Chapitre 1 IRAM - TERRITOIRE D’OUSSANE

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Les bombes ont frappé comme des soleils. Dans des explosions de lumières intenses et scintillantes. Avec un bruit de fureur, et une chaleur à couper le souffle provoquée par l’impact. Les bombes ont brulé, comme l’astre, toute la vie autour d’elles.

Ça fait des jours que j’observe ces soleils derrière ma fenêtre. Il n’en reste que l’encadrement. La déflagration de l’engin explosif a brisé la vitre en milliers de morceaux de verres.

— Iram, il est temps d’y aller maintenant. Les bleus nous attendent avec une voiture, la dernière avant très longtemps. Dépêche-toi.

Ma mère.

Ça fait des jours qu’on attend le moyen de pouvoir quitter ce champ de bataille, le pays où je suis né, mais qui est aujourd’hui en ruine. Ne me demandez pas pourquoi. Je n’en sais rien, ou plutôt je ne le comprends pas. Des hommes — sont-ils encore des hommes ? — ont choisi de se battre, de se livrer un duel sans fin pour la main mise sur des ressources, un territoire, mon territoire. Sauf que cet espace autrefois modelé de montagnes, de neiges éternelles, de roches ocres et dorées, d’herbe verte et huileuses, de lacs abondants, d’oiseaux enchanteurs n’est plus que ruine, cendre et délabrement. À cause de ce duel sans queue ni tête.

Je ne le comprends pas.

Quand on est enfant, et qu’on joue aux soldats de plombs dans le sable du désert, nos batailles ont toutes une fin. Pourquoi pas celle-ci ? Qu’attendent-ils ? Qu’il n’y ait plus d’hommes pour entretenir cette terre brulée ?

Ma mère veut fuir.

Quand on avait encore la télévision, on nous montrait ces pays avec ces enfants, ces parents, ces vieillards heureux, de l’autre coté de l’océan, les ultra-océanaux, comme on les appelle ici. C’est là-bas que ma mère veut se rendre. Même si pour moi, cela ne fait que nous rapprocher des ennemis, ou nous en éloigner, tout dépend du point de vue. Mais la fuite est-elle plus légitime que l’affrontement ?

— Iram ! Qu’est-ce que tu fais ? Ils ne vont pas nous attendre.

Je me lève doucement et enjambe quelques briques du toit tombées à terre. Il y a un trou béant au-dessus de ma tête. Des fils électriques traversent la pièce, servant de fil à linge. C’est vrai que ce n’est plus ce qu’on appelle une maison avec quatre murs, des fenêtres et un toit de brique rouge. Ce ne sont plus que des cloisons qui nous séparent tous les uns des autres.

J’attrape mon sac à dos. Seul bagage dans lequel j’ai fourré les affaires auxquelles je tiens le plus, les seules qu’il me reste d’ailleurs. Depuis les débuts de la guerre, nous avons changé trois fois de maisons, toutes détruites par les bombardements, et j’ai appris à me contenter de peu.

Nous voilà dehors. Ma mère a enveloppé ses candélabres les plus précieux dans des étoffes, ainsi que les quelques photos de famille qu’elle a conservées. Cette famille qui avec le temps se réduit considérablement. Mon père est dans les combats aux frontières, je ne sais où. Et ma sœur a disparu lorsque le village a été envahi il y a cinq mois par les ennemis, les rouges.

J’enjambe des décombres, croise des gamins affolés, d’autres aux aguets, des familles cherchant parmi les tas de ferrailles et les blocs de ciment, un proche. Le dernier bombardement a fait des ravages. Ils essayent de raser le village et ses habitants, un à un. S’en prennent-ils aux régions autour. J’ai l’impression que seul le territoire d’Oussane et victime de cette hostilité. Qu’en est-il du reste du Royaume ?

Notre trajet se fait dans le silence. La nuit va bientôt tomber. Ma mère porte son doigt devant sa bouche pour me dire de me taire. Pas la peine, je le fais déjà. Nous marchons tous deux jusqu’au grillage qui encadre notre village. Je suis étonné que personne ne nous soit tombé dessus, vu notre démarche hautement coupable. Nous sommes tout de même en train de fuir ! Ma mère a l’air soulagé lorsqu’un homme à la peau mat et au regard vert comme les feuilles du grand hêtre se plante devant notre champ de vision. Elle lui effleure la main, et je détourne le regard. Je ne sais pas comment maman a réussit à obtenir une voiture, c’est le transport des privilégiés. Ce que nous ne sommes pas. Deux autres individus l’accompagnent, ils portent le chèche sur la tête pour se protéger de la chaleur du désert. Nos pas s’accélèrent pour suivre leur rythme. Le vent se lève et pousse le sable dans nos yeux. Je place ma main en visière.

