Septembre (2) - Medi

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Info 1: les noms de famille des personnages font référence à de vrais joueurs de football professionnels. 

Info 2: le FC Grenoble n'est pas la très grande équipe décrite dans mon texte. J'ai pris une certaine liberté artistique ;-) 

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[Medi]

 

Le lundi suivant la journée d’inscription, les différentes équipes sportives seniors (20-30 ans) de LDE  reprenaient les entraînements.

La plupart des sportifs « seniors » avaient intégré l’asso très jeune. Vince et moi, par exemple, nous étions inscrits au club de foot vers 9-10 ans, un an après l’arrivée de Penny dans l’équipe d’athlé. Bak était l’un des rares « seniors » à avoir été sélectionné tardivement, il y avait « seulement » deux ans de cela.

Il y avait deux équipes seniors de football. L’équipe 1, dont nous faisions tous les trois partie, regroupait les meilleurs joueurs de l’association et avait pour capitaine Vince. L’équipe 2 était une sorte d’équipe de réserve et on la surnommait – sans vouloir les offenser – les footballeurs du dimanche.

Notre entraîneur coachait déjà au sein de LDE bien avant notre arrivée. Il avait près de 60 ans et une longue carrière derrière lui. Il était dur  et ne mâchait pas ses mots mais je le trouvais juste. Il connaissait tous les défauts et toutes les qualités de ses joueurs; il nous faisait travailler d’arrache pied pour qu’on donne le meilleur de nous même et qu'on fasse preuve d'un esprit d'équipe sans faille. Le résultat était probant : en 7 ans de participation au championnat national inter-associatif, on avait remporté 6 fois la coupe. L’année de la défaite en finale, on s’était pris un sacré savon qui nous avait traumatisé pour toute la durée de la trêve estivale.

 

Comme chaque année depuis que j’étais rentré sur le marché du travail, j’arrivai en retard au premier entraînement à cause de mes horaires chargés. Bak était aussi régulièrement en retard car son chef de service trouvait toujours quelque chose à lui demander en fin de journée. Vince arrivait tout le temps à l’heure en revanche. Pourtant, en tant que juriste d'entreprise, il ne connaissait pas beaucoup de répit. C’était un mystère que je n’avais toujours pas élucidé – car je n’arrivais pas à croire qu’il soit plus organisé que nous autres au travail.

En arrivant au terrain qui jouxtait les locaux de LDE, je fonçai directement dans les vestiaires pour me changer en vitesse grand V. Protège-tibias sous le bras, je me faufilai discrètement jusqu’aux gradins où toute l’équipe était déjà présente. Pendant que notre entraîneur finissait l’appel, je me glissai le plus  discrètement possible entre Bak et Vince. J’étais le dernier de la liste, ça valait  sans doute le coup de jouer le flux tendu en sortant du taf.

Tandis que je finissais de lacer mes chaussures, le coach prit la parole :

- J’espère que vous n’avez pas trop fait reposer vos muscles pendant ces vacances, parce que j’ai l’intention de les faire bosser beaucoup plus que les années précédentes.

- C’est possible ça encore ? grogna Bak en se massant la cuisse gauche, comme s’il se remémorait un entraînement douloureux.

- Bon, comme vous le savez tous, poursuivit l’entraineur, on a des problèmes d’argent. Et comme vous tous, je refuse de voir LDE disparaître.

Plusieurs de mes coéquipiers acquiescèrent en hochant vivement de la tête.

- C’est pour cette raison, que j’ai décidé de mettre la main à la pâte. Je nous ai inscrits au tournoi national One 4 All, du nom de la fondation de Thierry Henry.

Un grand silence accueillit cette dernière phrase. Tandis que notre entraîneur souriait satisfait, on se regardait furtivement entre nous, abasourdis mais surtout pas vraiment sûr d’avoir bien entendu. Je me permis de remarquer, voulant éclairer ma lanterne et celle des autres :

- Coach, cette coupe nationale n’est-elle pas réservée aux clubs professionnels ?

- Normalement oui, mais j’ai réussi à les convaincre de nous inscrire.

- Vous pensez que nous avons le niveau ?

Le coach partit dans un grand rire un peu gras, les mains sur les hanches et sa tête se penchant vers l’arrière. Typique. Et qui peut sembler blessant pour quelqu’un qui ne le connaissait pas.

- Shaqiri, bien sûr que vous l’avez pas encore. Mais vous l’aurez parce que j’ai préparé un entraînement spécial pour cette compétition.

- Qui va nous tuer, marmonna à nouveau Bak à côté de moi.

- Qu’est-ce qu’il y a, Boateng ?

