Douzième chapitre

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L'un des protagonistes s'en allant concourir était, il faut bien le dire, un vieillard. L'homme s'était avancé parmi les autres cavaliers, non sans entrain, boitant furtivement de la jambe. Quand on comprit qu'il était là pour participer à la course et non pas venu encourager la jeunesse, comme son allure le laissait prétendre, des messes-basses de désapprobation se firent entendre. On se demandait comment il allait se hisser sur le dos d'une bête sans lui-même se briser les reins.

Justement ! S'il faisait sérieusement partie des participants sa monture devait donc être d'une rare excellence, pour pallier à un tel cavalier… On le vit alors s'approcher d'une haridelle rabougrie, au pelage terne et décrépit à de nombreux endroits. Sûrement aussi âgée que lui, si ce n'est même plus. Le canasson, de tous les concurrents semblait le plus fragile et de surcroît le moins réjoui du départ imminent. Elle somnolait. Penchant un coup à droite, un coup à gauche, en équilibre sur ses trois pattes fluettes. La quatrième qu'elle se retenait de poser au sol devait lui procurer la même démarche éclopée que son propriétaire.

Des cris de stupeur retentirent dans l'assemblée. L'aïeul était miraculeusement parvenu à grimper en croupe dans un exercice de contorsions et d'efforts, rythmé par des bruits secs de craquements d'articulations. Terrifiant. Les gens commencèrent à protester. C'était folie pure ! La course de loups-de-ciel, événement si festif, si réjouissant, allait se solder par un drame. Halte au massacre !

On s'offusquait. Mais personne ne remonta ses manches pour aller faire descendre le vieux. Lui qui, calé sur sa louve osseuse, n'avait pas du tout l'intention, ni l'énergie sans doute, de quitter son perchoir.

Un mutisme religieux fit place. Un jeune enfant, tout de doré vêtu, avait fait irruption sur le cratère. On ne pensait plus au vieux.

L'enfant-genêt tenait soigneusement quelque chose dans ses menottes jointes. Lui faisant face, les cavaliers se dressaient sur leur fières destriers de crins et de crocs, ordonnés devant une ligne de départ fictive. Le vent était tombé. Le silence s'emparant de la nuit devenait assourdissant. Dans la tension palpable de l'atmosphère, l'air aussi retenait son souffle.

Soudain il y eut comme une décharge électrique. On vit les pelages des animaux remuer étrangement. Devenues comme insensibles à la gravité les toisons s'élevaient, doublant de volume, ondulant à la verticale. Chacun des poils dansait comme une flamme sur la peau. Le panache des queues touffues de loup se dressait également, flambée sinueuse désignant les cieux. Les pupilles des bêtes s'étaient dilatées à l'extrême. Leur regard n'était plus qu'une même couleur. Luminescente. Des filets de cette couleur s'échappaient aux coins de leurs yeux et glissaient, suivant le même flux que les fourrures ondoyantes, pour se perdre dans le noir du firmament.

Les créatures n'étant déjà ni vraiment loups ni vraiment chevaux, n'étaient désormais plus des bêtes. Ils étaient bien plus encore. Au delà du simple règne animal. Les yeux du puissant étalon acariâtre jetaient la lumière la plus flamboyante. Sa fourrure auburn était un brasier.

Il n'y a pas de mot pour décrire ce que Mad ressentait. Des émotions de brûlure et de blizzard grondant. D'ouragan incontrôlable et de désert bouillant. Une peur effroyable additionnée à des frissons d'euphorie. Elle sentait qu'elle allait exploser d'une seconde à l'autre si rien ne se produisait, si la pression démentielle qui affublait le sol ne le délivrait pas bientôt.

Au cœur de la piste, les têtes étaient tournés vers le vieux. Sa jument était la dernière à ne pas avoir pris sa forme céleste. On attendait plus qu'elle. La vielle louve ne s’inquiétait pas de retarder l'épreuve à elle seule. Elle ne se pressait pas. Les rumeurs geignardes reprirent de plus belle. L'aïeul, ne voulant pas faire davantage parler de lui, donna une tape sur le flanc du bestiau.

« Du nerf bourrique ! Du nerf mon amour ! »

Elle rechigna en faisant battre sa queue paresseusement, mais s’exécuta. Cela parut lui demander une énergie monumentale. Et même sous cette forme elle n’impressionnait guère. Le vieux et sa bourrique formaient assurément le couple le mieux assorti. Sur la ligne de départ ils se tenaient à l’extrémité. De l'autre côté, à son opposé se trouvait l'étalon noir et feu. Depuis qu'il avait adopté sa forme de course il ne tenait plus en place. Il ne désirait qu'une chose : décharger sa force, décharger sa puissance. Son cavalier se rassurait, sans illusions ; s'il avait le malheur de tomber pendant la course, l'animal continuerait de galoper vers la victoire. Sans l'aide de personne, pour lui-même, pour son unique et seule gloire.

Le contraste entre les deux tandems était incroyable. Autant de niveaux les séparaient qu'il y avait de concurrents entre eux. L'issue de la course était connue d'avance. Cela retirait beaucoup à son charme tant loué.

L'enfant-genêt, puisque tout le monde était prêt, ouvrit ses mains d'où s'échappa une colombe. À l'une de ses pattes était noué un ruban qui y attachait une minuscule sphère où brillait un vers luisant. Sa lueur éclairait le plumage blanc de l'oiseau qui se détachait si bien des ténèbres du ciel qu'on aurait pu le prendre pour un fantôme. L'oiseau-lanterne montait, montait toujours plus haut. On ne voyait bientôt plus qu'un halo phosphorescent voltiger à des mètres de hauteur. Tous fixaient le spectre, nez en l'air, guettant fébrilement. Si Mad n'était pas si fasciner, elle se serait sûrement demandé pourquoi pas un seul des spectateurs ne s'était écarté du cratère pour laisser un passage de sortie aux loups. Eux qui avaient alors l'ensemble de leurs muscles contractés. L'étalon rouge et noir était le coursier du prince.

Enfin le ruban se détacha, la sphère tomba et la colombe disparut dans la nuit. À cet instant les montures s'étaient élancées. Dans un saut gigantesque. Mais on en vit aucunes en atterrir. Elles couraient. Prenant appui sur le ciel.

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