Chapitre 2 "La tribu"

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On avance, tous emmené de force au fin fond de la forêt. Saliana ne dit rien, elle regarde les hommes qui la tiennent, de temps en temps elle ouvre de grands yeux. Je ne peux pas la protéger et je m’en veux. Je lance souvent des regards meurtriers à Tiago, il nous avait dit qu’il connaissait la forêt, je pensais que les lieux étaient sans danger pour des touristes.

La forêt défile devant nous. Nous arrivons dans une petite clairière, vers une rive de l’Amazone. C’est un petit village de huttes sur pilotis. C’est joli, enfin… jusqu’au moment où on nous jette de force dans une cage faite en os.

—De l’humain ! hurle Anastasia.

—Nous sommes chez les Amazonniens, une petite tribu cannibale. Nous sommes tous perdu, explique Tiago.

—Cannibale ! Cannibale ! Criais-je. Cannibale !

—Chéri calme toi, ça va aller, essaye de me rassurer Saliana.

—Tu avais raison, Tu ne te trompes jamais avec ton instinct. Saliana pardonne-moi.

Elle me serre contre elle. S’énerver ne servirai à rien. Je serre mon amour contre moi. Passons ces derniers instants, ensemble. Nous resterons ensemble, mourrons ensemble. Je tente de ravaler ma peur. Comment ma petite amie peut-elle rester aussi calme ?

Les hommes de la jungle allument un grand feu. Ils bougent dans tous les sens mais tous leurs mouvements sont très précis. C’est à la fois magnifique et terrifiant. Un peuple vivant au milieu de rien, pourtant ce rien ne semble pas déranger plus que ça. C’est fascinant. Moi, qui à la banque entends tout le temps des gens qui se plaignent de ne pas en avoir assez. J’ai maintenant en face de moi, un peuple sans rien et qui vit parfaitement bien.

La cage s’ouvre, c’est moi qui suis emporté de la cage. J’essaye de me défendre, mais voyant que je ne fais pas le poids contre des hommes beaucoup plus petit que moi, je laisse tomber ce combat perdu d’avance. Je suis déshabillé de force. Mon jeans, ainsi que mon t-shirt sont jetés dans le feu qui est à côté de moi. Je suis attaché contre un poteau, tout nu. Ma fin est proche ! Je vais être dégusté avec des petits bouts de racines !

Saliana s’agite. Elle me fait penser à lionne dans une cage. Un des hommes s’approche de moi avec un couteau, j’ai soudain peur, on va me manger les tripes, tout mon corps. Je suis trop jeune pour mourir. Surtout bouffé par des sauvages. Je tire sur mes liens, mais ils sont solides. Le stresse monte encore plus. Il est tellement haut et puissant que la peur m’empêche de respirer correctement. Je jette un dernier un coup d’œil à ma Saliana qui regarde autour d’elle, les larmes aux yeux.

Elle semble chercher quelque chose. Son beau regard brun se pose sur moi, elle me sourit, je sens soudain le couteau entailler la peau de mon torse. Ma douleur est immense. Je ne sais pas si c’est à cause de la plaie ou alors à cause du fait que je vais mourir dans une forêt. Un cri couvre le mien.

Saliana hurle depuis la cage. Elle prononce des mots inconnus pour moi. Je reconnais sa fameuse langue, elle pourra peut-être nous sauver, au moins nous deux, les autres si c’est une question de survie, il n’y a plus aucune loi. Je protège juste celle que j’aime. Un grand homme, enfin grand, pour la tribu, parce qu’il doit m’arriver aux épaules, se présente devant elle, il regarde Saliana. Il porte un pagne, de très longs cheveux gris lui tombent dans le dos, il porte beaucoup de bijoux en os, ainsi que des blessures et même des tatouages, tout le long de son corps nu. Une femme ouvre la cage, elle tire Saliana dehors et la serre dans ses bras, pleurant presque. Il me manque un bout de l’histoire… Le vieux hurle à tous son peuple quelque chose. Saliana se force à sourire sous les cris de joie d’une tribu soudain en fête.

Je viens de comprendre ! Elle fait partie de cette tribu de cannibale ! C’est pour cela qu’elle arrive à se faire comprendre. Une langue qui ne s’écrit pas, c’est une langue qui n’est pas connue. Une langue pas connue ne peut se trouver que dans des endroits aussi reculé de la civilisation moderne. Elle passe à côté de moi. Je la regarde.

—J’essaye de nous tirer d’affaire, laisse-toi faire.