Avec le coach, soit tu te tais, soit tu dis haut et fort ce que tu penses. Bakary hésita un instant et finit par dire le fond de sa pensée, en jetant des regards au reste de l’équipe, cherchant du soutien :

- J’veux pas vous blesser parce que je doute pas de vos qualités d’entraîneur, hein… Mais comment vous voulez améliorer nos performances de manière légale et sans qu’on clamse alors qu’on taffe tous et qu’en plus on est bénévole chez LDE ?

Certains osèrent hacher la tête et le coach fit comme s'il n'avait rien vu. 

- Avec de la bonne volonté. Et surtout avec une carotte : y a 5000 euros à la clé pour le vainqueur. L’équipe qui gagne ce tournoi s’engage à reverser l’argent à une association ou une œuvre caritative. Ça fait une sacrée somme qu’on peut pas refuser. Et il ne coûte rien d’y participer.

A part notre santé physique, pensai-je en me passant la main dans les cheveux. Les autres continuaient à se regarder incrédules en se posant des questions sur la santé mentale du coach. Je pouvais les comprendre : on était bons, voire excellents. Mais uniquement dans les tournois associatifs, contre d’autres équipes de foot associatives. Nous n’avions jamais joué contre des professionnels qui passaient leurs journées à s’entraîner, jouaient des matchs contre des grandes équipes comme le Barça ou le Bayern. Et je trouvais aussi que dire qu’il mettait la main à la pâte en n’ayant fait que déposer des formulaires à la FFF, c’était une sorte de foutage de gueule intégrale. Cependant, je gardais cette pensée pour moi, je n’avais pas la grande bouche de Bakary.

Je regardai Vincent du coin de l’œil qui était le seul à  être resté impassible depuis le début du speech. Assis droit comme un I, il regardait fixement le coach mais avec une expression faciale neutre. J’eus envie de lui donner une claque derrière la tête pour qu’il réagisse. C’était son rôle en tant que capitaine d’équipe !

 

Toujours plus fier de sa trouvaille, notre entraîneur eut un sourire jusqu’aux oreilles et dit :

- Je crois en vous. Sinon vous ne seriez pas ici. Je suis très sélectif lorsque j’engage des joueurs en équipe 1. C’est sûr que vous n’avez pas le niveau de Messi ou Pogba, mais vous en avez dans les tripes et dans le cœur. Certains d’entre vous aurez très bien pu passer pro s’ils n’avaient pas préféré avoir un travail disons plus traditionnel. Vous avez les capacités de participer à la One 4 All Cup et surtout ça permettra de montrer aux gens qu’on n’est pas des branquignoles.

Léger silence pesant, puis il conclut, comme si ce n’était déjà pas assez :

- Dîtes vous bien aussi que vous le faîtes pour LDE et que son avenir en dépend. L’entraînement commence dès aujourd’hui. 4 tours de terrain en demi-fond, 100 pompes et étirement. Le premier qui se plaint se prend un suicide.

Sans râler à haute voix – qui oserait de toute façon ? -, nous nous levâmes et descendîmes sur la piste d’athlétisme qui entourait notre terrain de foot. Bakary continuait à marmonner dans sa barbe puis demanda à Vince :

- T’en penses quoi toi ? T’as rien dit, tu le savais ?

Vince se passa la main brièvement dans ses cheveux noirs et courts, arborant toujours cette expression neutre énervante. Il attendit que le reste de l’équipe soit suffisamment loin de nous pour répondre :

- Non, je ne savais pas. Et que veux tu que je dise ? On n’a pas le choix de toute façon, l’inscription est faite et tu ne contredis pas les décisions du coach. A moins de vouloir mourir pendant l’entraînement. Et surtout, on doit lui faire confiance : il a un grand sens du football et du sport, il sait ce qu’on vaut et jusqu’à maintenant il ne s’est jamais trompé sur nos performances.

Vince s’arrêta de marcher et nous fit face, arborant cette fois une expression déterminée sur le visage :

- Le coach a une très grande fierté. S’il est aussi vache avec nous après les défaites ou s’il ne nous félicite pas spécialement quand on gagne, c’est pas pour être uniquement chiant. C’est parce qu’il se fixe des objectifs et qu’il veut les atteindre. Il déteste qu’on lui fasse remarquer ses défaites ou ses victoires à un cheveu. Il veut qu’on soit les meilleurs. Vous pensez vraiment qu’il prendrait le risque de nous inscrire à cette compétition s’il pense qu’on va se faire éjecter dès le premier tour ? Il l’a dit lui-même : c’est l’occasion de montrer que l’on n’est pas des branquignoles. On lui fait confiance point. Et surtout on lui obéit.

Ce dernier point était surtout dirigé contre Bakary qui avait tendance à beaucoup pester quand quelque chose ne lui convenait pas, c’est à dire souvent. Notre pote soupira résigné en levant les yeux au ciel mais se tut. Je me contentai de hocher la tête, le regard dans le vague, plongé dans mes pensées. Vince ne parlait pas beaucoup mais il en imposait en tant que capitaine dès qu’il l’ouvrait et même Bakary préférait se taire plutôt que de rentrer dans un débat stérile avec lui. De plus, quand le coach endossait le rôle du mauvais flic, Vince était toujours là pour adoucir la situation.

