"Stradivarius : Lacrimosa"

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Maman.

Tu sais, depuis que je suis parti, j’ai fait bien des conneries. Voici que tu ne peux me voir, ni même me punir alors que je ne saurais que le mériter. J’exècre le personnage que je suis devenu de part ce monstre qui habite en moi. Mais je dois naviguer avec lui, à jamais. Faire comme si lui et moi nous n’étions qu’un. Je suis bien dans l’obligation de me durcir à présent, puisqu’il me demande toujours plus que ce je ne pourrais décemment lui octroyer. Alors je me laisse guider tandis qu’il prend les rênes de mon corps, de mon esprit, de ma puissance et de mes faiblesses pour parvenir à ses fins sanguinaires. Toujours plus de sang, encore plus de morts et de cadavres laissés sur les routes par la simple folie d’un être décharné et détruit de son caractère ainsi que de sa propre volonté. Je sais que tu dois m’en vouloir, et que tu dois t’en vouloir pour ce que je suis à présent devenu. La réalité glace le dos, la vérité fait mal, la vérité transpire tant de violences et de choses malsaines que l’on ne saurait dire. Mieux vaut être muet, parfois, que de tenter d’exprimer la moindre chose de ce qui se passe réellement sur cette terre qui appartient au Diable lui-même, et non pas à Dieu. Mais ne t’en fais pas, maman, tu peux garder le sourire. Je me porte bien.

Après avoir commis une nouvelle fois l’irréparable.

Une main fut tendue à moi, au détour d’une taverne, alors que je pensais ma fin proche. Alors que je songeais que l’on était parvenu à me rattraper dans ma fuite risquée dans les dédales de la Cour des Miracles de Paris. Que pourrait-on bien me faire, à moi? Jeune homme perdu dans la ville de toutes les folies furieuses qui soient? Peut-être que les tortures seraient affreuses et insupportables, peut-être que l’on m’enlèverait la peau petit à petit comme l’on enlève le vêtement d’un nourrisson. Peut-être que l’on m’écartèlerait par des boeufs affamés qui tentent d’attraper un peu de nourriture qu’on leur tend afin de les faire avancer petit à petit en me brisant les os seconde après seconde. Je les vois bien me torturer au coutelas mal aiguisé, me percer le foie, les yeux, me trancher quelques veines secondaires pour poursuivre mon maintien en vie et mon éloquence à hurler pour habiller les murs transpirants le sang des ennemis de la nation, de ces meurtriers stupides qui fleurissent ça et là dans les nombreuses villes et les nombreuses ruelles de ce monde de fou. Mais non, je n’espère vraiment pas qu’ils useront de la Poire de Judas pour me faire souffrir davantage, cela serait réellement inhumain, bien plus que ce que je fais subir aux gens qui croisent mon chemin. Car, maman, tu le sais bien, je ne suis pas méchant dans le fond. Je suis juste pervertis. Je sais néanmoins choisir les âmes qui doivent quitter ce monde, tout comme le feraient, justement, ces miliciens qui adorent les tortures et les mutilations bien plus que les assassins qu’ils arrêtent. Qui est donc coupable, maman? Celui qui tue en faisant régner la justice sous le manteau d’un officier? Ou celui qui tue en faisant régner la justice sous le manteau d’un pouilleux? Tout comme cette maxime qui me revient sans arrêt en tête : « Qui tue un homme est un assassin, qui en tue mille est un conquérant ». Devrai-je en arriver à cet extrême afin que l’on me perçoive autrement? Je préférerais crever avant d’en arriver là, je l’avoue.

On m’a tendu une main, donc.

