Chapitre 0

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Kelsey Vega

365 jours avant Alicia

Kelsey observait son professeur depuis une bonne demi-heure. En plus de sa taille hors norme, son visage sec et sévère intimidait la plupart des élèves.

Sauf Kelsey.

Elle aimait plutôt détailler sa physionomie, partant de ses cheveux grisonnants et repoussés en arrière, indiquant un faible évident pour l’ordre et la propreté, ses habits sans plis jusqu'à son alliance qui lui révéla la présence d’une famille calme et tranquille. Ses yeux plissés et minuscules lui firent comprendre qu’il ne se laissait pas berner facilement.

Mais tout ça, elle le savait depuis qu’elle avait mis les pieds au lycée. En fait, elle connaissait les défauts et les vilains désirs de tous les professeurs présents, de tous les élèves,

De la directrice,

Jusqu’au concierge.

Kelsey repoussa d'un geste délibérément long et gracieux ses cheveux châtain clair derrière son épaule et tourna son visage vers son amie, Olivia, qui frappait furieusement l'écran de son portable de ses ongles fraichement manucurés. Au bout d’une éternité, Olivia se rendit compte de son regard insistant et releva la tête. Ses pupilles vertes ombrées se fixèrent sur elle. En chuchotant, Kelsey se pencha pour lui parler.

- Regarde. Ils sont tous morts de trouille.

Son amie haussa un sourcil et observa la classe. Kelsey vit ses yeux déchiffrer, scruter et analyser les visages. Elle l'effectua si efficacement que Kelsey eut une soudaine envie de sourire. Ces deux-là étaient incontestablement faites de la même souche. Parfois, il arrivait même que certains clients de son père les confondent. Ceux qui ne les connaissaient pas assez bien pour remarquer leurs quelques différences. Pourtant, ces erreurs ne dérangeaient pas Kelsey. Elle aimait ressembler à Olivia tout autant qu'Olivia la complétait. Elles étaient pareilles à deux dagues jumelles, terriblement aiguisées et terrifiantes.

Pareilles.

- Grave. Putain, on dirait que M. Davis va se faire. Pathétique, cracha Olivia en faisant la moue.

Kelsey ricana et se redressa. Le professeur lui jeta un coup d’œil mais dès que leurs regards se croisèrent, il se détourna vers le tableau pour continuer son cours. Elle ne le releva pas. Ils avaient tous peur dès que l’une d’entre elles daignait porter leur intérêt sur leur minable visage. C’était ainsi que leur monde tournait depuis leur enfance. Le pouvoir et l’argent terrifiaient, rendaient jaloux et broyaient la plupart des humains.

Alors pourquoi leur monde devrait-il changer ?

Lorsque la cloche retentit, Olivia et Kelsey ramassèrent leurs sacs et sortirent de la classe trainant leur brillante chevelure lisse. Marchant côtes à côtes, Kelsey remarqua qu’une fois de plus, certains élèves, garçons ou filles, se retournaient, chuchotaient ou les admiraient en discrétion. Kelsey était fière de cet effet. Elle aimait sentir que personne ne restait indifférent à leur passage. Avec Olivia, un sentiment immense de joie, de fierté et d’étrange soupçon de cruauté gonflait dans sa poitrine. Elle releva le menton, toisa les filles qui s’habillaient horriblement mal, ou bien, et composa son plus beau regard sensuel.

Olivia s’arrêta à son casier, toujours pianotant sur son portable et soupira. Adossée à sa droite, Kelsey plissa les yeux.

- Tu ne cesses de mordre ta lèvre inférieure depuis 45 minutes. Ce qui est franchement du gâchis, si tu veux mon avis.

Bien loin d'être inquiète par cette remarque, Olivia jeta un regard dans le petit miroir transposé dans son casier. La plupart des personnes sur cette terre auraient trouvé ce comportement plus qu'étrange. Qui avait envie que son amie l'observe aussi scrupuleusement pendant des heures, voire des jours ? Pourtant, c'était le socle sur lequel l'amitié d'Olivia et Kelsey se reposait. Leur quotidien familial se composait de doutes et de coups bas, alors il en était de même pour leur vie de lycéenne. C'était même un des jeux les plus amusants qu'il existe pour les deux jeunes filles.

- Je n’en veux pas, merci, ironisa Olivia.

- Qui t’ennuie de la sorte ? enchaina Kelsey en ignorant sa remarque.

Olivia observa tout de même sa lèvre pour vérifier que son rouge à lèvres était bien en place et leva les yeux au ciel.

- Liam. Il veut absolument que je vienne à sa fête samedi, mais il me gonfle.

- Liam Romero ? LE capitaine de rugby, celui qui est aussi canon que le mannequin avec lequel tu es sortie l’année dernière ?

Olivia tourna la tête dans sa direction. Ses cheveux presque blonds, pareils à ceux de Kelsey, reflétèrent la lumière du soleil. Olivia était belle. Plus que belle. Elle possédait un visage parfaitement symétrique, petit et charmant. Elles avaient beau se ressembler, Olivia détenait quelque chose que Kelsey n’avait pas.

Des lèvres charnues et naturellement pigmentées.

- Oui. Celui-là même. Épargne-moi tes conseils, il m’exaspère et avec cette histoire de charité, mes parents n’arrêtent pas de me faire chier pour que je donne le bon exemple. Bref, ils veulent que je fasse ma bonne élève super désolée pour les enfants pauvres et faire genre je suis peinée.

- Mais tu ne l’es pas.