Nous voyant traîner au soleil, alors que les autres avaient déjà commencé leurs tours de terrain, le coach nous cria dessus :

- Hé ho ! Qu’est-ce que vous attendez pour vous bouger les fesses ! Vous êtes pas dispensés d’entraînement.

On se dépêcha de rejoindre les autres sur le terrain avant de devoir effectuer des suicides en fin d’entraînement.

 

L’échauffement fut plus long et plus dur que d’habitude - ou alors mes muscles s’étaient bien trop reposés en Italie. Pourtant, Personne ne se plaignit, pas même Bakary. Avant d’effectuer les exercices en petite équipe, le coach nous réunit une nouvelle fois autour de lui cette fois sur le terrain :

- J’ai décidé d’effectuer quelques changements dans l’organisation de l'équipe. Benatia, tu passes milieu défensif. Giroud, tu passes arrière gauche.

Hakim et Benoît acquiescèrent sans broncher. L’entraîneur poursuivit sa liste et finit avec Bakary qui se tenait à côté de moi :

- Boateng, tu quittes la défense et tu passes attaquant de soutien.

Je jetai un coup d’œil à Bak qui ouvrit des gros yeux, plutôt surpris, et me regarda. J’étais numéro 9 et jusque maintenant le coach n’avait jamais vu d’utilité à mettre un « neuf et demi » sur le terrain.  J’haussai les épaules discrètement et lui fit signe que j’étais OK avec cela. Je n’étais pas du genre à me sentir menacé sur le terrain. Chacun avait son poste et on formait une équipe.

Bak hocha la tête et le coach se sentit obligé d'expliquer sa décision: 

- Shaqiri reste buteur, toi en soutien. En gros, je veux voir quel genre de charnière Medi et toi vous pouvez former. Ne me dîtes pas que vous avez un problème avec ça ?  

Je fis « non » de la tête vivement avec un grand sourire sincère et Bakary se contenta de répondre :

- Merci coach.

Bakary jouait habituellement en défense mais cette position semblait le frustrer – sans vouloir offenser tous les défenseurs de la terre. C’était la seule chose sur laquelle il ne râlait pas de vive voix pourtant.

 

Il avait été « relégué » en défense depuis une blessure au genou survenu lorsqu’il avait 13 ans et alors qu’il était en pleine préparation pour devenir footballeur professionnel – comme beaucoup de jeunes de sa cité. Son médecin, peureux, lui avait fait croire qu’il ne pourrait jamais reprendre le sport de haut niveau. Ce que le médecin de LDE a contredit lorsque Bak a passé sa visite médicale avant d’intégrer officiellement notre équipe 1. Lorsque son rêve s’était brisé, Bak a été forcé de se raccrocher à ses études après avoir redoublé la classe de quatrième. Mais c’était un mal pour un bien car, après une fac de « seconde zone », il avait intégré l’école de commerce de Penny en tant que sportif de haut niveau boursier.

C’est Penny qui nous l’avait présenté, contente d’avoir trouvé un nouvel ami au sein de son école. Bakara quant à lui était bien content d’être dans les petits papiers de Penelope même si jamais il n’admettrait devant nous que ses yeux bleus le faisaient chavirer. Mais, il y a des signes qui ne trompent pas.

 

Du coin de l’œil, je le vis sourire en coin, satisfait de cette promotion au sein de l’équipe. Pour lui, être attaquant de soutien représentait une meilleure promotion que si son chef venait de lui offrir de diriger son département avec un salaire à six chiffres – bon j’exagère peut-être un peu.  

- Bon, reprit le coach, on va essayer cette nouvelle combinaison. Formez les équipes habituelles et marquez le terrain. Shaqiri et Boateng, il va falloir que vous appreniez à communiquer et à anticiper vos faits et gestes respectifs sur le terrain, ok ?

Nous hochâmes la tête en même temps. On se connaissait suffisamment pour que cela nous pose problème.

- Et apprenez vite, parce que la première équipe que vous allez affronter est le FC Grenoble.

De nouveau un silence interloqué de la part de l’équipe. Le coach était vraiment doué ce soir là pour nous en boucher un coin à chacune de ses sorties.

Je sentis le regard de Vince se poser sur moi et Bakary se raidir à mes côtés. Le FC Grenoble avait gagné le championnat de Ligue 1 systématiquement depuis quatre ans maintenant et ils étaient allés plusieurs fois jusqu’en final de la ligue des champions. La joie, la satisfaction et la fierté avaient définitivement disparus des yeux noisette de Bakary laissant place à la panique. 

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