Je lui obéis de toute façon je n’ai plus rien à perdre, et je ne vais pas aller bien loin, ligoté, au milieu de bouffeur de chaire, au milieu d’une forêt mortelle, au milieu d’un pays, au milieu de l’océan. D’accord j’arrête…

Ma petite amie est un membre de cette tribu. Je suis amoureux d’une cannibale. Moi qui rêvais d’une vie hors du commun, je suis servi. Note à moi-même : Ne prie plus n’importe quoi !

Pendant quelques minutes, rien ne se passe, je vois Saliana parlementer avec le chef du village. Au moins, plus personne ne me touche, avec l’espoir que l’on va peut-être survivre, j’en oublie presque la plaie.

Pour finir, je suis détaché et jeté devant Saliana. Je la regarde avec un peu de peur dans le regard. Elle continue de s’expliquer avec le vieil homme, gesticulant dans tous les sens. J’entends juste mon prénom dans ce qu’elle baragouine.

—Tu as de la chance. L’homme. Ma petite-fille est de retour.

Sa petite fille ? Si je m’y attendais. Saliana m’aide à me relever, elle suit la dame qui pleurait dans ses bras. Moi sur ses talons. Cette dame semble toute excitée et ne cesse de poser des questions à Saliana. J’imagine que ce sont des questions. Elle nous mène vers une hutte, laissant Saliana avec moi. Seuls.

—Tu viens de ce village ?

—Oui, j’ai reconnu grâce à la langue qu’ils parlent. Mes parents ne me l’ont jamais vraiment dit. Cette dame est la sœur de ma mère. Le vieil homme, c’est le chef du village et le père de mon père. Il parle juste un peu anglais. Enfin tu as vu. Je leur ai dit que tu étais mon mari et que nous étions à la recherche de ce village pour que je puisse retrouver ma famille. Joue le jeu, sinon, je ne veux pas savoir comment ils comptent nous cuisiner. Et il va aussi falloir que tu apprennes rapidement la langue, en gros adapte toi, c’est mieux. Je t’aime Nolan, c’est le seul truc que j’ai trouvé à dire.

—Tu as déjà tellement fait. Tu viens de nous sauver la vie. Tu viens de nous offrir une seconde chance de vivre. On aurait dû partir à la recherche du village des Schtroumpfs. Ils sont moins dangereux.

Je la serre contre moi. Elle sourit dans le creux de mon cou. Si je peux la faire sourire dans une situation aussi horrible, je suis content.

—Il va falloir que tu te mettes au cannibalisme. Je sais que tu pestais souvent contre la viande en ville mais ici, pas le choix.

—Si pour survivre, je dois manger de la farine de fémur, alors je le ferais.

Sa tante revient, elle a avec elle les habits que toute la tribu porte. Je comprends très vite que c’est de la peau animale, mais de la vraie. Elle me la tend et dit quelque chose que je ne comprends pas. Ça sonne comme un charabia impossible à traduire.

—Ça veut juste dire « je te donne cette peau pour t’habiller ». Je vais répondre à ta place, si tu veux.

J’obéis aux ordres des deux femmes et m’habille de cette peau animal noir avec des taches ocres. J’ai l’air de quoi là-dedans ? La femme me sourit. Elle me dit juste :

—Nartanis.

Je regarde la femme, elle me signale juste que c’est son nom. Saliana me sourit, elle se met aussi au style de la tribu. C’est uniquement le bas de notre corps qui est vêtus. Chez les hommes comme chez les femmes le haut et libres. Le seul accessoire en plus que ma petite amie porte, c’est une sorte de grosses lanière en cuire (dont je ne veux pas savoir l’origine) qu’elle doit enrouler autour de son bras gauche.

Il va falloir que je m’y habitue et vite ! Saliana sort de sa poche de jeans le bout de papier qui la suit depuis New York. C’est un article sur la tribu cannibale des Amazoniens. Je comprends maintenant pourquoi elle s’en est prise à ce journal. Elle ne voulait pas m’inquiéter de ce qui traînait dans la jungle. Manque plus que Mowgli et l’ours chanteur et mon cauchemar serait parfait !

—Reflet de lune ! crie le vieil homme.

Saliana rigole. Reflet de lune, c’est la traduction de son prénom. Elle précise qu’il n’y a pas de besoin qu’il le traduise. Nous arrivons à nouveau au centre du village. Mes pieds nus s’enfoncent un peu dans la terre. C’est agréable comme sensation. Je n’avais jamais ressentis ça avant. Ceux qui viennent du même monde que moi me regardent avec de grands yeux. Je suis de l’autre côté de la cage. Je suis soudain fier d’avoir laissé mon cœur à cette cannibale.

