Onzième chapitre

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Un attroupement de curieux et de curieuses s'agglutinaient dès lors sur les lieux. La foule s'était rassemblée en cercle autour d'un petit cratère. Ce qui se trouvait en son centre était sujet de toutes les considérations. Excepté celle d'un bambin chapeauté essayant, bras levés, de saisir des trésors invisibles de l'air.

En dépit des caprices météorologiques qu'avait subi tantôt le narval, le ciel était ici dégagé et d'une sérénité fabuleuse. On n'aurait pu souhaiter mieux pour des activités d’extérieur. Il montait dans l'air une odeur chaude et musquée de grosses bêtes à poil. Saranée se fraya un chemin au travers du mur de gens, Mad sur ses talons. Elles parvinrent à gagner le premier rang.

Là, encerclés par le public épris de leur présence, une dizaine de quadrupèdes aux épais pelages semblaient attendre un grand événement. Leurs oreilles pelucheuses s'agitaient nerveusement tandis que des soigneurs les bichonnaient en leur adressant des mots doux. Sous leur fourrure soyeuse des spasmes faisaient frémir leurs flancs et leurs pattes admirablement longues tressautaient tour à tour, comme d'impatience. Les petites têtes délicatement dessinées, entre celle de la biche et celle du renard, toisaient les spectateurs qui les encourageaient déjà.

La foule commençait à trépigner. Mad reconnut parmi cette cohue la troupe de galopins du quartier marchand, chahutant entre les individus, comme s'ils n'avaient jamais cessé de se courir après depuis la fois dernière. Elle les perdit de vue, confondus dans cet agglomérat de corps, mais les entendit poursuivre leur couplet.

Demain n'est qu'une chimère

Si le goût que de fiel

Vint l'harenam maudit

Ne chanteront plus rancunes

Car les étoiles meurent aussi

Mes larmes n'ont oublié

Et la Lune, et la Lune

Et la Lune seule le sait

La chanson des gamins s'élevait vers le ciel avec une sorte de nostalgie à la fois tragique et captivante, malgré le brouhaha agité de la peuplade. Le chant aérien était atrocement déchirant mais procurait, tout en même temps, une chaleur si pénétrante qu'on désirait qu'il ne cesse jamais. Absorbé par la course sur le point de commencer, personne ne semblait avoir entendu la voix vive des enfants. Pourtant si éclatante.

Confuse, Madeleine remarqua que Saranée était en train de lui parler depuis un temps certain.

« … ainsi les loups-de-ciel n'en souffriront pas. Quant au point d'arrivée, il se situ là où est planté l'étendard des Lointains. »

Madeleine approuva de la tête avec ostentation, tentant de faire croire qu'elle suivait depuis le début. La grimace de culpabilité rendait son visage encore plus enfantin. Saranée s'était tut. Sous le dôme clignotant du ciel sa peau s'illuminait d'un argenté mouvant. On aurait dit du marbre liquide. Elle prit une intonation jusqu'alors inconnue, plus personnelle, plus touchante, quand elle prononça:

« Madeleine, la chanson que récitait ces enfants, sais-tu ce qu'elle... »

Elle se coupa. Mad était de nouveau distraite. Ne l'écoutant plus. Elle épiait un élément de la foule, un peu plus loin sur leur droite. Il s'agissait d'une estrade de bois blanc, surplombant les têtes. Isolée du reste de l'arène par des sortes de gardes imposants. Des balustrades soutenant des draperies abritaient ce promontoire. Dans leur ombre on devinait la présence de quelqu'un, apparemment installé sur une chaise à haut dossier. De là où se tenait Mad on ne distinguait que cela.

« Le prince Chaan est venu en personne, informa Saranée. Je reconnais ses bannières. Il est l'un des seuls membres des familles royales à porter de l’intérêt aux courses de loups-de-ciel. Je crois même qu'un de ses coursiers participe aujourd'hui. Car, à vrai dire, je doute que le prince se soit déplacé jusqu'ici uniquement pour l'amusement. La route est longue depuis la Face Cachée. »

Mad n'avait jamais vu de prince. Elle se demandait à quoi celui-ci pouvait bien ressembler. Se tortillant sur la pointe des pieds pour tenter de la découvrir, la masse du public fut soudain brasser d'une agitation inédite.

Les soigneurs abandonnèrent les bêtes après un dernier murmure à l'oreille. Venant les remplacer, les cavaliers s'approchèrent vers le milieu du cratère, luisants dans leurs combinaisons saillantes. Les montures sentirent s’approche du départ. Leurs spasmes redoublèrent. Parmi ces-derniers se trouvait un animal particulièrement vigoureux. Il dépassait tous les autres coursiers par sa taille. Sa fourrure d'une admirable densité, noire et rousse, témoignait du feu qui bouillonnait dans son sang. Car incontestablement cette bête possédait une ardeur terrifiante. Le loup ruait, galbait son cou puissant, provocateur. Donnant des coups de tête combatifs et piaffant avec menace en direction de ses rivaux qui pliaient d'ores et déjà l'échine. Il faisait briller ses canines à l'émail vierge sous ses babines insolentes. On ne pouvait poser les yeux ailleurs que sur son corps immense n'exprimant que force, que tempête. On aurait cru qu'il allait dévorer quiconque osant plonger son regard dans les flammes habitant le sien. À l'instant même où il se mettrait en mouvement le ciel s’ouvrirait en deux devant lui.

Chez les cavaliers aussi on observait de tout. Des grands, des trapus, des hommes, des femmes, des sveltes et des colosses. Chacun apparaissait parfaitement adapté à la monture qu'il devait conduire à la victoire. La bête soutenant son maître là où il faiblissait, et le monteur comblant les désavantages de son loup par ses propres aptitudes. Tous étaient dans la fleur de l'âge, en pleine possession de leurs moyens.

Tous. Sauf un.

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