Treizième chapitre

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Les loups passèrent au dessus des têtes éblouies. Le spectacle faisait toujours le même effet, peu importe qu'on l'ait observé cent fois.

Le loup de feu prit la tête. Ses sabots fendaient l'air dans des étincelles effervescentes. Il était un orage incendié sous les étoiles pâlissant devant sa fougue. Les autres coureurs luttaient pour ne pas se faire distancer. Même la bourrique, tout à l'arrière, avait surpris en ne se laissant pas complètement évincer. Dans l'obscurité, les paires d'yeux crépitaient d'un zèle batailleur.

Les cavaliers n'avaient pour se tenir que les toisons volantes et leur sens de l’équilibre aiguisé par un entraînement sans faille. Ni selle, ni rênes. Les bêtes couraient nues. Ainsi cramponnés, ils se fondaient dans la masse de poils, ne pouvant compter que sur leur lecture des mouvements de l’animal pour se préserver de la chute. Humains et animaux ne faisaient ainsi plus qu'un. Unis en un seul être, centaure, seigneur des airs. Ils étaient dragons, ils étaient fauves. Ils étaient Pégase et Chimère à la fois.

Mad était en plein rêve.

Le public commença à remuer. Les loups-de-ciel s'éloignaient à l'horizon, galopant toujours plus vite.

Ils allaient voler ainsi jusqu'à un cratère à deux kilomètres de là, en faire le tour complet, puis revenir pour atteindre le point d'arrivée. Les gens s'acheminèrent en direction de ce dernier. Les gardes du prince poussèrent l'estrade munie de roulettes d'où il ne descendit pas. Madeleine et Saranée suivirent le mouvement.

Quelques mètres plus loin se trouvait le cratère qui devait désigner le vainqueur. En sa piste circulaire flottait le drapeau rayé qu'un certain lundi de juillet Neil Armstrong déposa, malheureusement à l'un des endroits les plus retirés de la lune. Ce fameux jour deux jeunes gens se trouvaient à moins d'une lieue de là. Ils avaient fait le mur pour se rejoindre à l'abri des regards, dans une intimité fébrile. L'atterrissage impromptu de la fusée causa un tremblement de terre qui les fit rentrer chez eux au triple galop. De peur qu'on ne découvre leurs rendez-vous secrets ils n'en avaient parlé à personne. Le souvenir laissé par les astronautes ne fut découvert que des mois plus tard.

On se repositionna à la périphérie du nouveau cratère. Et on épia le ciel. Les yeux pleins d'étoiles.

Des points finirent par se distinguer au loin. C'était la dernière ligne droite. L'instant de tous les espoirs.

L'ordre des coureurs n'avaient pratiquement pas changé.

L'étalon princier était inépuisable. Un démon de feu. À l'arrière le vieux tenait encore en place sur la louve. Un exploit.

On allait sceller le podium quand il y eut un hurlement de l'air. On écarquilla les yeux. L'un des animaux avait changé du tout au tout sa manière de se mouvoir. Ses gestes prirent une fluidité alors jamais vue. Il n'y avait plus seulement son pelage qui ondoyait, tout son corps était devenu une onde. La bête n'avait plus de forme définie, elle évoluait avec bien trop de malléabilité. On aurait dit qu'une étoffe de soie caressait les airs. Les bouches béantes dans le public ne se comptaient plus. C'était la bourrique.

Elle se faufila avec aisance parmi les autres coursiers volants qui se débattaient pour avancer. Elle les devança un par un dans le même souffle. Devant il ne restait plus que le démon noir et roux. Mais elle finit par le rattraper lui aussi. Elle ne glissait plus sur le vent. Elle était le vent.

Le loup ne se laissa pas faire. La victoire lui appartenait. Ses sabots s'animèrent d'une frénésie plus infernale encore. Entaillant le ciel. Le flegmatisme de la jument attisait sa rage. Son œil se consumait d'une fièvre haineuse. Sa gueule écumante aurait voulu broyer sa chair hors de porté. Mais la bourrique gagnait du terrain. Petit à petit sa virtuosité prenait le pas sur la brutalité de l’étalon. À terre on réalisait à peine ce qui était en train de se produire. Quelqu'un cria son nom. Puis un autre, et un autre. La foule entière l’acclamait désormais d'une seule voix.

Bourrique ! Bourrique ! Bourrique !

Elle dépassa enfin le loup princier rendu aussi fou qu'impuissant. Il ne restait d'une centaine de mètres.

Pour une raison inconnue la louve abandonna tout à coup sa course de vent. Elle redevint le vieux canasson miteux qui peinait à se maintenir en vol. Des cris d'effarement sans précédant éclatèrent. Elle ralentissait.

Le démon ne se fit pas prier. Il allait avoir sa vengeance. Une canaille décrépie comme elle ne pouvait le battre. Impensable ! Il bondit d'une force nouvelle. Puisant dans des réserves insoupçonnées. Cet animal était monstrueux.

Soudain l'étalon brailla. Dans son élan, dans sa fureur il ne tenait pas compte des signaux que lui envoyait son propre corps. Il ne les entendit que trop tard. Les ligaments cédèrent dans un son atroce. La bête beugla sous le joug d'une affreuse douleur. Le prince Chaan se dressa si brusquement de son siège, qu’il le reversa. Son coursier et la bourrique étaient maintenant côte à côte. Quinze mètres les séparaient du drapeau.

Un troisième coursier sortit alors de nul part. Sa robe de bleu et de noir ne l'avait pas fait remarquer. Il sauta par dessus le démon et la louve. Plongea. Sa cavalière saisit l'étendard. C'était fini.

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