La forêt est splendide, même dans cette atmosphère assez étrange. Je suis de loin ma belle qui est entourée de ses congénères. Je me sens horriblement étranger. Le blanc bec au milieu de la forêt. Je remarque des regards noirs sur moi. Je me fais tout petit, du moins petit, pour un homme aussi haut qu’un poteau électrique. Mon mètre nonante ne passe inaperçu dans cette forêt.

Je sursaute lorsque le vieux du village se retourne vers moi. Je me redresse ! Je ne bouge pas. J’attends. Il s’approche de moi. Le vieux sens étrangement bon. Une odeur de bois. Sauf quand il me souffle au visage. Je serre les dents.

—Adapte-toi ou meurt.

Clair, direct et précis. Merci ! Je lui souris. Saliana avance vers moi. Pourquoi j’arrive encore à avoir des pensées déplacées en la voyant. Il doit me manquer quelques cases. Elle me murmure :

—C’est là que ça se gâte. Le chef n’est pas trop emballé pour un étranger dans la tribu, il voudrait te tuer et me marié à un homme du village. Mais je lui ai dit que s’il te touchait, je retrouvais la civilisation moderne et qu’il ne me reverra plus jamais, ni mes descendants, ni mes parents. Le chantage a fonctionné. Il accepte à une condition. Tu dois manger quelqu’un. Nolan, fait ton choix. Je t’aime mais je ne te le pardonnerai pas si tu venais à tourner de l’œil ou à faire quelque chose de stupide. Il est temps que tu sortes de ton confort de saloperie de New-yorkais, sois tu restes avec moi, sois tu meurs. Mais si ça peut te rassurer, je ne suis pas plus à l’aise.

Je regarde ma belle. Le choix, cette fois m’appartient. Quand a été la dernière fois que j’ai pris une décision aussi cruciale ? Je ne m’en souviens même pas ! Ma vie a toujours été guidée par quelqu’un d’autre… Me voilà maintenant face à ma vie. Je n’ai rien fait. Sans plus réfléchir je regarde ma belle et lui dis, en la regardant droit dans les yeux. Mon choix a été pris depuis longtemps.

—J’avais pensé à une demande en mariage un peu plus romantique, mais si au lieu de la coupe de champagne, ce sera une feuille de sang où se trouve une rondelle de vertèbre comme anneau. Alors je le ferai. Saliana, pour ton amour et notre vie à deux, je ferais tout ce que tu veux.

J’essaye de faire passer le plus de confiance dans mon regard. Mais au fond de moi, comme un enfant, je prie ma mère. Je dois me mettre à trembler parce que ma belle me donne une puissante gifle. Surpris et soudain réveillé, je croise les yeux remplis de colère de ma belle Saliana. S’ils avaient pu lancer des petits couteaux, je serais mort depuis longtemps.

—M’épouser ? Tu dis ça parce que ta mère te l’a demandé, je-ne-sais combien de fois. Tu sais très bien que je ne suis pas assez bien pour toi. Elle aurait préféré une catho coincée ! Arrête de trembler, sois un homme ! Jusqu’à présent tu n’as rien fait. Je me débrouillerai bien mieux sans toi ! Tu sais quoi, casse-toi ! Je préfère que tu partes et retourne à ta vie de robot que de te voir trainé ici !

—Mais tu ne vas pas bien ! Parce qu’on a fini chez les fous que tu crois pouvoir me parler comme ça parce que c’est ta famille, je m’énerve à mon tour.

Saliana me pousse et demande à haute voix quelque chose. Personne ne se fait prié. Tout le village bouge dans tous les sens. La cage s’ouvre et ils sortent notre guide. Comme moi avant, dénudé et ligoté au centre du village, il nous supplie. Mais ce n’est plus ma priorité. Ma priorité, c’est la folle que je prenais pour ma copine. Cette fois, j’ai la certitude que ce n’est pas un cauchemar.

Le village s’exécute toujours aux ordres du chef qui exécute toutes les envies de sa petite-fille. Tiago hurle, pleure et insulte tout ce qu’il peut. Il essaye de ce libérer. Comment une forêt aussi silencieuse peut soudain se transformer en plein centre-ville de New York ?

Je hurle à Tiago de la boucler. Il est surpris. Tout le village s’arrête net. Comme si le temps s’est arrêté. Je me tourne vers Saliana, elle ne bronche pas. Elle affiche même un sourire en coin.

Les indigènes reprennent leur activité, mais cette fois avec beaucoup moins de bruit. Me fichant éperdument de ce qui se passe autour ou de comment va être mangé Tiago, je commence une bagarre de regarde avec Saliana. Aucun de nous deux ne bougeons. On s’insulte en silence, on se hait pourtant je ne peux m’empêcher de garder l’amour que je lui porte. J’aime cette femme, mais dans l’immédiat, j’aurais envie de l’étrangler.

