Novembre (3) - Vince

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[Vince]


Il s’était passé deux moi depuis que les cours avaient repris chez LDE. Avec Bakary, on avait recommencé à donner les cours de hip hop aux ados et on était chargé de préparer le spectacle de fin d’année. J’avais commencé à faire une liste de ce qu’on pourrait présenter en juillet. En ayant un œil sur nos comptes. Du moins sur ce que Penny et Frank acceptaient de nous présenter. J’avais mon deuxième œil sur nos installations. Ce n’était pas vétuste, mais bon… il fallait être aveugle pour ne pas voir que notre salle de répétition de hip hop qui servait aussi pour tous les autres cours de danse avait bien besoin d’un petit rafraîchissement. Les 2000 balles de Bak nous avaient aidés à souffler un peu, mais LDE les avait surtout utilisés pour payer les charges plutôt que pour un ravalement de façade.

 

J’avais surtout espéré que les jeunes n’avaient pas remarqué le coup de vieux qu'avaient pris les installations. Mais pendant l’un des cours, alors que je voulais commencer à leur parler sérieusement de nos idées et de notre programme pour le spectacle de fin d’année, Cyril le chef – limite - autoproclamé de l’équipe de hip hop m’avait pris à parti devant les autres jeunes pour me poser des questions sur la situation financière de l’asso.

Et moi qui pensais à tort qu’il ne s’intéressait qu’à son six pack et à flirter avec toutes les filles de l’équipe, je me retrouver à devoir me justifier devant lui. De but en blanc, il voulait savoir si LDE avait des problèmes financiers. Je me sentis mal et regrettait que Bak n’avait pas pu se libérer plus tôt du travail ce jour là pour assurer le cours avec moi. Mon unique souhait était de planter Cyril là et de continuer à vivre ma vie sans que personne ne m’emmerde.

 

Très mature comme dirait Penny.

 

Je restai un moment sans rien dire, perdu, l’air con devant des adolescents de 13 à 18 ans, assis par terre et qui attendaient que le supposé adulte que j’étais ait une réponse. Valable de surcroit. Je tentai de gagner du temps :

- Pourquoi tu me demandes ça ?

Cyril eut une expression un peu dédaigneuse et regarda autour de lui.

 

Merde. Ils avaient très probablement discuté entre eux avant de venir en cours.

- Vincent, t’es vraiment un prof cool mais tu sais pas mentir !


Ouch. La vérité sort de la bouche des enfants et elle fait plutôt mal à entendre. Note pour plus tard: prendre des cours de langue de bois. 


Cyril poursuivit sans se démonter: 

- T’as vu le matos qu’on se paie ? C’est le même que l’année dernière. Et que celui d’il y a deux ans. Je fais du basket ici, et c’est pareil. Les maillots sont vieux et délavés. Les ballons, on dirait qu’ils datent d’il y a trente ans. Je sais pas pour les autres, mais c’est un peu chaud de s’entraîner dans ces conditions. Y a que les footeux qui ont eu du nouveau matériel digne de ce nom.

Il me toisa un moment, moi capitaine de l’équipe de foot senior, pour me faire encore plus culpabiliser. Et le pire, c'est que ça marchait bien. Cyril: 1. Vince: 0. 

- Franchement, si y a assez de thunes, c’est pas juste que vous donniez tout aux équipes de foot. Mais s’il n’y en a pas. On peut à la rigueur comprendre.

 

Se faire remonter les bretelles par un môme de 15 ans, check. Se sentir comme une merde parce que tu es gâté par ton statut de footeux, check. Cyril: 2. Vince: 0

 

Je ne répondis pas tout de suite et fixai un point imaginaire sur le mur derrière eux. Pourquoi Bak était coincé au taf et n’était pas là pour répondre à ma place?

 

Merde.

 

L’honnêteté ayant souvent du bon, je finis par répondre :

- Oui, LDE a des problèmes financiers en ce moment. Les aides publics nous ont été refusés à cause des restrictions budgétaires. On est trop petit pour être une priorité pour les services publics. Je sais que ça ne fait pas plaisir à entendre. Mais ne vous inquiétez pas, LDE n’a pas vocation à fermer. Et surtout, que vous soyez au courant ou pas de la situation ne change rien au fait que vous devez vous entrainer pour le spectacle de fin d’année.

Je n’attendis pas qu’ils protestent ou posent des questions. Contrairement à Bakary, je n'étais pas assez doué pour gérer ce genre de situation et pour être aussi diplomate que Medi ou Penny devant des ados inquiets. Mon taf, c'était juste de diffuser mon savoir. Point. La pédagogie, ce n'était vraiment pas mon truc. 


