Dixième chapitre

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Saranée attendait devant la navette qui elle-même patientait dans un ronronnement mécanique. Elle consulta sa montre à cadran lunaire. Si elle ne montait pas d'ici les deux prochaines minutes la navette partirait sans elles. La jeune femme entendit alors le bruit d'une course incertaine qui approchait. Elle émit un soupir satisfait. Madeleine se présenta au pas de course sous son nez délicat.

« Je te demande pardon. Le narval a dut faire un détour pour éviter un nuage d'astéroïdes.

- La météo ne se montre pas toujours clémente. »

Mad suivit Saranée dans la navette. Elles prirent place dans une rangée de gauche. On devait les conduire par delà le désert d'ivoire, sur le plateau aux cratères, là où se déroulait la course des loups-de-ciel. L'événement avait une renommée considérable. La navette était bondée. Même une figure importante des Cours d’Albâtre devait être présente, selon les rumeurs.

Doucement bercée par le cahotement du véhicule roulant à même le sable, Mad appréciait le paysage. Rêveuse.

On avait quitté les villes. Désormais le blanc de sable s'étendait à perte de vue, dans une clarté immaculée. Avec au dessus la voûte céleste habillée d'une nuit perpétuelle, parée de plusieurs milliards d'étoiles comme d'autant de diamants. Vraiment, rien n'égalait le décor que la lune offrait à l’œil. Entre quelques astres aussi mystérieux qu'infiniment éloignés, la vielle Terre vivotait toujours. Tournant avec plus de puissance mais, en même temps, avec moins de gaieté que l'éblouissante Lune.

Mad se tourna vers sa voisine. Droite sur son siège, Saranée demeurait dans un de ses états de mélancolie silencieuse, caractéristiques des Cendréals. Tout à fait Lunaire. Mad avait appris à respecter ces moments d'éloignement intérieur. Elle considérait, sous leurs longs cils d'argent, les yeux absents, ni pâles, ni foncés, de la fille de la liseuse. Ce profil strict, cette fierté contenue, presque royale, qui émanait constamment du plus profond de cet être. Assurément, quand Mad observait Saranée, elle voyait Saïman, et inversement. Bien sûr Mad s'était gardée de l'avouer à l'un ou l'autre des personnages.

Saranée quitta sa sphère de songe. Ses sourcils moirés fléchirent, se demandant durant une fraction de seconde où elle se trouvait, comme à chaque fois que sa bulle spirituelle éclatait. Puis à son tour regarda Madeleine.

Indécise. Mad ne soumettait jamais Saranée à des interrogations. Car elle était bien plus avide des instructions que lui donnait la jeune femme d'elle-même. Pourtant il y avait une question qui palpitait sur la langue de Mad. À l'inflexion qu'eut la bouche aimable de Saranée, Mad comprit qu'il lui était permis, en cet instant, de la lui poser. Saïman comme Saranée lisait en elle mieux que dans un livre d'images.

« Pourquoi vous…, formula Mad. Pourquoi les Lunaires ne viennent jamais chez les Lointains ? Ils vous accueilleront aussi bien que vous les accueillez. Ils vous montreront leurs propres merveilles. Et vous aimeront comme vous les aimez. Dis-moi Saranée, pourquoi ? »

Elle se donna quelques minutes pour réfléchir à sa réponse. Mad ne la brusqua pas.

- Il y a bien longtemps la Lune et l'Orange s'éloignèrent l'une de l'autre. Aujourd'hui seul le narval peut faire la jonction entre les deux terres. C'est ainsi car il n'existe rien dans l'Univers de plus pointu que sa corne. Avec elle il a le pouvoir de créer des brèches entre les différentes couches des espaces et des temps. La corne est une clé universelle. Nulle barrière ne le contraint, nulle attache ne le retient. Sa corne millénaire, qui vît naître le cosmos, a parcouru tous les mondes existants. Il n'y a pas de lieu étranger à son regard. Il est l'esprit de l'Univers. Et de mémoire d'Homme jamais il n’accueillit de Lunaire sur son dos. »

Saranée se pencha vers la vitre de la navette pour voir le ciel.

« Et puis, l'Orange… L'Orange n'est plus ce qu'elle a été. Elle s’abîme. Des insectes ont commencé à s'agglutiner autour de sa chair corrompue. »

Elle désigna le nuage de satellites artificiels et grisonnants, flottants à la périphérie de la planète en amas de ferraille parasite.

« L'Orange se gâte. Il n'en restera bientôt plus rien. L'Univers absorbera ses restes pour façonner une terre nouvelle, quelque part, dans les confins de son territoire insondable. »

Des larmes s'étaient formées sous les paupières de Mad, ne comprenant pas vraiment pour quelle raison. Les paroles de Saranée avaient soulevé une tristesse sourde sur son cœur. Une tristesse étrange, qu'elle ne se connaissait pas. Les larmes coulant sur ses pommettes étaient davantage dut à son incompréhension plutôt qu'au chagrin lui-même. Faire éclore des sentiments nouveaux en nous, cela aussi est le propre des Cendréals.

Soudain il y eut une secousse. Mad se cogna contre le siège avant. La navette venait de se stopper. Ils étaient arrivés à destination. Madeleine rit bêtement en se massant le front légèrement enflé quand Saranée lui demanda si elle allait bien. Les larmes avaient déjà séchées.

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