8. La Porte

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« Evidemment, il était encore là. »

L’ours. Toujours. Et je ne peux masquer mon dégoût.

« Comme je ne pensais pas encore à vous, je me suis arrêtée. Je l’ai observé à son insu ; à son tour d’être mis à nu ! Il était resté garé là où je l’avais croisé à l’aller. Mais il était maintenant assis, les pieds nus dans le lac. Des cadavres de bouteilles vides témoins de ses activités nocturnes. Je n’ai toujours pas bien vu son visage ; il était presque de dos ; sa barbe hirsute en mangeait toujours une partie et la visière de sa casquette, abaissée sur ses yeux, en dissimulait l’autre. Il portait un vieux jean déchiré aux genoux et un t-shirt sans manche tâché de peinture, qui descendait bas sous ses aisselles. Sur ses bras, sur son cou, sur ses côtes, il a des cicatrices blanches qui rayent sa peau tannée par le soleil. »

Pourquoi est-ce que tu me racontes tout ça, ma sœur ?

« Je ne sais pas. J’ai trouvé que, là, assis sur les cailloux, le corps un peu avachi, il avait l’air triste. J’ai commencé à le contourner sans qu’il me voie, néanmoins je crois savoir qu’il a dressé l’oreille. Comme un animal, il m’a sentie sans me voir et je me suis immobilisée. Il s’est laissé observer, toutefois. Parce que c’était juste. Ou alors, il n’en avait que faire ? Et j’ai pu apercevoir son regard encore clair, perdu vers l’horizon, tandis qu’il débouchait une nouvelle bouteille et s’est servi un verre, avec un air de défi qui ne me concernait pas. »

Tu aurais dû le fuir.

« Mais à cet instant, il a trempé deux doigts dans l’alcool et il en a jeté quelques gouttes en direction du ciel, puis en direction du lac. Ce geste avait un air de déjà-vu que, pourtant, je ne m’explique pas. »

Tu aurais dû fuir.

« La berge était encombrée de végétation, et je ne pouvais que me rapprocher de lui ou rebrousser chemin pour retrouver la route. Le jour se levait doucement derrière les montagnes et, enfin me diras-tu, j’ai réellement voulu rentrer, vous retrouver, sans détour. Seulement, je ne pouvais le faire sans être vue. Je redoutais que le moindre de mes mouvements n’éveille son intérêt. Et je me suis sentie bête, alors, debout là, à cette heure, dans ma petite robe fleurie, et avec mon maquillage qui devait commencer à couler. Et je me suis sentie honteuse, sans raison, malgré moi. Et il a tourné la tête – lentement, comme s’il avait toujours su que j’étais là. Et nous nous sommes scruté un moment. Je ne trouvais pas les mots ; il était probablement trop saoul pour en articuler un seul.

C’est cette pensée qui m’a soudain redressée. Ma honte s’est évanouie. D’un seul coup. Comme moi, il n’était pas à sa place, à l’écart de cette fête d’enfants. Comme moi, il avait été attiré par sa lumière, trop éclatante dans l’obscurité. Mais cela n’avait plus lieu d’être. Nous n’en avions plus besoin. Simplement, nous ne le savions pas encore. C’est comme si, pour la première fois, à cet instant, je m’étais sentie complètement adulte. Je me suis senti son égale. Je lui ai esquissé un sourire qu’il ne m’a pas rendu. Mais qu’importe, j’ai repris le chemin de la maison régénérée. J’avais étrangement trouvé, là, ce que j’étais allée chercher hier soir. »

C’est finalement l’ours qui t’a nourrie.

« Je te le jure, je n’ai entendu les cris que lorsque j’ai posé le pied sur la terrasse. Il m’a fallu une éternité, il me semble, pour gravir les marches traîtresses et remonter cette fichue falaise. J’ai entendu ma fille hurler et, bien sûr, j’ai imaginé le pire. »

N’était-ce pas le pire ?

« Non. Je t’assure mon frère, nous étions loin du pire. »

Tu avais fermé sa porte à clef.

« J’ai couru de toute mes forces pour lui ouvrir. »

Elle tambourinait sur la porte. Elle avait fait un cauchemar et s’était réveillée enfermée.

« Elle s’est écroulée dans mes bras. Je n’ose pas imaginer depuis combien de temps elle appelait… »

On n’imagine pas la terreur d’un enfant qui se réveille dans une maison étrangère. Elle était prise d’une panique incontrôlable.

« Je me suis mille fois excusé… »

Tu lui as promis : « Je ne le ferai plus. » Et tandis que je me tenais à l’écart de cet instant de réconfort, tes mots sonnèrent pour moi comme une condamnation.

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