en marche et lançai FIFA. Vince et Penny jouèrent en premier – Borussia Dortmund vs New York Redbull. J’allai dans la cuisine prendre quatre bouteilles de bière et retournai dans le salon.

Tandis qu’il tranchait des oignions, Bak demanda :

- Penny, je sais que c’est pas ton sujet de conversation préféré en ce moment, mais est ce que LDE envisage de demander des nouvelles subventions ?

- On y a pensé avec Frank, répondit notre amie. On va étudier toutes les possibilités chacun de notre côté et en discuter durant la prochaine réunion du CA. Mais avant que l’un d’entre vous ne pose la question : je ne peux pas dire dès maintenant si on a nos chances ou pas. Parfois les décisions sont prises de manière arbitraire. Il suffit que les personnes n’aiment pas ton projet pour que tu n’obtiennes pas la subvention.

- Vraiment ? s’étonna Vince en tentant en vain de tacler Thierry Henry avec Mats Hummels.

Je ricanai bêtement en le voyant s’acharner, tandis que Penny nargua Vince en faisant marquer Henry. Elle répondit : 

- J’exagère peut-être un peu. Mais j’ai rappelé l’agence de solidarité pour comprendre clairement pourquoi on avait perdu notre subvention. Ils sont restés flous et m’ont quasiment raccrochée au nez. Va savoir ce qu’on a fait de mal.

Penelope gagna la partie 3-1. Vince me tendit la manette à contrecœur, tandis que Bak nous rejoignait au salon. Une bonne odeur provenait de la cuisine. J’avais sans doute sous-estimé mon ami.

Je choisis de jouer avec l’Inter Milan ; Penny changea d’équipe et choisit le Real Madrid. Je demandai : 

- Et on doit s’inquiéter ou pas ? Parce que je sais pas si t’es au courant, mais notre équipe va participer à la coupe One 4 All. C’est un gros morceau et si les choses n’étaient pas aussi graves, je ne pense pas que le coach aurait pris un tel risque.

- C’est pas un risque, je t’ai dit que le coach sait ce qu’il fait, me rétorqua Vince en buvant une gorgée de bière et me fusillant du regard.

En tant que capitaine sportif de l’association et bras droit de Vince dans notre équipe de foot, je me devais d’être raccord avec lui. Mais je voulais aussi être honnête avec moi-même. Et LDE n’était pas le PSG. Point barre.

On se regarda furtivement avec Bak. Lui aussi voyait cela plus comme un risque que comme une opportunité à saisir.

- Oui, acquiesça Penelope,  je sais pour la One 4 All Cup et je trouve ça plutôt cool pour vous. J’ai entendu dire que des sélectionneurs sont parfois présents. Mais pour en revenir à ta question Shaq’s, on va s’en sortir. On doit s’en sortir de toute façon. On a plus d’une centaine d’enfants et des familles entières qui comptent sur nous. Si on ferme, on va rompre un lien social essentiel pour eux et c’est la dernière chose dont on a besoin. Si on ferme, les gens vont perdre confiance en nous. Et ça, je ne pourrai jamais me le pardonner.

Je pense que tout le monde au sein de l’association se sentirait coupable si LDE venait à fermer, mais je ne dis rien et regardai mon gardien se prendre un but de la part de Bale.

 

Penny gagna de nouveau mais cette fois pendant les arrêts de jeu (2-1) et affronta Bakary qui prit le Benfica – pour rappeler à notre amie ses origines portugaises maternelles. En réponse, elle fit honneur à son père et prit le Santos FC.

Pendant ce temps, Vincent et moi mîmes la table et servîmes le repas. On entendait Bakary et Penny se moquer l’un de l’autre et parler de tout et de rien, Bak profitant de la situation pour s’asseoir tout près de Penny. Je souris en coin en remarquant ses tentatives d’approche alors que Vince lui, ne voyait rien du tout. Tant mieux, il aurait sinon été capable de sortir Bakary de la pièce par le calbute. Penny était comme sa sœur jumelle, elle était donc off-limite pour tous ses potes.  

 

Lorsqu’on revint dans le salon pour voir la fin de leur match, Penelope se contenta de me dire :  

- On a survécu le mois de septembre sans problème.

- C’est le mois où il ne passe rien, dit Vince, tu le remarques toi aussi.

- Oui, mais c’est aussi un mois financièrement décisif où on se retrouve à payer une partie des charges annuelles, les premiers salaires et le loyer. Et on n’a pas eu de problème pour payer. J’espère juste que ça va continuer comme ça.

Bak perdit à son tour (2-0). On passa à table.

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