"Stradivarius : Le Violeur"

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Une lune sanglante.

Rougeâtre, maléfique, sonnant bien avec les péripéties à venir. Après des années d’apprentissage, me voici fin prêt à exécuter mon premier contrat. J’ai grandis, j’ai prit en maturité et en stature. Je sais à présent me focaliser sur mes devoirs et mes obligations, être payé pour une chose que je ne contrôle pas est plutôt admirable. Voici cinq ans que je n’ai plus revu ma mère, que je n’ai plus la moindre nouvelle d’elle. Cinq ans que je m’entraîne et me forge à un métier qui devra mener à ma perte au moindre instant où mon attention n’est pas à son paroxysme. Cinq ans que je me prends des coups dans la gueule à outrance, jusqu’au moment où je suis parvenu à les rendre au centuple et répondre à toutes les exigences que l’on posa sur ma personne. Aujourd’hui, j’admire cette lune grande et majestueuse, du haut d’un toit qui donne une vue parfaite sur Paris et, surtout, sur une rue particulière. Je joue du violon tout en me prélassant, cela me détend. C’est le seul instrument que j’ai bien voulu apprendre durant ces cinq ans pour calmer mes ardeurs et sortir de ce quotidien de meurtrier où l’on demande toujours plus. Je suis épuisé par ces années de calvaire, mais je n’en suis pas moins heureux d’avoir trouvé une aide à mon destin. Heureux de pouvoir contrôler ce monstre qui est en moi et lui donner ce dont il a besoin. Certes, c’était très compliqué, et certains ont su en pâtir sur mon chemin. Mais l’on ne peut m’en tenir rigueur. Par ailleurs, je suis toujours là, en vie, sans jamais avoir été inquiété par les miliciens et autres membres de la justice. C’est que je dois être doué. Certainement.

Aujourd’hui, l’on me demande de tuer Hervé Gentil.

Malgré son nom, voici qu’il fait un trafic peu singulier. Il a un vice tout particulier qui aura eu le don d’exaspérer certaines personnes qui sont prêtes à payer pour le voir disparaître à tout jamais de la surface de la terre. Un homme qui se complaît dans la luxure, mais pas n’importe laquelle : avec des enfants qu’il prend sous son aile en leur promettant monts et merveilles. Il agit de la sorte lorsque la nuit tombe et que les petits malandrins impuissants et nécessiteux traînent dans les ruelles afin d’éviter de rentrer et voir leur père saoul comme toujours, éviter de devoir prendre des roustes dans la gueule pour n’avoir rien amené de bon pour le bien être de la maisonnée. Ou, plutôt, le bien être du ventre de ce père alcoolique. Peut-être fais-je quelques stéréotypes, mais souvent c’est le cas. Il les amène ensuite dans sa propre masure et les ligotes dans la cave pour leur faire subir les pires sévices qui soient. S’il y a bien une chose que l’on apprend, c’est de ne surtout pas s’attaquer à des enfants. Ils sont innocents, purs. Bien entendu, nous avons tous notre part sombre, comme moi, et eux en ont tout autant. Mais l’âge fait la différence, on ne peut pas se permettre de passer cette règle d’or. Et cet homme qui ne sait rien de tout cela devra payer la différence pour ces crimes, ses actes horrifiants. Il devra payer cher de sa chair, tout comme l’exige le contrat que l’on m’a donné.

Je crois que même sans être payé je l’aurai fait.

Après tout, je suis un monstre qui réclame son lot de sang. Il m’en faut. Par tous les moyens, toujours un peu plus encore. Et là, sur cet air de violon que je joue, mon cerveau s’embrume petit à petit que le temps passe et se laisse aller. Je me prélasse certainement avant de passer à la casse. Il le faut, si l’on veut paraître un minimum humain aux yeux de l’humanité. Bien que je me doive de rester invisible, je ne rate pas de faire remarquer le son de mes cordes frottées. Certainement une signature qui restera gravée dans l’esprit de tous. La signature d’un nouveau mort à venir dans cette nocturne angoissante. Les torches s’allument petit à petit grâce à ces hommes qui viennent tous les soirs les allumer, comme par routine. Cela donne une allure austère à toutes ces ruelles faites de merdes de pot-de-chambre et d’autres condiments alimentaires jetés par delà les fenêtres de ces ménagères sans vergogne. Je regarde toute cette lascivité de la pleine nuit à Paris. Ça a toujours du charme, ça m’émerveille. Je reste toujours un gosse à l’intérieur de moi devant ces belles choses, ces belles étoiles, ce bel astre grandiose. Je suis ébahi. C’est une bonne nuit sans qu’aucun stress ne puisse s’emparer de moi. Et c’est à cet instant précis que je vois la future victime. Il marche, tenant par la main un enfant. Ce dernier serait aussi une victime tout autant si je n’interviens pas rapidement.