Je me suis retrouvé emmené dans un hôtel particulier de l’avenue Saint-Denis. Un modeste palace pour quelques malandrins de mon espèce. Des hommes battus par la vie, harassé. Des enfants orphelins qui se voient offrir une seconde chance dans la vie. Oui, je sais, ce ne sont pas des gens recommandables, mais ce sont les seuls qui m’acceptent tel que je suis. Une des leurs m’a vu dans cette taverne où j’ai… Je ne devrais peut-être pas de laisser tant de détails tant cela est épouvantable. J’en ai l’envie de vomir tout autant que toi tu devrais l’avoir en lisant cette lettre. Toujours est-il que je fus repéré par Sélène, une grande et belle femme brune aux yeux bleus. Elle ressemble à la lune, éclatante comme elle. Je fus subjugué par ses charmes et sa grande beauté maquillée de quelques cicatrices bien visibles, montrant les combats de la vie et la difficulté de vivre lorsque l’on est soit même un monstre, que l’on ne peut s’empêcher de faire le mal. Même si l’on tente de résister. Car je résiste tant bien que mal, sans pouvoir jamais me contrôler jusqu’au bout. C’est comme un être trop gentil qui ne peut s’empêcher de donner l’aumône aux âmes pauvres croisées. Je suis tout l’inverse, tu aurais préféré que ce soit autrement. Encore une fois, j’en suis navré. À présent, j’ai un toit sur la tête, de la nourriture, des vêtements ainsi que des armes. On me forme à me battre, à savoir éviter les coups et devenir plus sombre encore que je ne le suis. Pas que je le veuille, mais je n’ai d’autres choix que de suivre ces instructions pour ne pas sombrer dans la folie ni même crever la gueule ouverte devant le premier couard venu. Alors je fais ce que l’on me dit. Parfois, même, je reçois des coups de fouet comme punition si je ne respecte pas les volontés de mes supérieurs. Tu connais mon tempérament, maman. Je continue toutefois afin de devenir une ombre, comme l’on me l’a promis. Je pourrais faire des merveilles et obtenir de l’argent pour cela. Si tout va bien. Un peu comme un mercenaire, sauf que je n’hésiterais pas à commettre l’irréparable en visant le dos. Ce n’est point de la lâcheté, mais de la survie au milieu de cette jungle humaine.

Ne t’en fais donc point.

Je vais bien, je me porte bien. Je suis bien accompagné. Je sais que tu dois m’en vouloir pour tout cela, et tu as bien raison. Maman, je dois te l’avouer. Il y a quelqu’un d’autre dans ma tête. Ce n’est pas possible autrement. Je l’entends, parfois. Il baragouine. Il tente de communiquer avec moi. Mais sa voix est trop peu perceptible et trop grave. Comme s’il n’avait pas encore la force de pouvoir parler convenablement pour que je comprenne tout. J’essaie de converser avec lui pour en savoir plus. Les seuls mots audibles sont « sang », « meurtre », « encore ». Et après cela, je suis comme une personne dans le coma. Sans nul souvenir, sans nulle pensée. Ou bien comme une personne droguée ou alcoolisée. Peut-être simplement maudite. Devrai-je aller voir un prêtre afin d’être exorcisé? Devrai-je me résoudre à la questionnette? Je ne sais pas. J’ai vraiment peur, maman. Ce n’est pas rien. Et je ne peux pas le contrôler. Peut-être que lorsque je serais plus grand et plus fort je saurais lui dire de partir et de me laisser en paix. Dans ce cas là, je pourrais revenir te voir et m’occuper de la famille à la place de notre connard de père qui s’est enfui, te laissant seul à la merci des dangers de la vie et… de moi. Ne t’en fais pas, je t’enverrais bientôt assez d’argent pour que tu puisses cesser tes activités néfastes et que tu puisses nourrir décemment tout le monde. Tu verras. Même si je suis sûr que tu refuseras cela car il s’agit d’argent sale. Je le comprendrais, mais tu devras accepter néanmoins, tu n’en auras pas le choix, car c’est un cadeau de ma part pour la famille. Et rien n’est plus sacré qu’un cadeau fait par, et avec, le coeur. Bien que mon coeur soit noir et souffreteux, sombre et ténébreux.

Tu sais.

