Chapitre 7. IRAM - TERRITOIRE D’OUSSANE

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Je marche depuis des heures. Les semelles de mes chaussures ne sont plus que des morceaux de toiles qui s’agglomèrent sous ma voute plantaire, et me font un mal de chien. Je commence à boiter, et je me dis que je serais mieux sans chaussures. Je les jette dans un buisson ardent, puis continue à grimper. Vers le sommet de la montagne. Je suis certain que si Sara se cache quelque part, ce sera au plus haut.

Je m’arrête sur un sentier quelques instants pour reprendre mon souffle. Mes pieds sont en sang. Quelle bonne idée j'ai eu de jeter mes chaussures ! Je ne vais pas survivre encore deux heures sans. Je prie les dieux de m’apporter leur aide comme maman me disait de le faire chaque soir en m’endormant. Je n’ai jamais cru aux dieux, mais là, j’aurais bien besoin d’un réconfort.

Un bruissement à ma droite me fait lever la tête de mes pieds. L’oiseau. Il est revenu. Entre ses griffes, un message. Je me précipite vers lui.

— Tu as retrouvé Sara ? je lui demande dans un souffle.

Il semble épuisé, son poitrail se soulève à chaque battement de cœur. Je lui donne à boire de l’eau de ma gourde que j’ai rempli hier à un tuyau cassé laissant s’écouler un peu des dernières pluies. J’ai eu de la chance, elles sont plutôt rares en cette saison, et les gouttières vîtes asséchées. Quand l’oiseau re-gazouille, je lui détache le mot. Il ne s’agit pas d’une feuille de papier mais de tissu épais, sur lequel est cousu quelques mots. Je les décrypte avec empressement en plissant mes yeux. « Je ne suis pas Sara, mais je peux t’aider à la retrouver. Je ne désire qu’une chose en échange : de la cire royale des territoires de Ménora et de l’encre bleue avec lesquels sont faits les tatouages. L’oiseau me les apportera. »

Ce n’est pas Sara, je pense. Je m’assois sur le sol, en fixant le mot. Après la déception, puis la colère, je me ressaisis. Mais qui que ce soit, cette personne va m’aider à la retrouver. Il faut que je trouve un sceau royal. Celui-ci sert pour envoyer des courriers et représente le symbole du territoire. Chaque territoire a son symbole. Nous l’avons d’ailleurs tous gravé sur notre corps. L’Oussane est symbolisé par le lama, animal mythique escaladant les hautes montagnes. Je ne connais pas ceux des autres territoires, je ne suis jamais sorti de l’Oussane. Tout ce qu’il me reste à faire c’est de trouver un sceau de lama. Peut-être dans l’école. Mais je ne peux y retourner. Si seulement j’avais un appareil photographique comme mon père nous avait ramené de voyage, j’aurais pu prendre mon propre tatouage en photographie. Non, la personne demande un vrai sceau de cire et de l’encre bleu, l’encre invisible qui entre dans la peau lorsque nos tatouages sont gravés à la naissance. Nos tatouages comme un matricule.

Soudain, je repense à ces enfants qui détenait tout et même plus dans leur charrette. Il faut que je les retrouve. La jeune fille m’a parlé d’un lac.

Je rassemble encore mes affaires, et y court. Je pourrai y remplir à nouveau ma gourde, s’il y a le lac n'est pas asséché.

L’oiseau me suit dans de minuscules battements d’ailes.

Après avoir contourné le village pour éviter de tomber sur ces deux individus redoutables qui en ont après moi, je fais face à une longue étendue bleutée qui me fascine. Malgré les destructions de la guerre, le lac reste intact. Ses rives sont bordées de détritus, mais son eau ondule légérement avec le vent et semble résister à l’ennemi. La force de l’eau. Je m’approche et rempli ma gourde. J’en bois quelques gorgées et essuie ma bouche avec mon avant bras. Puis, j’entend des éclats de voix derrière moi. Ce sont les enfants à la charrette. Je suis soudain soulagé de les voir.

— Regardez qui va là, lance le plus grand des garçons. Kram.

— J’ai besoin d’acheter quelque chose, je balbutie.

— T'as de quoi payer ?

— Benny, tais-toi ! salut, ça va ?

La jeune fille s’approche avec un sourire.

— Tu veux quoi ?

—Eh bien…

—On n'a pas que la charrette, on a plein d’autres choses dans notre décharge, ajoute-elle.