Après une durée indéterminée, une dame bien attaquée autant par la forêt que par le temps, lui apporte un bol en terre. Saliana détourne le regarde. Elle me le donne. Le bol est chaud et l’intérieur fume. Je vois un liquide brun visqueux dedans, il y des morceaux de viande, lorsque je tourne la tête. Je vois le cadavre de Tiago, pendouillant, devant le grand feu. Je manque de vomir, mais je me retiens. Je ne dois pas me défiler, ce n’est plus le moment.

—Vas-y mange !

—Après toi ! Tu me fais la morale, mais est-ce que tu pourrais aussi le faire ! Mange toi aussi. Après tout, c’est surement une spécialité. Le ragout de guide brésilien tué il y a quinte secondes !

A nouveau, nous nous regardons. Ses yeux passent du bol à moi. Je serre mes mains autour. L’odeur me donne des haut-le-cœur. Rien que l’idée de ce qui se trouve au creux de mes mains me donne envie de ressortir ce que j’ai mangé il y a deux jours. Ce n’est pas parce que j’ai faim que je vais manger un autre être humain.

Le chef de la tribu arrive vers nous. Il regarde la belle et moi. Deux doigts dans le bol, il en tire un long morceau de viande. Qu’il mange sans plus se poser de question. La morale est morte dans ce village. Et si c’était ma morale qui était fausse ? Voilà que je me mets mon éducation en doute.

—Comme ça. A toi, sinon tu es mangé aussi, on ne gâche pas de la nourriture.

—Non, on ne gâche pas, c’est vrai, vous avez raison.

Je prends une grande respiration de courage. Je tiens le bol d’une main et regarde Saliana une dernière fois avant de plonger mes doigts dans le liquide visqueux. Je manque de vomir au moins trois fois avant de toucher un morceau mangeable. Elle me regarde avec des yeux ronds comme des soucoupes.

Comme le vieux, je lève un lambeau de viande et le mange. Je mâche un peu avant d’avaler. Est-ce que je suis un monstre si je dis que c’est bon ? C’est tendre et cela a un petit gout sucré. Ce n’est comme aucune autre viande que j’ai mangé jusqu’à présent. Au diable l’éthique et mon éducation. Je reprends un morceau de viande humaine et le mange encore devant les yeux ébahis de Saliana. Je n’ai rien avalé depuis deux jours. C’est moi l’étranger, je n’ai pas à faire la fine bouche, surtout si je ne veux pas finir dans ce petit bol dévoré par un autre homme. Je jette un coup d’œil au vieux de la tribu, il m’encourage à finir. Ce que je fais. Je ne me fais plus prié. La tante de Saliana prend le bol et le rempli à nouveau. Je le tends à ma copine.

—A toi. Tu disais quoi sur moi avant ?

—Tu me dégoutes…

—C’est une blague ! J’essaye de me sauver la vie, m’incitant à faire la même chose qu’eux, lorsque je fais enfin un choix, certes sans plus aucune morale. Je te dégoute ! Saliana met-toi bien cela dans la tête, je t’aime, mais il faut avant tout survivre. Mon amour est puissant pour toi mais ma vie m’importe aussi. Alors je m’adapte ou je meurs !

—Tu donnais l’impression d’aimer. Tu as aimé ce que tu as mangé.

—Sincèrement ? Oui, j’ai beaucoup aimé.

Saliana prend le bol, elle trempe ses doigts dans le liquide visqueux. Elle mange aussi un morceau pour commencer. Son visage semble surpris, elle finit, à son tour, le bol. Elle s’approche mais je recule d’un pas. Elle me regarde, baisse le regard et s’excuse. Enfin plus calme, je la serre contre moi. Je reste fol amoureux de cette femme. Elle passe ses bras autours de moi.

Je retrouve enfin mon amour. Ses lèvres sur les miennes, je sens encore le gout de ce que l’on vient de manger. C’est tellement étrange comme sensation.

Le chef nous regarde, un énorme sourire sur le visage. Il acclame quelque chose, sa phrase est suivie de cris de joie de la tribu. Le sourire aux lèvres, je regarde le monde qui m’entoure. Je ne sens étrangement plus aucune animosité autour de moi. Il est temps que je remette ma vie en question. Si je suis voué à vivre ici pour un moment, il vaut mieux que je range mon esprit structuré de banquier dans un coin de mon âme et que je m’ouvre un peu plus à ce peuple qui semble pourvoir m’offrir quelque chose. Peut-être enfin le sentiment de me sentir vivant.

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