Partie 2

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Il a choisi ce nom en hommage à sa mère, ce restaurant est bâti comme un temple à sa gloire. Dans l’entrée, se tient une immense fontaine avec des oiseaux, des paons. La mère de Mardack adorait les paons. Son père lui en avait offert un couple lors de leur nuit de noces, un de ses rares moments de romantisme. Elle n’a jamais cessé d’en avoir jusqu’au jour de sa mort. Elle était également passionnée de musique, elle passait ses journées à jouer du piano dans le salon de leur magnifique résidence, ledit piano trône désormais sur la scène centrale où se succèdent les spectacles et les performances musicales des artistes invités. Mais le piano lui, reste vide, comme un trône dépourvu de reine. C’était une fleur, une dame qui donnait de la bonté et de la profondeur à tout ce qu’elle touchait, et le père de Mardack avait été de loin son chef d’œuvre. Elle avait fait d’un assassin brutal et sans ambition un redoutable homme d’affaires magnant le verbe aussi bien que le glaive, d’un guerrier elle a fait un roi, du fer de l’or.

Hélas… S’il avait pu suivre l’enseignement de sa mère, ne serait-ce que jusqu’à sa majorité, Mardack aurait été, il en est convaincu, deux fois l’homme qu’était son père et trois fois celui qu’il est. La vie l’a arrachée trop tôt, qui vit par le fer, périt par lui …

- Monsieur, lance un serveur d’un certain âge. L’un de vos frères vous réclame, il est dans votre bureau à vous attendre depuis une bonne heure.

- C’est lequel ? Il est au courant que le repas n’est que dans cinq bonnes heures ? Il compte manger toutes les cacahuètes de mon bureau et fumer des cigares en attendant ?

- Je ne sais pas monsieur… Les manières de vos frères me sont toujours très étrangères. Mais pour répondre à votre première question il s’agit de junior et il semble fortement aviné, à moins que ce ne soit autre chose. J’ai préféré l’installer dans votre bureau pour éviter qu’il ne trouble les clients.

- Vous avez bien fait Gérard ! répond Mardack. Prenez le reste de votre journée vous avez assez travaillé pour aujourd’hui, le restaurant n’ouvrira pas ce soir de toute façon.

- Merci monsieur.

Pauvre Gérard, il a travaillé pendant presque vingt ans au service de Noelroc père et maintenant qu’il est à quelques mois de prendre sa retraite, il doit supporter continuellement les égarements des fils de son précédent employeur. C’est pour cela que Mardack a préféré lui donner sa journée, afin qu’il n’assiste pas à ça. Le sang-mêlé confie à quelques serveurs les tâches qu’il était censé assurer lui-même avant de se diriger à grand pas vers son bureau. Il y découvre son frère complètement avachi dans son fauteuil, le nez blanchi par la poudre et l’haleine empestant le tabac et l’alcool, il avait visiblement fêté la mort de leur père plus que de raison.

- Tu ne peux pas venir ici dans mon restaurant pour décuver à chaque fois que tu en as l’envie.

- C’est pas que ton restaurant ! C’est aussi le mien, c’est celui de la famille ! On a grandi ici tous les deux, je te signale.

- Oui mais c’est moi qui en ai la gestion. De plus, tes errements font fuir les clients et si tu continues ainsi il n’y aura bientôt plus de restaurant du tout, lance Mardack d’un ton cinglant.

- Est-ce que t’as remarqué que tu parlais bien mieux à tes employés qu’à tes frères ? T’as même pas le même ton. En fait, tu leur parles comme un humain alors que dès que t’es en face de nous tu reprends ce côté Ork mal léché qui te va si bien, répond son frère complètement hilare.

- Mes employés me respectent, eux. En tout cas, ils me respectent assez pour ne pas se pointer dans cet état au restaurant. Et tu vas faire comment pour ce soir ?

Kaoragh Noelroc Junior n’est pas le quart de la moitié de l’homme qu’avait pu être son père et il le sait, il l’a toujours su. C’est sans doute pour ça qu’il passe l’essentiel de sa vie à se noyer dans l’alcool ainsi que dans toutes les substances qu’il pouvait trouver depuis déjà tout jeune. Il essaie continuellement de faire baisser la pression de porter le nom de son père sur ses épaules à l’aide de tout ce qui passe à portée de sa bouche, de ses veines et de ses narines. Le troisième fils de la fratrie est, malgré lui, l’échec le plus retentissant de son père. Celui-ci a même fini par l’emmener hors de sa vue en lui confiant la gestion de petites affaires qui tournaient toutes seules aux abords de la ville. Là, où, complètement isolé du reste de sa famille, il avait pu se donner à ses diverses addictions et détruire son corps et son cerveau jusqu’au décès de son père. Et maintenant, le voilà dans le Restaurant de Mardak, brinquebalant ce qui reste de lui. Il a l’œil fatigué, il est mal rasé, son costume est taché de toute part et, au vu de l’odeur, soit il ne l’a pas lavé depuis un moment soit il a passé la nuit dans les poubelles.

- Tu comptes te pointer au repas de famille dans cet état et habillé de la sorte ? lance Mardack qui prend soudain compte de l’ampleur de la décrépitude de son frère.

- Et alors ? Monsieur veut que tout le monde soit beau et fringuant pour son couronnement ?

- Si les autres te voient dans cet état, ils t’enverront en cure de désintox et chercheront à s’approprier ta part pendant que tu seras enfermé pour te sevrer. Tu connais Raskasse mieux que quiconque…

- Les yeux de Junior s’écarquillent et il avale une longue gorgée de salive avant de regarder son frère droit dans les yeux.

- Va dans la chambre à l’étage, à côté de la salle de réception, dit Mardack. Y a une douche et un costume qui appartenait à Papa, il devrait t’aller. Rase-toi et fais une sieste aussi, tu ressembles à un mort-vivant.

- Le costume risque de m’être un peu grand ... répond Junior

- Il est un peu grand pour tout le monde frérot. Mais c’est comme ça … Il faut avancer.

Junior essaie de se lever du fauteuil, mais il finit par tituber jusque dans les bras de son frère qui le saisit pour l’empêcher de tomber. Il pèse lourd malgré la perte de poids occasionnée par la drogue. Mardack l’aide à monter péniblement les escaliers menant à l’étage supérieur, puis le conduit à la chambre pour l’affaler sur le lit.

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