— Votre décharge ?

— Oui, suis-moi !

— tu vas lui montrer not’ planque ? T'es sûr de lui faire confiance ?  

— Benny, tu vois pas qu’il est aussi paumé que nous ?

Le petit me dévisage si lourdement que je frissonne. Moi qui était si fort avant, je m’abaisse devant un garçon de cinq ans mon cadet. Paumé, oui, ça me correspond. Le dénommé Benny s’écarte et je suis Jita jusqu’à un renfoncement derière le lac. L’eau s’écoule délicatement en pente dans la roche. Je m’avance et surplombe une colline rocheuse. Un filet d’eau poursuit son chemin vers l’horizon.

— Tu vois là -bas, c’est la mer.

— Vraiment ?

— Pourquoi j’te mentirais ?

— Non je sais pas, j’te crois, pas de souci.

-- Allez on descend.

Derrière moi, Kram cache la charrette garnie derrière des plantes jaunies et on descend pas à pas les roches humides et glissantes. Plusieurs fois, je manque de tomber. Après plusieurs minutes de descente vertigineuse, j’arrive finalement dans une vallée escarpée, recouverte de boue et de détritus : une véritable décharge. Au premier plan, deux tentes rayées comme un chapiteau de cirque sont posées sur le sol. Du linge pend sur un fil, tiré entre les tentes.

— Notre chez nous, me présente Kram fiérement.

 Je ne sais pas quoi dire. Je souris. Ces gamins ont réussis à se faire un véritable foyer loin de la guerre et des gouvernements.

Benny me dépasse et fonce dans la tente la plus petite sur la droite.

— Il a mauvais caractère

— Ca arrive

— Sauf que lui c’ets tout les jours, ajoute Jita. Bon tu veux quoi alors ? On a tout ici.

— Benny a raison, j’ai rien pour vous payer.

Les deux gamins se regardent.

— On peut s’arranger. Tu veux quoi ? répète la fille.

— Je cherche de l’encre et un sceau du territoire, ou d’un autre territoire. Un sceau officiel.

— Hum… fait Kram, y'a que les riches qui jettent leur sceau après utilisation. Chez moi, on les garde de génération en génération.

— On peut ptete trouver ça, ajoute Jita. Mais un sceau… un sceau de n’importe quel territoire ?

— Oui voilà.

— pour faire quoi ?

— Oh ba, c’est pour quelqu’un.

— T’as une amoureuse ? demande benny.

Je ne l’ai meme pas vu arriver. Mais il est juste à coté de moi.

— Non non c’est pour quelqu’un qui a besoin d’un sceau pour... j’en sais rien en fait.. mais si je fais ça pour lui, il retrouvera ma sœur.

— Ta sœur ?

— Elle a disparuil y a plusieurs mois, peut etre même un an, je ne sais plus.

— On a tous perdu quelqu’un ces derniers temps, souffle Kram, les pupilles humides.

-- Ok, on peut te trouver ça. Mais tu vas devoir nous trouver un paiement. C’est pas forcément de l’argent, mais un objet. un objet utile.

— Qu’on pourra revendre bien cher

— Vous avez toujours des acheteurs dans ce village désert, je demande ?

— Plus beaucoup. On va surement devoir s’exporter. Mais comment transporter toute cette marchandise ?

Jita fait flotter sa main autour de nous en désignant la décharge. J’hausse les épaules. Je n’ai pas la moindre idée non plus de comment transporter autants d’objets. Je n’ai sur moi qu’un malheureux sac à dos qui contient tout mes affaires.

Je réfléchis à leur proposition.

— J’ai peut-être quelque chose.

Kram se penche vers moi, ces yeux soudain secs mais avides. Je sors de mon sac mon bien le plus précieux. Je n’ai pas le choix. Le seul objet qui me rapproche aujourd’hui de Sara est sans doute celui qui me permettra de la retrouver. Je dois leur donner pour obtenir ce que mon contact me demande. Je me crois dans un des films policier qu'on regardait ensemble, quand la télé existait encore dans le village.

Le soleil du matin se répercute sur le sablier qui se met à briller lorsque je l'exhibe devant moi. Le sable à l’intérieur ressemble à des paillettes. Je n’ai pas le choix, c’est la seule chose qui ait de la valeur. Sara comprendra. Les trois enfants s’émerveillent devant l’objet. Aussitôt, Kram va fouiller dans le depottoir, et revient une demi-heure plus tard. Enveloppé dans un papier, le sceau y est, intact ainsi que de l'encre bleuté.