Depuis que je suis tout petit j’ai l’impression qu’il est installé en moi. Sauf qu’il était réellement imperceptible. Je ne pouvais pas songer à son existence. Je me souviens tout de même avoir fait de nombreux cauchemars dans lesquels je me voyais assassiner des hommes de la pire engeance. Je me voyais enfoncer mes doigts dans des gorges brulantes jusqu’à percer la chair de mes ongles jusqu’alors immaculés. Je me voyais jouir de prendre l’avantage par la fougue plutôt que par la force et terroriser mes ennemis tout en jouant un air de violon. Je me vois leur jeter des fleurs rouges à la face alors qu’ils étaient en voie de pourrissement. De décomposition. Comme ces Grecs qui donnaient de l’argent pour que les morts puissent payer le passeur du Styx. Je me vois user de divers stratagèmes pour arriver à mes fins, et plusieurs moyens fallacieux, tendancieux, toutes ces choses pour arriver à mes fins. Je me vois tenir le coeur de mes ennemis que j’aurai pioché à travers la cage thoracique défoncée à coup de talons ou d’autres ustensiles que j’aurai sous la main. Comme s’il s’agissait d’un trophée de chasse que je garderais précieusement dans des bocaux de verre. Des souvenirs terribles, terrifiants, symboliques de ma folie qui sera sous peu légendaire. Oui, depuis que je suis tout petit, je me vois comme un vaurien reconnu et angoissant toute l’humanité par la simple prononciation de mon pseudonyme : Stradivarius. Mais, vois-tu, ce qui me différencie des crapules qui font la même chose que moi, c’est que moi je ne fais ces choses là que sur ces mêmes crapules. Je libère l’humanité des choses néfastes, de ces furoncles terribles qui suintent, qui explosent, qui font mal, qui font souffrir la Terre toute entière. Je suis un peu comme l’épée de Dieu; ou l’épée du Diable. Je ne sais pas encore. Je ne comprends pas toutes ces choses. Peut-être que cela viendra un jour, ou peut-être pas.

Pour le moment, je m’entraîne.

Et les années vont passer, rapidement, elles vont s’enchaîner à une vitesse folle. Je grandirais, je m’épanouirais, je disparaitrais. Et je réapparaitrais lorsque le moment sera opportun, pour toi. Je voyais aussi ton doux sourire lorsque je ferais mon retour. Je sais qu’il est trop tôt encore, mais le moment viendra. Je ne m’en inquiète pas. Garde tout de même à l’esprit que je suis ton fils bien aimé, ne me renie pas, ne me répudie pas. Garde-moi en ton coeur le temps qu’il faudra, et vois moi comme le fils bien élevé que tu as toujours voulu avoir et non pas comme ce monstre que tu peux percevoir. Je suis malade, maman, mais je vais me soigner, je t’en fais la promesse. Je ne veux pas tuer, je ne veux pas devenir un assassin, mais je n’ai pas le choix. Je n’ai pas d’autres possibilités. Alors je continuerais jusqu’à tant que je sache pourquoi tout cela m’arrive, et que je sache comment tout contrôler. Que j’arrête de vouloir jouer avec des dagues et perforer des poumons, des fois, retirer les ongles des orteils des pieds de gens encore en vie. Que j’arrête ces pensées sadiques et affreuses. Ça viendra, j’en suis certain. Ou bien je terminerais mes jours dans un hospice, ou je serais condamné à mort. Si tel est le cas, je t’offrirais des places en première loge afin d’assister au meurtre public de ton fils qui l’aura bien mérité et qui te soulagera peut-être.

Mais je préfère que tu gardes le sourire.

Et que tu me vois encore comme celui que j’étais et que tu songes à celui que je pourrais devenir si je m’en sors. Car je vais m’en sortir. Je ne fais pas de promesses vaines. Seul l’avenir nous le dira, mais je ne me trompe que trop rarement, trop peu. Je ne vais pas t’écrire beaucoup, maman, car ici ce n’est pas très bien vu. Surtout que les trois quarts des personnes présentes ne savent pas lire, ni même écrire. Alors ils me jalousent. Et la jalousie dans ce genre « d’école » n’est jamais de tout repos. Je me suis déjà fait casser la gueule car j’étais le petit nouveau, le tout dans les dortoirs, la nuit. On se moque beaucoup de moi. On me fait passer pour un bouffon, un petit drôle qui n’a pas sa place. Une fois que j’en saurais plus sur les arts que l’on m’enseignera, je saurais répondre à leurs provocations puériles et stupides. Je vais donc devoir te laisser sur ces mots tout en insistant sur le fait de ne pas oublier la promesse que je te fais au-travers de cette lettre.

Je t’aime, maman.

Et je serais toujours là pour veiller sur toi, sur vous et faire mon devoir de chef de famille. Ne t’inquiète de rien, et vis ta vie comme tu l’as toujours rêvé.

Ton fils,

Robert

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