Partie 1

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Des yeux bleu profond et des mains d’étrangleur… Telles sont les premières choses que Mardack Noelroc contemple chaque jour en se regardant dans le miroir. Il a les yeux d'homme de sa mère et les mains d’ork de son père. Il est ce que les gens un peu guindés appellent un sang-mêlé. Mais la plupart des gens les appellent les laiteux, manière péjorative d'évoquer le teint vert pâle de leur peau. Mardack avait horreur de ce surnom. Plusieurs fois par le passé, il avait manqué d’écraser le crâne de quelqu’un pour l’avoir appelé ainsi.

Ce matin, comme tous les matins, Mardack met de la mousse à raser autour de sa gueule garnie de crocs aiguisés puis passe délicatement le rasoir sur la zone imprégnée afin d’éliminer le moindre poil de son menton, un vrai travail d’orfèvre, fin et précis. Il aime avoir l’air propre est soigné, ce n’est pas parce que tout le monde le prend pour un sauvage qu’il doit nécessairement en être un. Il passe une serviette chaude sur son visage pour enlever le peu de mousse qui reste puis applique délicatement de l’aftershave et du parfum. Chemise blanche et costard rayé enfilé, chapeau sur la tête, couteau de chasse dans la poche, il est prêt pour la journée.

- Tu pars déjà ? ronronne une poupée dénudée encore allongée dans son lit.

- Je peux pas me permettre de rester plus ma puce, tu sais que ce soir c’est le repas de famille et j’ai encore beaucoup de choses à faire, répond-il. Il faut que tout soit parfait.

Il s’assied sur le lit et ébouriffe délicatement les cheveux noirs de la jeune fille qui vient se blottir contre lui. Il pose son menton proéminent contre la joue blanche de sa conquête avant de respirer une pleine bouffée de l’odeur de ses cheveux. Elle essaie de se blottir tout contre lui pour le garder le plus longtemps possible dans ses bras, mais il finit quand même par l’abandonner dans le lit pour retourner vers la porte.

-Je t’ai laissé un peu d’argent, tu n’as qu’à te commander à manger et regarder une série à la télévision. Je reviens ce soir après le repas.

- D’accord mon amour, je vais rester là, nue, dans le lit à t’attendre, pendant que toi tu joues au mafieux toute la journée.

Mardack ne l’écoute déjà plus, elle est belle mais un peu immature. C’est comme ça qu’il les aime mais il sait qu’il ne peut pas compter sur elle, ni sur personne. Il descend les escaliers quatre à quatre en restant calme et détendu, puis, arrivé sur le devant de l’immeuble, il balaye la rue des yeux du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Personne, la rue est complètement vide. Il s’engage d’un pas pressé afin de se diriger vers le marché. Un de ses quatre frères n’avait pas répondu à son appel et il voulait s’assurer qu’il sera bien là au repas de ce soir.

Keraktin est le frère cadet de la famille, c’est un ork pur-sang issu du second mariage de son père. C’est, de tous ses autres frères, celui qui correspond le plus à ce qu’on pouvait s’attendre d’un ork. Il mesure plus de deux mètres vingt et doit dépasser les cent cinquante kilos. Il est toujours d’aspect négligé et prompt à régler ses problèmes par la force. C’est pour autant le plus gentil de la fratrie, gentillesse que l’on met volontiers sur le dos de capacités intellectuelles limitées. Chez les orks il n’est pas bien vu d’être faible mais il n’est pas non plus bien vu d’être trop gentil.

Mardack met peu de temps à mettre la main sur son frère une fois arrivé sur le marché, il lui suffit de suivre les coquards des propriétaires de boutiques et de petits restaurants. Par chance, c’est jour de paye et beaucoup de personnes ont cru bon de ne pas réunir l’argent pour leur forfait de protection mensuel. Keraktin a dû prendre des mesures. Marduck finit sa recherche dans un bar où le tenancier est en train de gémir de douleur sur le sol entouré de Keraktin et ses employés.

- Tu sais que j’ai horreur de faire ça, venir ici, dans un bar dans lequel je viens souvent, et casser des phalanges aux propriétaires. Après, moi j’ose plus revenir. C’est pas parce qu’on est en train de changer de management que tu dois arrêter ton abonnement mon gars. Tu sais que je vais passer pour demander l’argent…

Keraktin avait vraiment l’air désolé. Mais il préfère ça à devoir venir expliquer à ses grands frères que l’argent n’a pas pu être entièrement récolté ce mois-ci. L’ork immense finit par remarquer la présence de son frère ce qui le fait passer aussitôt de tristesse à joie quand il se jette littéralement sur son frère pour l’écraser de son importante masse musculaire comme un de ces chiens massifs et trop affectueux.

- Grand frère t’es venu ! Tu sais que t’as pas besoin de venir superviser les paiements, je m’en occupe ! Tu peux avoir confiance.

- Je sais Keraktin, ce n’est pas pour ça que je suis venu te voir, tu ne m’as pas répondu pour le repas de famille de ce soir.

- Ah oui désolé, j’ai perdu mon téléphone et après ça m’est sorti de l’esprit. Mais oui, je serai là, tu peux compter sur moi. C’est bien que t'aies repris cette tradition après la mort de papa. On t’a pas beaucoup vu depuis l’enterrement, ça va ?

- Oui, j’avais juste des choses à gérer, des papiers à signer, des tractations extérieures à la famille à régler, mais maintenant, c’est fait, je suis prêt.

- Tu vas voir, être le patron c’est génial, et puis tu sais que si tu as des problèmes tu pourras toujours compter sur tes frangins.

- Brave gamin, pensa Mardack. Mais tu mens très mal mon pauvre frère.

Il savait que ses frères, ses demi-frères en fait, tous de sang pur, auraient beaucoup de mal à accepter que ce soit lui qui prenne les rênes de la famille. Mais il était l’ainé et les autres allaient devoir faire avec. Heureusement, il savait comment s’y prendre pour obtenir leur agrément. Il y a trois choses que les orks aiment : la baston, l’argent et la nourriture. Une promesse d’un territoire plus grand autour d’un bon repas devrait calmer les ambitions de ses frères. Sauf peut-être celles de Raskasse. Mais si les autres ne vont pas dans son sens, il ne bougera pas le petit doigt.

Le demi-ork abandonne son frère à sa violente besogne et appelle un taxi pour se diriger vers son restaurant où aura lieu le repas de ce soir. Un restaurant c’est parfait comme business de couverture pour le blanchiment d’argent, cependant ça demande beaucoup d’entretien. Quand les autres se battaient pour savoir qui gérerait les bars à prostitués pour son père, lui s’était contenté de lui demander les restaurants et avait ramassé une véritable fortune. Pas très criminelle comme attitude, il en convient, mais cela pourrait s’avérer vital de gérer le meilleur restaurant de ville quand c’est d’un repas dont dépend la suite des évènements. Si ses frères s’en mettent plein la panse, ils seront moins prompts à se rebeller.

Bientôt l’enseigne du restaurant « Le palais de Margareth » apparaît devant les yeux bleu profond de Mardack.

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