Coupables d'innocence

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Papa m’a dit : il faut que tu sois courageux, mon fils. Nous allons partir sans maman mais elle nous rejoindra très vite, les messieurs qui attendent me l’ont promis. Quand il est sérieux, il m’appelle mon fils. Sam c’est quand il rit et Samuel quand il gronde. Mon fils, c’est un peu les habits du dimanche de l’amour. Maman, elle, c’est mon chéri, mon cœur, Samichou, plein de petits noms sucrés qu’on mange avec les oreilles et qu’on laisse fondre de plaisir dans son cerveau, comme des bonbons sur la langue. Alors j’ai été courageux parce que je suis grand, j’ai cinq ans et j’ai une amoureuse qui s’appelle Sarah. Elle a disparu. Elle était là et puis le lendemain elle a disparu avec toute sa famille. Elle aurait pu me prévenir mais elle était peut-être en colère que je l’embrasse trop et que je lui dise je t’aime. J’ai suivi papa et les messieurs qui avaient l’air très méchants. On peut être courageux et avoir peur ?

Après, on a tous été réunis avec plein de monde et on a voyagé serrés dans un train. Longtemps. Papa me faisait voir par une petite fenêtre avec des barreaux et je lui disais ce que je voyais, des champs, beaucoup de champs et la route, au loin avec de la vie dessus qui roulait vite dans les deux sens et des hommes, des femmes et des enfants dans les villes que le train traversait. Au début, on avait à manger dans le sac mais après plus rien. Il faisait chaud et soif. J’ai dit à papa que je voulais rentrer à la maison et regarder la rue en bas, très loin au loin où il y a de la vie aussi, comme par la lucarne barrée mais en mieux parce que c’est chez nous. Il m’a dit non. On va vers une nouvelle vie. J’ai senti que la colère montait en lui, comme quand il a grondé maman, hier soir, que j’ai pas tout compris, un mot surtout qui revenait tout le temps et qui met en colère tout le monde et même que ça doit être un sacré gros mot parce qu’il remonte de la rue dans un fracas de haine et y’en a plein qui baissent la tête et pressent le pas avant de recevoir un coup. Que quand il m’a vu il a dit « Samuel, va dans ta chambre ! » et que ça ne m’a pas plu, il fait froid dans ma chambre. Mais j’étais content, j’avais compris les mots rat, piège et souricière. Je me suis dit tiens, la souris est revenue, celle que papa avait attrapée avec une tapette et qu’il disait ensuite en riant qu’il était un grand chasseur. Je les ai laissé chasser tranquilles.

Dis papa, si on va vers une nouvelle vie meilleure, pourquoi il y a des gens qui pleurent comme dans un vilain rêve ? Il n’a rien su me dire. Il m’a juste fait un gros câlin tout mouillé. Alors je l’ai consolé et je lui ai dit « ça va aller papa, t’en fais pas, je suis là » et je l’ai embrassé très fort.

Un jour, on est arrivé dans un endroit gris. Tout était gris partout avec de la boue par terre. On est descendu et d’autres sont restés morts dans le wagon. J’ai pas regardé de ce côté. On était sur un quai de gare sauf que c’était pas une vraie gare. Et puis ça sentait le vomi, le caca et le pipi. En pensant à ça j’ai fait dans ma culotte, bloqué par les jambes qui m’entouraient de partout et j’ai été très soulagé de savoir qu’on allait prendre une douche. Pourvu que maman n’apprenne jamais que j’ai souillé mon costume neuf, elle serait très déçue.

On a avancé et un grand choc sur la main m’a fait lâcher papa. Je l’ai perdu de vue tellement ça s’est passé vite. J’ai cherché ses grolles que je connais bien. A la maison, un de nos jeux c’était que je place mes pieds sur les siens, face à lui et il marchait en faisant de grands pas et mes jambes aussi faisaient de grands pas mais à reculons et c’était très drôle quand il disait : compagnie à gauche gauche ; compagnie à droite droite ; et un kilomètre à pied ça use les souliers et mes souliers à moi ne risquaient rien puisque c’est lui qui marchait et je glissais et nous finissions sur le tapis à nous faire des chatouilles.  J’ai pas trouvé ses chaussures.

 Schnell, schnell et le vilain mot qui fait de la terreur dans les coeurs et on a été poussé vers un bâtiment. Une femme m’a pris dans ses bras. J’ai mieux vu ce qu’il y avait autour. On était dans une ville bizarre. J’avais envie de pleurer. J’en avais assez d’être courageux, tout seul dans les bras d’une inconnue. Personne n’avait l’air content d’être ici.

Et puis on a entendu de la musique. Un orchestre en pyjama rayé jouait pour nous souhaiter la bienvenue. Tout le monde a été drôlement soulagé. Tout allait s’arranger. On a eu peur pour rien. On leur a fait des signes de coucou. Ils avaient une grimace sourire sur les lèvres et des yeux tristes. Alors j’ai senti que je pouvais poser la question qui me trottait dans la tête depuis le soir où papa et maman discutaient à la table de la cuisine et que papa m’a envoyé dans ma chambre. J’ai chuchoté à l’oreille de la femme qui me tenait toujours dans ses bras malgré mes pantalons humides et j’ai demandé :

Dis, c’est quoi, un juif ?

 


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