Lorsqu’on arrive devant la voiture, j’observe au loin les montagnes, mon pays, ma culture. Elles surplombent la vallée où nous sommes établis et où pousse l’herbe et paissent les bêtes. Les montagnes sont trop pentues et arides pour y vivre, m’a tant affirmé ma mère. Pourtant, quand j’observe l’homme qui m’avise de monter dans la voiture en vitesse, je suis certain qu’il vit dans les montagnes. Que c’est possible. Je pense soudain à Sara qui pouvait passer des heures à observer la forme pointue de ces monts et s’imaginer en nomade.

Je grimpe dans la voiture qui ressemble plus à une charrette à âne qu’à une voiture de marque ultra-océanique que conduisent les héros dans les films. Elle est déjà remplie à ras bord, je ne sais comment nous nous faufilons là-dedans. Mais on le fait. Deux garçons à peine plus âgés que moi et aux traits tirés laissent une place assise à ma mère. La voiture franchit la cicatrice invisible qui sert de frontière. Les gardes nous ont laissé passer, probablement payés avec de l’argent sale. Le parcours est tortueux, et nous sommes brinquebalés dans l’espace clos. La chaleur est insupportable. Sans regard sur l’extérieur, je ne sais où nous sommes ni combien de temps dure le trajet. Je me penche vers ma mère pour lui demander mais un coup de frein me rejette en arrière et je percute la porte arrière du camion.

« Ça va ? » forment les lèvres de ma mère, assise sur la banquette en tissu déchiré. Je hoche la tête. La voiture tremble à chaque affaissement de terrain, les pneus crissent sur les cailloux et s’embourbent dans le sable. J’espère que le conducteur sait y faire.

Et puis j’entends un cri. Un appel à l’aide. D’une voix que je reconnaitrais entre mille autres. Cassée, railleuse mais harmonieuse. Où chaque son s’imbrique parfaitement. La voix de Sara. Que je n’ai pas entendu depuis plusieurs mois, mais qui aujourd’hui m’appelle.

Je m’exclame :

— Arrêtez la voiture !

Les personnes entassées dans le moyen de transport à mes côtés me regardent avec des yeux ahuris.

— T’as envie d’pisser, tu t’retiens, vocifère un des voyageurs.

— Non non, c’est pas ça, c’est ma sœur.

À ces mots, ma mère se lève.

— Il faut aller la chercher, elle a besoin de moi, vous n’avez pas entendu ?

— Entendu quoi gamin ? Y’a que les soubresauts de la route, et ta voix exaspérante ici. Les ronflements de Payo aussi.

Le dénommé Payo, bercé par la route, s’est endormi sur la banquette. À ses côtés, j’observe ma mère dont les joues ont pris une légère teinte vermeille, sous son fichu. Je croise son regard noir qui m’ordonne de me taire en silence.

— Ta sœur est partie Iram, me souffle t-elle.

L’homme aux yeux verts, pose sa main sur mon épaule, de son regard attendrissant. Personne ne veut m’écouter. Très bien, j’agirai seul.

Je jette un dernier regard à ma mère, qui elle, a froncé les sourcils de pressentiment. D’un geste, j’actionne la poignée de la portière arrière de la camionnette, qui s’ouvre dans un grincement. La voiture continue de rouler à vive allure.

— Qu’est-ce qu’il fout ?

— Il va nous faire repérer.

Sans hésiter, je saute en route, et roule sur le sol. Mes chevilles n’apprécient pas l’impact, et je ravale un cri de douleur.

—Iram ! me crie ma mère à bord du véhicule.

Je continue de rouler, emporté par la vitesse. Je n’arrive pas à m’arrêter, je dévie de la route, droit vers un fossé, où les arbustes arrêtent ma chute. Les caillasses sous mes bras me lacèrent. La voiture dérape dans un nuage de poussière mais ne s’arrête pas. Je n’ai même pas regardé ma mère lorsqu’elle a crié mon nom, j’ai honte. Je suis seul face à l’immensité des montagnes.

Le village est loin maintenant et y retourner serait trop dangereux. Les gardes, la maison vide, la guerre. Je regarde les montagnes au dessus de moi. Elles m’appellent, ma sœur m’appelle. Comme si elle s’y trouvait.

Sans tergiverser, je grimpe. Mon sac rebondit dans le bas de mon dos, la terre lèche mes baskets élimés. Je commence l’ascension.

Je quitte le sable et les cailloux, pour des roches, de la terre.

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