Dix-septième chapitre

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Elle s'éveilla dans une moiteur piquante.

La figure angoissée de sa mère était penchée au dessus d'elle. Mad était dans sa chambre, allongée dans le lit. Dehors Marceliano ne chantait pas. Elle voulut se redresser sur ses coudes. Sous la couette les draps étaient moites. Non, trempés plutôt. Sa vessie ne supportant plus d'attendre docilement son retour sur Terre s'était prise en charge toute seule. Sa mère la dévisageait avec une détresse poignante. Madeleine leva ses mirettes vers elle. Frappée. Elle lui apparut si éloignée ! Elle la percevait avec tant de distance alors qu'elles n'étaient qu'à quelques centimètres l'une de l'autre. Mad distinguait les nuances précises des cernes sous les yeux de cette maman qui l'avait veillée toute la nuit. Mais ces cernes, ce visage affecté lui semblaient tellement lointains. Elle avança une main tremblante vers la face presque étrangère, s'attendant à voir ses doigts passer au travers. Au moment où sa peau allait entrer en contact avec le mirage, le téléphone au rez-de-chaussée se mit à sonner d'une plainte effroyable.

Mad s'ébroua.

Elle avait repris son expression simplette. Symbole d'un bonheur réel et impénétrable. Elle se leva. La chambre était glacée. La froidure du carrelage, transperçant le tapis, lui dévorait la plante des pieds. Elle marchait sur un lac gelé. Elle ne prit pas la peine de s'en plaindre et sortit maladroitement, sous le joug d’un regard désespéré qui ne voulait pas la quitter.

Dehors le soleil enflammé ne la lréchauffa guère. Elle se déplaçait difficilement. Son corps délaissé tant d'heures durant était d'une maigreur et d'une faiblesse sans précédant. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'agitait plus que loin de cette coque molle. Elle en avait oublié la lourdeur et la maladresse avec lesquelles il fallait la traîner. Elle avait la sensation d'être enfermée dans une combinaison de cosmonaute.

Mad entendit soudain des cris perçants dans son dos. Elle crut reconnaître le voix de son père… ou peut être bien celle de quelqu'un d'autre, elle ne savait plus très bien. La voix menaçante se rapprochait au fil des secondes. Mad se mit à courir. Enfin, elle essaya. Tout juste trois mètres parcourus que le souffle lui manquait. Ses guibolles jouant des castagnettes sous son poids criaient Stop ! Stop ! à chaque nouvelle foulée. Derrière on s’égosillait. Des beuglements insensés. Mad n'y prêta pas attention, elle se concentrait sur le travail de ses muscles, du moins ce qu'il en restait. L'équilibre aussi lui faisait défaut. Elle se dandinait excessivement pour se maintenir en course. C'était d'un comique ! Sur la lune elle aurait pu bondir dans un arbre d'un seul saut et se balancer de branche en branche comme le plus élégant des gibbons.

Le cri était sur ses talons. Elle sentit qu'il se précipitait sur elle. De son pas de canard elle tourna à l'angle de la rue et plongea tête en avant dans un haut buisson d’hortensias.

Raté. Elle s'étala, en crêpe, à mi-parcours : le buste transperçant les fleurs, le reste au dehors. Le choc se répandit en vibrations douloureuses dans tout son squelette. N'écoutant pas sa chair qui la suppliait d'arrêter ses cabrioles, elle se contracta dans un ultime effort et roula vigoureusement. Quittant enfin la civilisation pour le calme du monde ignoré des futaies. Abritée par l'hortensia conciliant, elle distingua le tumulte et les mugissements de ses assaillants demeurés à l'extérieur. Puis le silence.

Elle patienta un peu, bordée par le feuillage du massif fleuri. Son corps avait coupé toute communication, l'immobilisant dans un repos forcé. Les habitants de la haie ne semblèrent pas affectés par cette irruption soudaine dans leur humble intimité. Un nid de mésange se tenait juste au dessus de ses yeux. Un oisillon y dormait, le duvet en édredon. Sa peau nue sur la terre fraîche et odorante devinait les lombrics, fourmis, mille-pattes et autres travailleurs terrestres s'abonner à leur tache méconnue. Un petit rat qui entretenait l'entrée de sa maison, entre deux lissages de moustache, lui chatouillait les orteils de ses poils hirsutes. Savoir que la vie ne s'arrêtait jamais, même dans des petits mondes omis comme ce massif, la lrendit heureuse. Profondément heureuse. Elle regardait le ciel de feuilles s'agiter parfois quand la brise l'effleurait de trop près. Oui, cela lui aurait beaucoup plu d'être un hortensia.

Elle fut de nouveau en pouvoir de remuer. On avait du se faire une raison au centre de contrôle nerveux, pour finalement lui redonner accès aux commandes.

Elle quitta l'abri végétal. Les poursuivants avaient disparu. L'avenue baignait dans la tranquillité des matinées estivales. Mad sauta sur ses pieds comme elle aurait sauté pour la première fois sur un skateboard. Elle se remit en marche prudemment, se frictionnant les bras pour en faire partir la chair de poule.

L'établissement scolaire était fermé depuis peu, pour cause de vacances. On n'entendait plus âme qui vive dans la structure. Mad poussa le portail gris toujours ouvert, qui menait à la cour et au préau. Dans la fraîcheur du vieil orme, Saïman attendait. Le sourire niais s'empara entier de Madeleine. Elle prit alors conscience qu'elle était en pyjama et sans chaussures. Elle en rit à foison. Oubliant le froid terrible.

Il vit arriver une jeune fille livide. Atrocement anémiée. Un rafale de vent l'aurait émietté en grain de poussière et semé au quatre coin de la ville d'un simple revers. La seule raison qui ne le fit pas vaciller d'horreur fut l'autre chose qu'il vit. Car Saïman vit également, ou plutôt il ressentit derrière cette déplorable apparence, un flot coloré d'énergie ne demandant qu'à émerger. Une source exaltante, intarissable, qui rayonnait imperceptiblement sous la couche de peau blafarde. Un œuf. Un œuf à la coquille fragile et blême, renfermant un jaune riche et brillant comme un soleil. Madeleine était un œuf. Mais pour que le jaune s'échappe, se répande, s’épanouisse il fallait que coquille soit brisée. Et de coquille brisée on ne peut plus s'en retourner.

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