Je me dirigeai vers l’ampli, leur tournant le dos, espérant qu’ils me lâchent la grappe, et mis mon Ipod en marche. Water Dance de Chris Porter résonna dans le pauvre gymnase vétuste. Je me retournai et leur demandai de s’échauffer. Les jeunes se levèrent sans rien dire et commencèrent leurs étirements.

De loin et du haut de son mètre 90, Cyril me regarda sans bouger. Il n’était pas en colère ou dédaigneux. Juste déçu que je les prenne pour des cons.

 

Se sentir encore plus comme une sous-merde parce que tu déçois tes élèves. Check. 

Cyril: l'infini. Vince: 0. 

 

Pour un capitaine d’équipe, je n’envoyais pas du rêve en dehors du terrain. Mais remonter le moral et motiver les ados du cours de break, c’était le rôle de Bakary. Je l’avais laissé agir sans vraiment me demander comment il faisait pour être vraiment pédagogue avec eux.

J’hésitai un cours instant et pendant qu’ils s’échauffaient sur la musique, j’allai vers Cyril. Il eut un regard méfiant. Je devais avoir vraiment un air flippant.  

- Je sais que je ne parle pas beaucoup, je sais que je suis un peu rude parfois. Mais vraiment, ce n’est pas votre rôle de vous inquiéter pour les finances de l’asso. On est là pour ça et on prend les choses en main pour récolter de l’argent. Ça prend du temps, ça ne se fait pas en un claquement de doigt. Mais on bosse pour vous offrir un avenir meilleur. Alors faîtes nous confiance.

Cyril hocha la tête et je lui donnai une tape sur l’épaule pour l’encourager. Je pouvais clairement pas faire mieux.

 

 

Malgré le fait que le cours se soit bien passé, j’étais soulagé qu’il se soit terminé et j’étais heureux de me retrouver à la coloc.

J’arrivai à l’appart vers 21h. Lorsque j’ouvris la porte, Penny était en train de se chausser dans notre entrée. Je posais lourdement mon sac de sport par terre et  serrai mon ami rapidement dans mes bras.

- J’arrive tu te casses ? J’ai des choses à te raconter !

- Désolée, mais je dois y aller. Tu me raconteras tout ça demain. Je vais boire un verre  avec Luc.

J’en lâchai ma parka trempée par la pluie par terre et lui jetai un regard plein d’incompréhension.

 

Luc. Son connard prétentieux d’ex-copain. 


Qu'est ce que le monde avait aujourd'hui pour ne plus tourner normalement?

 

Penelope se contenta de finir de nouer ses lacets et me lança sans sourciller – et sans se rendre compte de l’absurdité de la situation :

- Pas le temps de t’expliquer, je te raconte demain.

Elle me fit une légère bise sur la joue et partit en coup de vent. Quand la porte fut refermée, je me tournai vers Bakary et Medi qui s’étaient levés de table pour m’accueillir. Je les regardai toujours sans rien comprendre et ramassai ma parka. Medi haussa les épaules et dit :

- Il l’a appelée et lui a proposé d’aller boire un verre avec lui et une de ses potes d’école. Elle se sentait pas de dire non.

Je me demandai quelle pote d’école. Penny n’était pas vraiment restée proche de ses camarades de promo. En fait, elle n’avait jamais vraiment été proche des gens de son école et c’était un soulagement pour elle lorsque les études se sont finies.

 

Bak lui avait l’air vraiment furieux. C’est vrai qu’il ne pouvait pas piffrer Luc, mais je ne comprenais pas vraiment pourquoi il en faisait une montée de lait. Il marmonna, en retournant à table et en s’asseyant bruyamment :

- Elle devrait vraiment apprendre à refuser quand on lui demande de faire des trucs qu’elle veut pas faire.

Je m’installai à table à mon tour et découvrait avec délectation ce que Medi avait préparé : des cannellonis aux épinards et au saumon. Mon Dieu, j’avais une dalle de bâtard. Je me servis une bonne portion en demandant à Bak :

- De quoi tu parles ?

Bak agita juste la tête et massacra ce qu’il avait dans son assiette. OK. Il fallait que je lui tire les vers du nez. Une vraie Attention Whore. Sérieux.

 

Je soupirai :

- Bak, mon enfant, que se passe t'il ?

- Sérieusement tu demandes ca ? lança Medi avec un air moqueur.