- Exactement…

Olivia releva soudain les yeux. Kelsey se tourna dans la même direction et découvrit Sasha Miller avancer au bout du couloir. Un mélange d’excitation et de crainte s’emmêla alors dans son estomac. Il y avait de cela un mois, Sasha avait eu la malchance de renverser son plat de pâtes à la tomate sur la blouse blanche d’Olivia.

Et la stupidité de l’insulter lorsqu’Olivia l’avait menacée.

D’un côté, Kelsey était restée admirative devant cette Sasha. Ce n’était pas tous les jours que des élèves osaient riposter contre deux des familles les plus puissantes de l’Etat. Les Vega et les Crawford imposaient la loi, le respect et la soumission depuis des siècles. Alors quand Sasha s’était révoltée, c’était devenu le silence le plus terrible de l’histoire de cette école. Absolument tout le monde avait retenu son souffle, Kelsey y compris. Tout le monde avait attendu le coup de grâce, la sentence qui s’abattrait sur cette pauvre élève. On avait même pu voir certains élèves qui arboraient déjà des regards désolés pour celle-ci.

Mais Olivia n’avait rien fait. Rien dit. Non, elle avait plus exactement répondu :

- Tu as raison. Ce n’est qu’une blouse. Excuse-moi.

L’anarchie avait été au rendez-vous. Sasha aussi n'avait plus su quoi dire, malgré son bref accès de courage. Depuis, on racontait qu’Olivia s’était radoucie, qu’elle avait changé, que les deux filles les plus populaires du lycée étaient devenues sympas. D’autres, attendaient le moment fatal où Olivia abattrait son châtiment.

Kelsey attendait aussi.

Elle suivit des yeux Sasha, qui hésita à leur rencontre mais qui se détendit lorsqu’Olivia lui sourit. Elle osa même hocher la tête dans leur direction. Kelsey marmonna dans sa barbe en direction de son amie.

- Tu vas vraiment la laisser s’en sortir comme ça ?

Olivia resta silencieuse et ferma son casier dans un sang-froid parfait. Pourtant, Kelsey remarqua ses poils des bras qui se hérissèrent et ses joues qui se colorèrent.

Elle est joyeuse. Impatiente. Mais…

Soudain, un cri terrible retentit. Un cri chargé de larmes, déchirant et plaintif. Immédiatement après, les élèves qui se trouvaient dans le couloir à ce moment-là se dirigèrent vers le cri en se bousculant. Kelsey les observa furtivement avant de fixer son amie.

Sans lui laisser le temps de la questionner, Olivia lui prit la main et la poussa vers ce raz-de-marée humain. Les élèves s’écartèrent pour les laisser passer. Le silence était encore plus effrayant que si tout le monde hurlait. Une fois au centre du cercle, Kelsey se retint de couvrir sa bouche de ses deux mains.

Sasha était par terre, dégoulinante de peinture rouge qui empestait affreusement l’oignon. Avec une mine de dégout, Kelsey recula pour ne pas marcher dans la flaque. Olivia elle, l’observait avec la curiosité d’un laborantin devant son rat se fichant complètement de tremper ses nouvelles chaussures blanches dans la peinture de couleur sang.

- Oh, Sasha. Mince alors ! Mais que t’est-il arrivé ? minauda-t-elle.

Elle ne faisait même pas l’effort de cacher sa joie. La pauvre Sasha tenta de se lever mais glissa et tomba au sol, éclaboussant les élèves de première ligne. Ils firent tous un bond en arrière, jetant un regard noir à la fille. Olivia éclata de rire devant la deuxième tentative de Sasha.

Les autres l’imitèrent et bientôt, Kelsey ne pouvait même plus s’entendre respirer. Alors Olivia se tourna vers le cercle et marcha autour d’eux en leur offrant son plus bel angle. Ceux-là hurlaient en levant le poing à son passage et pointant du doigt Sasha, tout en rejetant leur gueule en arrière. Olivia ressemblait à une déesse, une déesse qui venait jeter son courroux sur une pauvre petite humaine fragile et stupide. Elle cessa alors son petit tour pour s’accroupir devant la jeune fille qui pleurait désormais à chaude larme en se pinçant les lèvres.

- Tu as raison Sasha. C’était stupide de ma part de te menacer. La vengeance est tellement meilleure lorsqu’on ne s’y attend pas.

La voix d’Olivia ressemblait à une coulée de miel et de sucre empoisonné. A côté d’elle, Sasha était laide, affreuse et dégoutante. La belle blonde releva alors les yeux vers Kelsey et lui offrit le même sourire que lorsqu’elles trouvaient une nouvelle idée pour ridiculiser quelqu’un. Kelsey comprit instantanément ce qu’elle lui demandait.

Elle fouilla dans son sac et sortit son portable. La moitié des élèves avaient déjà commencés à filmer mais quand Kelsey leva la caméra vers Sasha, ce fut l’explosion de sentiments humains. De « Allez vas-y, filme ! », « Elle le mérite ! Elle a insulté les Crawford ! », « T’es la meilleure Kelsey, filme cette pétasse ! ». Ses mains commencèrent à trembler. Cependant, Kelsey se reprit tout de suite, enfouissant ses propres émotions au plus profond de son âme. Elle ne ressentait rien. Rien.

Sasha l’observa en suppliant.

Les élèves hurlèrent son nom.

Olivia lui intima de se dépêcher toujours en souriant.

Sasha pleura.

On scanda son nom.

Non.

En fait, elle ressentait peut-être quelque chose.

Oui.

Du plaisir.

Kelsey aimait ça. La puissance. Le pouvoir d’écraser. De tout démolir. De tenir quelqu’un sous sa coupe.

Et avant de se sentir effrayée par ces émotions, Kelsey enclencha la caméra.

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