6. Les Phares

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J’étais prêt à m’effacer dans le silence bien peu confortable que nous avions laissé planer entre nous. Tressaillement.

Puis retentit le bruit du moteur. Je tremble à l’unisson. L’appréhension me fige sur place. Seulement, la voiture stoppa net. Probablement l’ours avait-il perçu notre présence, cette fois. Je voulais frapper dans des casseroles et hurler, comme se grandissent les oiseaux face à un prédateur. Cependant, ma sœur pose son doigt sur ses lèvres.

Lorsqu’il entame son demi-tour, le couard, devant le portail fermé, elle est bien plus intriguée qu’apeurée. Elle fait quelques pas, comme pour le suivre ; il éclaire un tunnel sous la canopée en s’éloignant. Moi, j’expire bruyamment mon soulagement. Nous patientâmes tous les deux, néanmoins, jusqu’après avoir vu disparaître la rougeur de ses feux arrière. Elle rentra alors s’habiller pour la soirée, tandis que je restai à épier son retour, tremblant de la peur que ma jumelle refusait de montrer.

Sans un mot échangé, sans se retourner, elle s’en ira donc sur notre dernier coup de gueule. Ne crains rien ; tu me raconteras tout, à ton retour, comme nous en avions l’habitude. Elle a relevé ses cheveux au-dessus de ses épaules. Elle a appliqué une légère touche de maquillage sur son visage encore doux. Elle a changé son jean en robe d’été, sans un regard pour moi. Soudain je n’existe plus et je sais que je te manque, tout de même ; je sens ta main chercher la mienne lorsque les marches de bois chancellent, sous ses pieds pourtant sûrs.

De plus en plus, je la laissais seule partir et restais en arrière ; de moins en moins, nos humeurs s’alignaient sur les mêmes ondes. J’avais besoin de solitude, elle, de contacts. Elle ira désespérément se nourrir, ce soir.

La moiteur du jour avait laissé place à une douce chaleur nocturne. Un fin croissant de lune se leva entre les cimes, se moquant bien de mes malédictions. Une brise bienvenue faisait danser les étoiles à la surface de l’eau. Sa légère robe estivale flotta longtemps derrière elle après sa disparition sous les roches de l’à-pic. Elle était descendue par le lac, qu’elle longerait jusqu’à la plage de galets gris, plus loin sur la droite. En arrivant en bas, d’abord, elle s’attardera un instant sur le ponton. Elle scrutera encore longuement l’obscurité, mais aucune lueur ne suggérait que ces maisons, dont elle connaissait l’emplacement sans les voir, sous les arbres, fussent encore habitées.

Seule, à sa gauche, la cabane du vieux bossu, qui nous avait toujours inspiré une certaine crainte mêlée de fascination, laisserait entrevoir une faible lumière. Un aboiement peut-être. J’en aurais frissonné ; elle s’en détournera vite. Je devrais laisser ces peurs d’enfants derrière nous. Comme la barque gisant à présent au fond de l’eau.

Tu te trouvais à mi-chemin, ensuite ; commençais à peine à t’habituer au silence trompeur de la forêt, lorsqu’ils t’ont soudain éclairée toute entière. Ses phares. Les mêmes. Tu ne sais pourquoi, mais tu l’as su instantanément ; c’était les siens. L’ours.

Bien sûr, me diras-tu, ce n’est pas comme s’il y avait foule, aussi la nuit, sur ces chemins sans issue. Jamais tu ne te seras sentie si vulnérable. Aveuglée par un projecteur qui te mettra complètement à nu. Tu regrettes me présence en cet instant. Tu avais revêtu cette robe, pourtant, pour me signifier que je n’étais pas le bienvenu. Et lorsque tu as senti tout ton être exposé, tu es restée figée. Comme une biche qu’on surprend sur la route et qui ne sait de quel côté fuir.

Si j’avais été là, ma peur t’aurait contrainte à l’action. Là, tu es demeurée tétanisée par une froide panique. Fixant la lumière, monstre qui t’avalera intégralement.

Puis, brusquement, les phares se sont éteints. Mais n’était-ce pire encore ? D’entendre la porte s’ouvrir et claquer dans le noir complet. Ses yeux ont mis longtemps à se réhabituer à l’obscurité. Afin de déjouer le sort que l’atmosphère leur jetait en silence, elle lui avait fait signe de la main. Ce « bonjour » de convenance était resté orphelin et suspendu entre eux. Un air de défi alourdissait la tiédeur nocturne.

Un long moment passa alors, où aucun n’esquissa le moindre mouvement. Tentait-il de ne pas t’effrayer ou s’en amusait-il au contraire ? Enfin, lorsqu’Elle l’entendit faire un pas dans les galets, elle fut libérée du sortilège.

Elle a fui. Enfin, sans oser courir. Elle a bombé le torse, la tête haute, et s’est simplement éloignée, prestement, de peur d’éveiller en lui un instinct animal qui l’aurait poussé à te poursuivre. Elle sentit encore, après de longues minutes de cette fuite retenue, son regard indiscret, à lui en hérisser les poils, sur la nuque.

Il ne t’a pas suivie ? J’aurais eu tellement peur d’être suivi.

« Il n’a pas fait un pas de plus. Il n’a rien dit. Je ne l’ai même pas vu. Je l’ai senti, en revanche, comme s’il fallait qu’on se rencontre. »

Tout cela ne me plaît pas du tout.

Et puis les basses ont commencé à vibrer dans son corps ; avant même d’entendre la musique, elle l’avait oublié.

On les entendait déjà d’ici.

« Elles avaient disparu, sur le chemin, étouffées par les arbres probablement… »

Son regard se voile ; une expression lointaine qui ne lui ressemble pas. Qu’y a-t-il ?

« Pour être honnête, lorsque j’ai aperçu les lumières de la fête, j’ai hésité. Ils avaient allumé un grand feu qui torturait les ombres entre les branches. Comme une peinture surréaliste. Je n’entendais que des rires qui me paraissaient démoniaques. Tout cela semblait une insulte à la quiétude des bois. J’avais même envie de m’en retourner. Un seul ours fait bien moins peur qu’une messe noire… »

Je ne puis m’empêcher de songer : c’est moi qui l’alourdis. J’étais tellement persuadé que rien de bon ne pourrait venir de cette sortie. Seulement, faire demi-tour, toi ma sœur, cela t’est impensable. Recroiser le chemin de cet être nocturne venu nous hanter jusque chez nous, cela m’est impensable. Il reste seul et dans l’ombre quand toi, tu t’avances dans la lumière et entre dans la danse.

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