-- Merci

— Quand tu veux

— Tu sais, tu nous a payé bien plus que ce que ça vaut, nous te seront éternellement reconnaissant.

Je souris, pour la première fois depuis longtemps. Je sais que je ne risque rien avec eux.

— Tu peux rester avec nous si tu veux, me propose la fille.

— Je… je dois retrouver ma sœur. Je ne peux pas rester.

— Ok, on comprends. qu’est-ce que je ferais sans ces deux là !

L’oiseau pépie à mon épaule gauche. il est temps. Après de brèves embrassades, je jette un dernier regard aux enfants et reprend le chemin du village. Je l’évite pourtant, et continue vers les montagnes. En chemin, je m’arrête pour attacher le sceau autour des pattes de l’oiseau. j’ai gardé de la ficelle de son précédent voyage. Mon oiseau prend du plaisir à jouer le message. Il me mordille le doigt. Je lui donne un bout de pain qu’il me reste. Puis, j’observe l’oiseau battre des ailes, délicatement puis frénétiquement. Il disparaît derrière la montagne. Et si je marchais vers cette direction, que trouverais-je ?

Je continue mon ascension. Dans le silence. Le soleil frappe fort dans mon dos. Je transpire. Mon ventre gronde. J’ai des vertiges, j’accélère mes pas. Je vois une maison en haut. Un chalet dans la montagne. Mes pieds n’ont plus de formes sans chaussures, et endoloris, le sang s’échappe des plaies creusés par les cailloux du sol. Mon sac à dos me pèse aussi. Pourtant, il est presque vide. Je me crispe mais continue d'avancer, je vais y arriver.

En fin d’après-midi, le vent se lève. Il rugit et me frappe le visage. Je grimace. Plus je monte, plus le froid et le vent se durcissent. Je marche plus vite. Je veux arrive ravant la nuit. Je dinstingue la maison entre les roches que j'ai entraperçu tout à l'heure. Et des arbres. Quelques arbres poussent dans ces monts dégarnis, comme une forêt qui doit abriter quelques Griffus et des loups. Les rafales sifflent, j’inhale des bouffés d’air frais pour mieux respirer. Mais l’oxygène vient à me manquer petit à petit. Je dois vite trouver un abri avec de la nourriture, car mon pain est finit depuis plusieurs heures déjà, et l’effort physique me demande plus d’apports. Je n’ai jamais été un grand sportif, je regardais, émerveillé, mes cousins courir sur des kilomètres le long des sentiers du village. Avec Chisi, nous admirions leurs corps musclés, leurs jambes longues s’entrecroisant et faisant voler la poussière sous leur basket. Et aujourd’hui, j’escalade un mont. Je ris en pensant à ce que Chisi dirait en me voyant, incrédule. Je lève la tête et aperçoit les vallées créent par les pics. Je m'y enfonce. De plus en plus haut. Je frissonne en aperçevant à quelques mètres, la carcasse d’un animal balayé par les vents : le reste d’une cage thoracique sans doute. Mais plus le moindre bout de viande accroché pour me rassasier. Au moins, il y a de la vie par ici. Le pas mal assuré, je m’efforce de franchir les derniers mètres que mon corps pourra supporter.

Et d’un coup, je n’en peux plus, je m’effondre sur le sol. Je respire à grandes bouffés d’air, ma poitrine tressaute. La nuit va bientôt tomber. Les larmes me montent aux yeux et je ne peux plus les stopper. Je pense à mes parents que je ne reverrai jamais : mon père partit au combat, ma mère que j’ai abandonné. Ma sœur qui se cache quelque part, j’en suis certain. Je me sens seul. Je ne peux pas retenir l’eau qui vient mouiller mes vêtements et qui forme une bouillasse à mes pieds. J’hurle ma colère contre cette guerre qui détruit des familles, contre ma déréliction dont je souffre. Je me tourne vers le sol, je crache des graviers, je n'ai plus aucune force. Plus que quelques minutes et je vais rendre mon dernier souffle.

Je suis dans un état semi-conscient, mon corps est réchauffé, je sens qu’on me porte, qu’on me soulève du sol, mais je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux. Des effluves de pain d’épices remontent à mes narines, et l’odeur d’un vieux sweat se colle à mon visage. Je perds connaissance.

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