Bak le regarda furieux et lui fit signe de se taire. Je ne comprenais toujours pas. Notre ami roula des yeux et se leva pour se servir un verre d’eau. C’était dans ce genre de situation que je me rendis compte qu’on ne savait pas vraiment communiquer entre nous quand Penny n’était pas là.

J’aurais bien voulu savoir ce qu’il se tramait dans la tête de Bak mais je n’avais pas la force de pousser plus loin. Je me contentai de dévorer mes cannellonis en silence.

Lorsque Medi revint s’asseoir, il me demanda :

- C’est quoi le truc dont tu voulais parler avec Penny ?

- Les danseurs savent pour nos problèmes de tunes. J’ai essayé de les rassurer comme j’ai pu, mais je sais pas trop parler dans le vent comme Bak. Je sais pas trop si je les ai convaincus. 

- C’est sûr qu’avec ton don pour les grands discours, les jeunes ont sûrement bu tes paroles, répondit Bakary sarcastique. 

Je me contentai d’hausser les épaules en lui disant qu’il n’avait qu’à être là. Medi, sentant qu’on était tous les deux sur les nerfs, préféra changer de sujet et se contenta de parler de banalités.

A la fin du repas, on débarrassa et mit en marche le lave-vaisselle. Aucun d’entre nous n’avait la force aussi de ressortir pour prendre un verre, si bien qu’on finit par s’affaler dans le canapé pour jouer à la console.

Pendant que les deux jouaient à PES, je sortis mon téléphone et écris à Penny sur WhatsApp :

 

« Qu’est ce que tu branles avec Luc. Tu comptes te remettre avec lui ? »

 

La réponse ne tarda pas, ce qui laissait entendre qu’elle passait une soirée de merde. Il fallait quand même si attendre. Luc est chiant à vouloir se tirer une balle. Ou bien lui en foutre une entre les deux yeux pour qu’il se la ferme. Au choix.

 

« L.O.L. Non. Notre amie Tatiana Rakotomalala est revenue de sa mission à Madagascar et elle voulait qu’on se capte. Rassuré ? »

 

Ca tu peux le dire mon petit. Si Penny voulait se remettre avec Monsieur je pète plus haut que mon cul, j’aurais tout fait pour l’en empêcher. Et je sais que j’aurais pu compter sur Medi et Bakary.

J’informai mes deux amis de la soirée de Penny. Medi se contenta de dire « ah, ok » et se reconcentra sur le jeu. Bakary eut un air contrarié et demanda :

- Elle pouvait pas voir Tatiana seule ?

- Qu’est ce que j’en sais moi ? Pourquoi ca t’embête tant que ca ?

Medi mit le jeu en pose et me regarda avec un sourcil levé :

- Sérieusement Vince, tu demandes encore ?

- Quoi ?

Medi agita la tête, avec un air incrédule. Je ne comprenais vraiment pas où il voulait en venir. Il me gonflait quand il faisait ça, genre je comprends tout ce qu’il se passe autour de moi et vous devriez aussi parce que c’est évident.

Bakary lui jeta de nouveau un regard furieux et notre ami se retint de parler. Je ne savais pas trop si c’était de la loyauté envers un pote ou bien s’il se faisait victimiser par Bak. Medi eut l’air agacé et marmonna « Oh et puis fais comme tu veux ! ».

Un peu irrité par leurs confidences, je pris un des coussins et leur balançait à la tête. Medi le reçut en pleine face.

- Vas y gamin ! dit il en me relançant le coussin brusquement.

- Quoi gamin ?! Vas-y, dis moi ce qu’il y a ! Bak ?

- Quoi Bak ? Moi ch’ais pas de quoi il parle. On peut jouer là ou on se touche les couilles ? Pose ton téléphone toi. Penny nous racontera demain comment c’était. Point barre.

Bakary tenta de me prendre mon portable des mains mais je me levai du canapé. Bon. OK. Aucun des deux n’allait ouvrir sa bouche pour me dire ce qu’il se passait. Peut-être que Penny savait et je pris note de lui demander quand je la reverrai.

- Attends, lança Medi, avant de clore la discussion avec Penny, dis lui demander à Luc de filer de l’argent à LDE. Vu la manière dont il nous a traités, il nous doit bien ça.

Bak rigola en se tapant sur la cuisse et je répondis :

- Vraiment très classe Medi.

- Te fous pas de ma gueule, espèce d’hypocrite. T’es clairement en train d’écrire ça à Penny.

Je ris bêtement.


C’est vraiment chiant d’avoir un pote qui devine tout et sait tout.

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