Liz ou une autre, la patience n’avait jamais été son fort, et il le savait. Elle n’arrivait plus à comprendre les mots que prononçait Silvia, elle avait besoin de réponses. Elle décidé alors de le laisser gagner. Pour cette fois. Gentiment, mais fermement, elle demanda à Silvia d’aller chercher un peu de café. Cette dernière s’étonna en constatant que la cafetière était encore aux deux tiers pleine, mais un coup d’œil à son auteure lui suffit pour saisir qu’elle devait quitter la pièce, maintenant, et sans faire d’histoires.

  Dès qu’ils furent seuls, la jeune femme ouvrit la bouche prête à se lancer sans retenue dans une longue tirade glaciale dont elle seule avait le secret, mais il la coupa dans son élan d’un geste de la main. Faussement offusquée, réellement surprise, elle s’affaissa dans sa chaise et le toisa du regard, attendant qu’il se justifie.

  Il lui lança un sourire arrogant et posa négligemment son carnet sur le bureau. Un soupir plus tard, il était debout dans la pièce et tournait en rond sous son regard.

  Ses beaux yeux chocolat le déshabillaient sans chercher la discrétion mais le frisson, elle devait renverser la situation, il avait pris le dessus, mais ça ne devait être que provisoire. Elle croisa les jambes et joignit les mains autour de ses genoux, dévoilant quelque peu le début de ses cuisses. Puis, elle laissa son regard courir le long de ses bras où il avait retroussé au trois quart une chemise noire dont il avait trouvé judicieux de ne pas attacher les trois premiers boutons. Elle observa sa main droite, la gauche étant glissée dans sa poche. Cette main qu’elle avait tenue, embrassée. Elisabeth se surprit alors à retomber dans des souvenirs qu’elle croyait enterrés et oubliés. Prise à son propre jeu, elle perdait pieds et tout les deux le savaient.

  C’est ce moment précis qu’il choisit pour passer à l’offensive. Il alla prendre appui contre le bureau, se rapprochant d’elle de façon à ce que leurs jambes puissent se frôler, puis il croisa les bras sur sa poitrine. Son regard se planta dans le sien et il attaqua :

  « Étonnant que tu n’aies pas encore pris mon carnet. Mais bon, pour récompenser cette preuve de patience et qui sait, peut-être de confiance, je vais être direct. J’aime ton style, j’aime tes histoires et je pensais tout ce que je t’ai dit l’autre jour, seulement voilà, il y a des choses à revoir.

  — Des choses à revoir ? Elle gloussa. Je ne changerai rien Thibault et je ne te laisserai sûrement pas mettre ton nez là-dedans. Et puis de toute façon, c’est marqué dans le contrat, tu n’as rien à redire.

  — Rien n’est signé il me semble ? Il marqua une pause. Ecoute Liz, tout ce que je veux c'est t'aider, alors je te propose la chose suivante...

  — Inutile de te fatiguer Thibault, c'est avec Silvia que je vais régler tout ça.

  — Hu, il émit un léger rire. Ah Silvia. Une femme d’affaire extra, vraiment. Mais en tant qu’éditrice, elle est, disons, moins extra ? Tu pourras sûrement lui faire inclure toutes les clauses que tu veux dans son contrat. Même une clause anti-Thibault si ça te chante. Tant que vous restez au moins à cinquante-cinquante, ça lui va.

  — Où veux-tu en venir Thibault ? demanda-t-elle, la voix complètement vidée de toute agressivité.

  — Tu es douée, très douée Liz, mais ce n’est pas d’une équipe pour te corriger et te vendre dont tu as besoin. Il te faut une personne avec un avis objectif qui se chargera de te bousculer, de te stimuler et de te faire progresser. Déclara-t-il avec sérieux.

  — Et cette personne c’est toi ? Ironisa Elisabeth sur la défensive.

  — Exactement. Et pour te prouver ma bonne foi, je change les termes du contrat : cinquante et un pour cent pour toi, quarante-neuf pour moi. Je veux un droit de regard sur tout ce que tu fais mais tu auras le dernier mot quoi qu’il arrive. Dit-il d’une voix rassurante qui lui avait manquée malgré elle. »

  Un silence tendu envahit l’immense pièce. Son genou contre les siens. Le calme qui émanait de son corps. Le bruit de sa respiration qui lui parvenait aux oreilles. Son parfum qui chatouillait ses narines. Tout la déconcentrait. Elisabeth ne pouvait pas réfléchir ici, pas si près de lui. Un soupir s’échappa de ses lèvres lorsqu’elle senti le tissu de son pantalon sur son mollet en décroisant les jambes pour se lever. Elle consulta sa montre et déclara sans le regarder qu’elle devait partir. Il lui fallait sortir de ce bureau et s’éloigner de cet homme qui empêchait toute réflexion raisonnée.

  Assise à la terrasse d’un café, Elisabeth remuait sa cuillère en plastique dans son thé vert sans sucre. Elle avait été incapable de rentrer chez elle après sa conversation avec Thibault. Retourner à sa vie normale et oublier ce qui venait de se passer lui semblait impossible. Sa rencontre avec Silvia, son engagement avec cette dernière. Non, Liz ne pouvait décemment pas tout laisser tomber à cause de Thibault. Elle était une femme déterminée maintenant et bien résolue à prendre les décisions qui s’imposaient.

  Elle but une gorgée de son thé et grimaça au contact du liquide presque froid dans sa bouche. Le destin lui envoyait un signe. Du moins c’est de cette manière qu’Elisabeth décida de l’interpréter. Elle était là depuis trop longtemps, à tergiverser à propos de lui au lieu de penser au plus important. Son livre. Elle ne savait pas comment il était arrivé entre ses mains, et si elle voulait le découvrir, elle n’avait pas le choix, elle devait signer ce contrat et le pousser dans ses retranchements. Le faire avouer et disparaître pour de bon. Il souhaitait la ramener dans sa vie, alors elle allait y revenir. Une dernière fois.