C’est donc du haut de mon toit que je scrute.

Arrêtant la sérénade un instant, je guette ma proie. Je regarde tout ce qui se passe. Avec cette vue plongeante, je peux percevoir les miliciens qui passent, d’autres badauds dans les parages. Il me faut être discret et ne pas me laisser voir, autrement tout sera perdu. Alors je suis attentif. Je descends de la toiture par l’échelle de bois qui était installée sur le pan du mur. J’avance dans la pénombre, évitant l’éclairage des torches. Et je suis l’homme, ce Hervé Gentil. Il semble nerveux, angoissé. Certainement que lui aussi se sent comme un monstre. Peut-être qu’il est comme moi et ne sait contrôler sa folie. Mais contrairement à moi, il a choisi le mauvais type de personne à attaquer. L’enfant, lui, ne semble pas s’inquiéter. Il sourit tout en grignotant une miche de pain. S’il savait où il allait finir, peut-être ne serait-il pas dans cet état. Le pauvre. Si insouciant. Sans aucune éducation, c’est certain. On ne lui a pas appris à ne pas accepter tout et n’importe quoi de la part d’inconnus. Je suis sidéré. Il n’y a personne à proximité, tous doivent dormir déjà. Je n’entends aucun milicien qui rôderait dans les parages. Au moindre croisement de rues, je regarde attentivement. J’évalue mes chances de m’en sortir vivant en scrutant les probables sorties, fuites. On ne sait jamais, dans ce genre de travail il y a toujours une chance que l’on se fasse prendre ou que l’on reçoive un mauvais coup. On apprend donc à bien veiller sur tout ce qui est intéressant pour l’attaque et pour la fuite. Mais aussi à l’endroit même où je pourrais effectuer mon acte.

Et justement, non loin de là, il y a un boyau.

Une petite ruelle étroite où peu de gens s’aventurent la nuit. Il y fait très sombre, il n’y a pas la moindre lumière et pas la moindre visibilité. Je connais Paris comme ma poche, je l’ai parcouru tant et tant de fois que tout est ancré dans mon crâne. Je commence à vouloir m’avancer plus amplement faire ma proie quand soudain une voix retentit de nul part. Je ne comprends pas ce que l’on me dit, de quoi il s’agit. Je regarde tout autant de moi, mais rien. Personne. Je continue mon avancée. Et la voix continue. Elle se veut grave et puissante. Comme celle qui m’habite, mais si différente d’auparavant. Est-ce lui? Ou non? Est-ce un autre? Il n’y a personne dans ces rues, il n’y a rien qui puisse évoquer la possibilité d’une voix si ce n’est celle que j’entends toujours dans ma tête. Je secoue cette dernière tentant de me concentrer plus amplement sur ma mission. Elle poursuit, mais je n’y fais plus attention. Mon cerveau s’embrouille à nouveau et je semble perdre connaissance alors que mon corps continue de mouvoir seul. Le poing s’abat contre la nuque de l’homme, le faisant tomber à la renverse et la voix grave entendu plus tôt sort de mes lèvres avec une puissance infinie envers le jeune garçon.

- Barre-toi crétin! Tu vois pas que c’est un connard qui veut te crever dans sa cave? On t’a jamais appris à ne pas suivre les inconnus?

Le jeune garçon reste un instant apeuré.

Comme tétanisé par la scène qui se présentait devant ses yeux innocents. Il regarde mon visage et mes expressions monstrueuses. C’est un peu comme si j’avais de la bave aux lèvres, comme si j’avais une grosse rage qui monte en moi et se laisse marquer sur mon visage. Je lui attrape le bras et le jète au loin afin qu’il prenne la fuite. Ce qu’il fait sans demander son reste. Je me retrouve donc devant l’homme à terre qui tente de se relever. Je lui assène un coup de pied sur la face, ce qui explose son nez. Il pisse déjà le sang alors que je n’ai pas commencé le pire. À moitié inconscient, je le tire par les bras jusqu’au boyau de la ville. Je l’installe contre le mur et le regarde gémir tout en tournant la tête, comme s’il n’arrivait plus à la porter, comme s’il ne parvenait plus à la supporter. Moi, je souris. Je ne sais pas pourquoi, mais je le fais. Je porte une main sur le faciès de ma victime, trempe mes doigts dans le sang qui coule le long de ses lèvres et je le goute. Comme un monstre, comme un animal, comme un démon. Au fond de moi je brûle de plaisir devant telles atrocités.

- Tu n’as pas entendu le son de la mort qui allait venir te quérir? C’est un cadeau que je vais t’offrir, une révélation finale pour te sortir de cette mauvaise passe. Je ne suis pas une mauvaise personne, sache-le. Je suis juste moi. Je veux simplement faire plaisir, crois-moi.

Et l’homme entrouvre les yeux.

Il a du mal à émergé, il a du mal à lever ses mains, mais il le fait pour saisir mon bras. Il tente de bouger ses lèvres tuméfiées. Il semble vouloir s’exprimer, et après quelques longues secondes, il y parvient.

- Pitié, j’ai de l’argent! Ne me tuez pas!

- Bah t’as 1500 écus à me filer?

- Euh… non, mais je peux les avoir! Je vous le jure!

- Boaf, je m’en branle un peu. Je vais simplement te tuer, je l’aurai même fait gratuitement.

Et là une expression de terreur.

Tout ça se lit parfaitement dans les yeux de la proie. Il y a même une odeur d’urine qui survient à cet instant même. Il ne semble pas en état de se défendre entre le coup porté à sa nuque et le nez à moitié défoncé. Néanmoins, il tente. Mon poing s’écrase donc contre le coudes qui commençait à se déployer pour me frapper. Un crac intense retentit. Un hurlement se fit entendre jusqu’à ce que ma main décide de cacher ce maudit bruit qui pourrait me faire repérer. Il en profite pour me mordre. Je gémis un instant et fronce les sourcils en secouant mon bras et en lâchant quelques insanités. Puis je reprends mon calme, ma sérénité. Une scintillante se laisse percevoir un instant, jusqu’à ce que le froid s’empare d’un poumon perforé par une lame bien aiguisée, traversant tranquillement une côte. La victime pleure, souffre, mais continue de vivre. Je tourne la lame tout doucement, tranquillement, pianissimo. Je profite pour admirer la lueur d’espoir qui disparait de ses yeux. J’en prends un malin plaisir coupable. Puis je sors la dague en compagnie d’un flot sanguin. Jusqu’à la porter enfin sous le menton de sorte à perforer le crâne par le bas. Hervé gît ainsi inanimé sur le sol. Quant à moi, je me réveille, sortant de mon état de transe psychédélique. Je me vois devant ce cadavre insolent et songe que même une pourriture pouvait recevoir une seconde chance plutôt que d’en arriver à ces extrémités affreuses.

Je sors de mon sac une rose rouge.

Et je la dépose sur le cadavre en prenant soin de fermer ses yeux afin qu’il parte tranquillement rejoindre Dieu, ou Lucifer. Je me dis que, peut-être, la ville se portera mieux avec un violeur d’enfants en moins. Mais je me dis, aussi, que d’autres personnes existent, avec les mêmes travers, les mêmes maux. Et je devrais offrir bien des cadeaux à ces gens là, jusqu’à ce que je crève à tout jamais dans un abime de sang chaud.

Je me relève et m’en vais.

Sur la route, je croise quelques miliciens qui me voient. Afin de ne pas qu’ils perçoivent le sang qui m’habille des mains et de mes vêtements, je me cache légèrement dans l’ombre. Ils me demandent ce que j’ai fait là si tard dans la nuit. Je leur réponds simplement que j’ai entendu hurler dans le coin, que je souhaitais voir ce qui se passait et que j’allais à présent rentrer chez moi. Je leur indique l’endroit du cadavre et m’en vais aussitôt alors qu’ils courent pour aller voir ma proie. Ils n’ont pas vu mon visage et c’est tant mieux. Pourquoi un criminel donnerait l’adresse de son forfait? Au moins je ne cache pas la vérité. Et je rejoins l’hôtel dans lequel j’ai grandis jusqu’à ce qu’une prochaine mission s’offre à moi.

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